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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Histoires d’amour, de séparation et de souffrance (1)

Les hommes, les femmes et les enfants qui consultent des psychanalystes ne sont pas malades. Ils souffrent, parfois beaucoup, mais dans notre monde idéologiquement très médicalisé, la souffrance est confondue avec la maladie. Si on peut soigner la souffrance avec des médicaments, cela ne veut pas dire que toute souffrance est maladie. Le mot maladie est une métaphore, c’est comme si on donnait des antibiotiques à une « économie malade ». La plupart des souffrances que subissent les êtres humains sont dues à l’amour, à la haine qui est un versant de l’amour, et à la séparation dans laquelle on peut inclure le deuil comme une séparation définitive et sans retour.
 Pendant que j’exerçais encore à Paris, une femme, la quarantaine, vint me consulter parce qu’elle n’arrivait pas à établir une relation stable avec un homme. Elle avait divorcé 10 ans plus tôt et avait connu entre-temps quelques hommes. Mais, malgré des relations sexuelles satisfaisantes, les relations ne tenaient pas. Elle se décrit elle-même comme une femme sans enfants, belle, éduquée, avec des diplômes supérieurs en finance, gentille et prévenante. Sa souffrance venait du fait que ses nouvelles relations avec les hommes aboutissaient à une impasse, toujours la même : Ils ont tous l’impression qu’ils n’ont pas assez de place auprès d’elle. Ces hommes lui ont plu, beaucoup même pour certains, mais en 10 ans, aucun d’eux n’est resté. Lors du premier entretien préliminaire, elle avait conclu qu’il n’y avait pas d’hommes, en tout cas, qu’ils ne méritaient pas un engagement dans une relation stable. Une fois les entretiens préliminaires terminés, je lui indiquai le prix de la séance à payer dès la prochaine fois.

La première séance se passa comme dans les entretiens préliminaires ; elle continua de se plaindre : elle ne trouve pas d’homme digne d’une relation stable. À la fin de la séance, elle me paya par chèque. Quelle ne fut ma surprise de voir que le chèque portait le nom de deux propriétaires : « monsieur et/ou madame ». Elle avait encore un chéquier établi en son nom et au nom de son mari dont elle avait divorcé depuis un an. Je rangeai le chèque dans mon carnet de rendez-vous et je réalisai qu’elle n’avait pas bronché en me le donnant. Elle n’avait pas remarqué que le chèque était, encore, en son nom et au nom de son ex-mari. Les séances se répétaient et se ressemblaient et elle me payait toujours par un chèque analogue.
Cette situation dura un an et cinq mois sans qu’elle ne se rende compte du paradoxe : comment avait-elle divorcé 10 ans plus tôt tout en continuant à avoir un chéquier en son nom et au nom de son mari ? Au bout de cette période, elle réalisa un jour en voyant le chèque. Un moment de stupéfaction accompagna cette vision ; elle bredouilla : Ainsi, ce n’est pas l’absence d’hommes autour d’elle qui était en jeu mais le fait qu’elle n’avait pas fini de régler ses comptes avec son ex-mari. Et le fait qu’elle continuait à régler ses comptes avec son mari l’empêchait de donner une place dans son cœur à un autre homme.

Quelle que soit sa forme, deuil, rupture amoureuse, divorce etc., une séparation entraîne un règlement de comptes. En bonne et due forme dans cette histoire : elle continuait à avoir un compte commun avec lui. La séparation est une amplification de l’ambivalence, le conflit présent dans toute relation entre l’amour et la haine. Au cours de la relation, l’amour couvre la haine qui reste dans son ombre. Toute négativité est refoulée, mise de côté, afin de ne pas remettre la relation en question. On se tait sur beaucoup de choses, on ne dit pas à l’autre tout ce qu’on voudrait lui dire et l’agressivité apparaît à propos de sujets sans importance qui disparaissent aussitôt. À l’occasion d’une séparation, le registre des comptes apparaît et prend du temps avant de se résoudre.
Cette femme était occupée à régler son compte avec son ex-mari, ce qui lui donnait l’impression de ne pas trouver d’homme capable d’établir une relation avec elle.


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