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Culture - Flash-back

Oum Kalsoum, Baalbeck, et le nirvana de six longues nuits d’été

Les pierres millénaires des temples se sont souvenues hier d’un lointain passé où résonnait, en ces lieux immuables, la voix immortelle de l’Étoile de l’Orient...

Oum Kalsoum à l’affiche du Festival de Baalbeck en 1970.

La diva égyptienne Oum Kalsoum, une « déesse antique » selon le chorégraphe Maurice Béjart, avait envoûté le public du Festival de Baalbeck à trois reprises : en 1966, 1968 et 1970. Elle y a chanté Anta Omri, Amal Hayati, al-Atlal, Akbala el-Laylou et, en 1970, une chanson du Libanais Georges Jurdak, Hazihi Laylati.
 « C’est devant les six colonnes dorées, dans la cour du temple de Jupiter aménagée pour recevoir 4 000 personnes, que les 15 et 17 juillet la voix d’Oum Kalsoum, “l’Étoile de l’Orient”, s’épanouira dans la nuit », annonçait le programme du Festival de Baalbeck en 1966. Au départ, elle devait donner un concert unique en ouverture, mais Chafica Diab, son amie de longue date, dépêchée au Caire par le festival, a réussi à convaincre la diva de tenir deux soirées.
Avant, un certain jeudi 19 juillet 1956, Souma s’était produite à Aley, une soirée à laquelle auraient assisté Saëb Salam, Abdallah el-Yafi et Sabri Assaly, le chef du gouvernement syrien à l’époque. En 1959, la première chose que la diva a faite à son arrivée à Beyrouth, c’était d’aller à Souk el-Tawilé acheter une vingtaine de mouchoirs en mousseline. Motif invoqué par la journaliste Nohad Azar dans L’Orient du 20 novembre 1959 : « Elle ne peut pousser un de ses airs passionnés dont elle a le secret sans éprouver le besoin, inspiré par une sorte d’énervement, de mettre en pièces son mouchoir. C’est ainsi qu’à son premier récital à l’Unesco, elle en a consommé 3 douzaines, au milieu de l’enthousiasme délirant des auditeurs. » Mais que les admirateurs de la grande chanteuse se rassurent, les cachets que touche la chanteuse sont suffisamment confortables pour lui permettre cette coûteuse manie. Le journal rapporte qu’en 1961, le directeur d’un grand night-club de Beyrouth a offert 55 000 LL à Oum Kalsoum pour qu’elle se produise pendant deux soirs dans son établissement. La chanteuse a refusé.

L’arrivée à Beyrouth en 1966 a mis en branle le comité du festival, l’organisation routière et les fans de la chanteuse. Une Rolls-Royce l’attendait au pied de l’avion pour l’emmener au Park Hotel Chtaura. Dans un entretien express accordé à L’Orient, et à la question de savoir combien de chansons elle va interpréter à Baalbeck, elle répond, taquine : « Cela dépendra de l’atmosphère. » Que les 8 000 billets soient enlevés depuis plus d’une semaine ne l’étonne pas. Elle est habituée à cet engouement d’un public qui l’adule.
Le bel ouvrage Les riches heures du festival (Dar an-Nahar, 1994) raconte que « quand la nouvelle de la venue d’Oum Kalsoum à Baalbeck s’est propagée, on a accouru non seulement de tous les coins du Liban, mais du monde arabe tout entier, du Yémen et d’Alger, du golfe Arabique, du désert, d’Alep et de Bagdad… Avec une voix à 18 gammes, elle a fait hurler les foules et les a replongées dans le recueillement en chantant les poètes arabes, tels que Chawki, Naji, Rami, Judak, sur les musiques des grands compositeurs de son époque, tels que Mohammad Abdel-Wahab, Mouji, Hamdi et Sombati ».

