La guerre est-elle inévitable entre Israël et le Hamas ? Depuis la reprise de l’affrontement militaire entre les factions gazaouies et Israël le 31 mai dernier, chaque crise est un exercice pointu de violence contrôlée. Chacune surclasse pourtant la précédente en termes de gravité, à l’instar de l’escalade de vendredi soir. La précipitation avec laquelle le Hamas a accepté le cessez-le-feu parrainé par l’Égypte témoigne de son haut degré d’aversion à jouer une revanche de l’opération Bordure protectrice de 2014. L’organisation islamique a donné son accord vendredi à minuit, soit moins de 45 minutes après la dernière série de frappes israéliennes sur le commandement militaire de Khan Younès, dans le sud de l’enclave. La pondération est également visible dans la nature des échanges militaires. Israël a frappé trois commandements militaires des brigades Ezzeddine al-Qassam peu après 20h, suite au tir létal d’un sniper palestinien sur un soldat israélien à l’est du camp de Khan Younès. Mais le délai passé entre l’annonce des représailles par Tel-Aviv et le passage à l’action a laissé aux hommes du Hamas le temps d’évacuer les lieux. L’armée israélienne a soigneusement évité de décapiter le mouvement islamique de ses haut gradés, sachant que le turnover à la tête de l’organisation est difficilement épuisable. Réciproquement, les tirs du Hamas n’ont pas excédé un rayon de 10 km depuis sa frontière.
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Paix impossible
Le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, a affirmé hier que le samedi suivant la conclusion du cessez-le-feu « avait été sans doute la journée la plus calme depuis le 30 mars ». Les deux camps se sont fait peur, mais cette logique d’« équilibre de la terreur » n’est pas parvenue à stopper durablement l’escalade depuis que le Jihad islamique en Palestine a ouvert le feu le 31 mai, pour la première fois depuis le début de la répression israélienne de la grande marche du retour. Le Hamas avait partagé a posteriori la responsabilité de l’opération. « Si aujourd’hui et demain la situation qui prévalait hier (samedi) reste inchangée, nous autoriserons mardi le terminal de Kerem Shalom (fermé le 9 juillet) à reprendre son activité normale », a indiqué le ministre Lieberman dans un communiqué. « Mais la clé de tout cela c’est le calme : zéro ballon incendiaire, zéro affrontement près de la clôture, zéro roquette », a prévenu le ministre. « Le Hamas est de loin la plus puissante organisation à Gaza, mais il n’a pas un contrôle total sur tous les groupes qui lancent des cerfs-volants incendiaires », explique à L’Orient-Le Jour Nathan Thrall, consultant à l’International Crisis Group. Faire respecter le règlement israélien assimilerait le Hamas à l’Autorité palestinienne, que le groupe brocarde comme la police de l’occupant en Cisjordanie. Le Hamas a donc peu d’intérêts à jouer ce jeu dégradant si c’est pour retourner à la situation qui prévalait avant le début de la grande marche. En plus du blocus égyptien et israélien, l’Autorité palestinienne (AP) avait imposé ses propres sanctions sur Gaza, les États-Unis avaient réduit drastiquement leur contribution à l’Unrwa, et l’AP avait pris le contrôle du principal point de passage israélo-gazaoui, privant le Hamas de sa principale source de revenus, la collecte des taxes au terminal. Opter pour l’inaction dans l’attente d’une hypothétique « récompense » condamnerait le groupe. Même si la promesse israélienne est mise à exécution mardi, elle ne fait que lever une mesure de rétorsion récente qui ne change pas le dépérissement général à Gaza, que les manifestations populaires soutenues par le Hamas tentent d’inverser depuis le début du printemps.
Guerre improbable
Le groupe a joué quatre cartes différentes depuis 2014 pour percer le blocus. En avril 2014 puis de nouveau en octobre 2017, le Hamas a cherché à remettre les clés de la bande de Gaza à l’AP dans le cadre d’une réconciliation interpalestinienne parrainée par l’Égypte et le Qatar, désormais au point mort. Le groupe a ensuite jeté toutes ses forces dans la guerre de l’été 2014, dont le bilan est certainement le meilleur repoussoir à tenter un second round aujourd’hui. Les cartes militaires et diplomatiques épuisées, le Hamas a greffé son leadership aux manifestations populaires pour le droit au retour le long de la clôture de sécurité. Mais le coût humain associé a tari les rangs des manifestants, reléguant Gaza au frigidaire médiatique. Le Hamas a déporté son soutien début juin sur les lanceurs de cerfs-volants incendiaires. Le dispositif artisanal inflige aux communautés israéliennes du Sud une moyenne journalière de vingt départs de feu. Mais l’effet psychologique surpasse de loin les dommages matériels : les volatiles brisent la cloison mentale entre les civils israéliens du Sud et la « situation » en cours à moins de 20 km, plaçant Tel-Aviv sous la pression croissante de son opinion publique. « Le simple fait que le Hamas voit les cerfs-volants incendiaires et les manifestations à la frontière comme des moyens légitimes de protester contre le blocus sans violer les termes du cessez-le-feu de 2014, tandis qu’Israël les considère comme des provocations justifiant ses bombardements sur Gaza, peut pousser les deux camps à la guerre », explique M. Thrall.
Les cerfs-volants sont une source de frustration pour l’establishment sécuritaire israélien. Rien que cette phrase, « les cerfs-volants menacent la sécurité de l’État d’Israël » est risible. C’est tout le génie du procédé. Quand bien même Israël briserait littéralement le Hamas, ce dernier remporterait de loin la bataille médiatique. L’État hébreu n’a surtout pas de réelle stratégie de sortie si l’armée décidait d’envahir la bande. « Le principal effet dissuasif pour Israël contre le lancement d’une nouvelle guerre est qu’il n’a pas d’alternative au gouvernement du Hamas à Gaza. Une guerre aboutirait à la même situation qu’aujourd’hui », remarque M. Thrall. Aucun parti n’a donc intérêt à franchir le bord du gouffre. Mais connaissant la réticence de l’autre, chacun semble aussi y voir une marge supplémentaire pour tester les limites de l’adversaire.
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