Invasion à la chinoise
 « Baalbeck fut, hier soir, soumise à une invasion à la chinoise, pouvait-on lire dans Le Jour du 16 juillet 1966. 4 000 personnes déchaînées, une ville en liesse, cinq cents gendarmes débordés et, pendant trois heures, un chant familier à fleur de ciel, à hauteur de colonne, en pleine lumière, répercuté par les micros et les musiciens. Un chant-mélopée, un chant oiseau apprivoisé depuis des années par toutes les radios arabes. Hier soir à Baalbeck furent de grandioses retrouvailles. » Un public sidéré, dont un certain Nabokov, directeur du Festival de Berlin.
 À Baalbeck, la fermeture des portes se faisait à 20h30 pile pour permettre aux spectateurs de gagner leurs places avant le début du récital, et il était formellement interdit de consommer des boissons en dehors de la cafétéria. Et des haut-parleurs diffusaient le concert dans toute la ville. « Certains étaient là en observateurs dépassionnés, le cœur sociologue et la tripe statistique : essayer de définir le pourquoi du phénomène », témoigne André Bercoff. Baalbeck n’a jamais vu cela. Cette sorte de rituel qui unit les spectateurs à leur idole.
Les 12 et 14 juillet 1968, elle s’est produite dans la cour commune des temples de Jupiter et de Bacchus. Elle y est arrivée dans la Rolls de Mme Abdel Rahim Diab.
« Depuis plus de trente ans que cette vedette de la vallée du Nil provoque l’admiration à travers le monde arabe par son interprétation des grandes cantilènes, il était normal que le Festival de Baalbeck offrît une fois de plus son majestueux podium international à “l’Étoile de l’Orient”, ainsi que l’appellent volontiers ses millions d’auditeurs », note le catalogue du Festival de Baalbeck de cette année. Le mercredi 3 juillet 1968, Le Jour rapporte qu’Oum Kalsoum ouvrira la 13e édition du Festival de Baalbeck avec deux récitals pour lesquels elle percevra un cachet de 135 000 LL. On apprend également dans la presse que la cantatrice ne se déplace jamais sans un coussin à la forme spéciale et au rembourrage bien dosé. « Transporté avec précaution par sa femme de chambre, il lui sert à reposer sa tête entre deux tours de chant », lit-on dans Le Jour.
Un article du magazine anglais Times indique que certaines personnes ont payé leur billet 250 dollars. « La première chanson, Amal Hayati, dura 70 minutes. Après une interruption de 45 minutes pendant laquelle elle se faisait masser par ses masseurs personnels, elle revint chanter. » Une autre interruption, un autre massage, et le concert s’est terminé à 2h du matin.

« Elvis et la Callas sont petits »
Maurice Béjart, qui se trouvait à Baalbeck en 1966, a écrit des années plus tard : « J’ai aimé les musiques et la voix d’Oum Kalsoum, la plus grande chanteuse de tous les temps, celle qui chanta le plus et le plus longtemps, devant le plus de monde. Les succès d’Elvis Presley ou de la Callas sont de petites choses à côté des siens. Sa musique me nourrit. Oum Kalsoum est profondément maternelle, maternelle comme les déesses du monde antique… Elle est la voix de millions d’êtres sans voix. » Béjart avait émis le souhait de réaliser un ballet dansé sur la voix d’Oum Kalsoum. Souhait réalisé quelques années plus tard, avec une danse chorégraphiée sur la chanson al-Toba. Ironie du sort, ce passage sera censuré à Baalbeck en 1999, lors de la venue de la troupe de Béjart. Le spectacle a dû être écourté après intervention de la censure prétextant une « atteinte à l’islam ». Une des quatre parties du spectacle, celle intitulée « Oum Kalsoum », contenait un passage que les autorités religieuses ont considéré comme irrespectueux. Dans ce passage, les hommes sont prosternés en position de prière, alors que les femmes dansent autour d’eux en tenues de vestale.
La troisième escale d’Oum Kalsoum à Baalbeck aura lieu les 8 et 11 juillet 1970. « Le public avait pris soin d’emmener avec lui toute la panoplie du tarab et de l’envoûtement : narguilé, arak, whisky qu’ils sortaient de petits bars portatifs. Le concert s’est achevé à une heure du matin dans une liesse générale », écrit L’Orient. « Elle est vraiment la septième colonne de Baalbeck », s’est exclamé un fan qui ne savait plus à quel dieu se vouer.
Les artistes les plus chers se sont produits à Baalbeck. Le plus gros cachet reste cependant celui d’Oum Kalsoum, qui a touché en 1970 43 000 dollars. Loin derrière, Béjart avait reçu 13 600 dollars, tandis que Margot Fonteyn et Rudolf Noureev ont perçu un cachet de 7 000 dollars.
En quittant le Liban, Oum Kalsoum était allée se ressourcer en Autriche. Elle a laissé un souvenir impérissable de « oh ! » et de « ah ! », du jamais-vu – ni avant ni après.


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commentaires (2)

Une grande dame qui nous emporte toujours vers un monde de rêves et d'extase. Sa voix, ses chansons son ora n'ont pas changé avec le temps. Elle reste la Diva du monde arabe.

SALEH SROUR

00 h 13, le 22 juillet 2018

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Commentaires (2)

  • Une grande dame qui nous emporte toujours vers un monde de rêves et d'extase. Sa voix, ses chansons son ora n'ont pas changé avec le temps. Elle reste la Diva du monde arabe.

    SALEH SROUR

    00 h 13, le 22 juillet 2018

  • Rien que le nom évoque déjà les mille et une nuits de bonheur de poésie et de sensualité ....

    Sarkis Serge Tateossian

    13 h 13, le 21 juillet 2018

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