Même si une trêve médiatique a été officiellement décrétée entre les deux leadership des Forces libanaises et du CPL, ceux qui suivent de près le dossier gouvernemental affirment que le véritable « nœud » reste le conflit entre les deux grandes formations chrétiennes. Bien entendu, il y en a d’autres, comme ce qu’on appelle « le nœud druze » ou encore le refus du Premier ministre de donner deux portefeuilles aux personnalités sunnites non membres du courant du Futur. Mais selon les milieux précités, si le problème de la participation chrétienne au gouvernement est réglé, les autres seront plus faciles à traiter.
Au cours des dernières semaines, le conflit entre le CPL et les Forces libanaises a atteint son apogée et l’audience accordée par le chef de l’État à Samir Geagea n’a pas permis de combler le fossé entre les deux partis, le président Aoun ayant conseillé à son interlocuteur de s’adresser directement à la personne concernée, à savoir le ministre Gebran Bassil.
Un contact téléphonique entre les deux hommes n’a pas vraiment arrangé les choses, aboutissant toutefois à une sorte de trêve médiatique, mais le problème de fond reste le même.
Toutefois, les milieux politiques proches du dossier gouvernemental se demandent pourquoi la situation est devenue aussi bloquée, alors qu’en définitive, il suffit de quelques petites concessions de part et d’autre pour résoudre le problème. Des sources proches du Sérail précisent ainsi que les Forces libanaises savent que le fait de réclamer un portefeuille régalien est difficile, sinon impossible, si l’on considère que les Finances doivent aller à Amal et l’Intérieur au Futur. Car les deux portefeuilles restants (qui reviennent aux chrétiens, selon la distribution actuelle) seront difficiles à gérer pour un membre des Forces libanaises. C’est ainsi que le fait d’attribuer le portefeuille de la Défense à une personnalité choisie par les Forces libanaises pourrait provoquer des tensions, en raison de certaines susceptibilités tenaces et pourrait aussi entraîner des frictions permanentes entre le commandement en chef de l’armée et le ministère de la Défense, au moment où, de retour d’un voyage aux États-Unis, le général Joseph Aoun bénéficie d’un large soutien américain. De même, le ministère des Affaires étrangères est actuellement une fonction délicate, car celui qui en a la charge doit essayer de trouver en permanence un compromis entre les positions internationales et même régionales à l’égard du Hezbollah et la puissance interne de ce dernier. Le poids du conflit international et régional autour de la puissance de l’Iran et de ses alliés dans la région pèse sur ce ministère. Un ministre des Affaires étrangères qui n’a pas un minimum d’entente avec le Hezbollah pourrait soit provoquer des confrontations internes, soit placer le Liban en position difficile face à la communauté internationale. Cette fonction est donc loin d’être une sinécure, surtout s’il faut tenir compte de la volonté présidentielle d’ouvrir en grand le dossier du retour des déplacés syriens chez eux et s’il faut aussi prendre en considération la réouverture du point de passage d’al-Nassib entre la Syrie et la Jordanie qui devrait permettre aux Libanais d’écouler de nouveau leurs marchandises sur les marchés arabes. Pour toutes ces raisons, il est peu probable, estiment les sources proches du Sérail, que les FL veuillent réellement prendre la responsabilité d’un de ces portefeuilles, alors qu’elles ne réclament pas celui des Finances ni celui de l’Intérieur.
À partir de cette analyse, la question qui se pose est la suivante : où se situe donc le fameux « nœud » chrétien si au fond les FL ne veulent pas vraiment un portefeuille régalien? Les milieux qui leur sont proches répondent en précisant que ce parti lutte contre une tentative de l’éliminer de la scène gouvernementale, en refusant de tenir compte des résultats des élections législatives qui ont permis à cette formation de doubler pratiquement ses sièges parlementaires.
Si le conflit n’est pas vraiment au sujet des portefeuilles régaliens, il se limite donc au nombre de portefeuilles, à leur « qualité » et au titre de vice-président du Conseil. Mais le portefeuille de la Santé plutôt que celui de la Justice ou de l’Éducation, ou encore de l’Énergie ou des Télécommunications justifient-ils d’empêcher la formation du gouvernement à une période aussi délicate, notamment sur le plan régional et au niveau de la situation économique interne ?
C’est justement cette question qui pousse des parties politiques à affirmer qu’au-delà des revendications affichées concernant les portefeuilles, c’est la prochaine élection présidentielle qui est en jeu. Selon ces parties, le gouvernement qui devrait être formé devrait rester en fonction jusqu’à la fin de l’actuel mandat présidentiel. En 2022, il devrait aussi soit organiser de nouvelles législatives, soit proposer leur report de quelques mois jusqu’après l’élection présidentielle. Pour cette raison, ce gouvernement devrait donc avoir un rôle important à une période particulièrement vitale qui devrait être couronnée par une nouvelle élection présidentielle. D’où le conflit actuel entre le chef des FL et celui du CPL qui, de l’avis des milieux précités, se considèrent comme les principaux candidats à la prochaine présidence. La présence au sein du gouvernement pourrait donc être déterminante dans ce contexte, c’est pourquoi chacun d’eux refuse de faire des concessions à l’autre, ou attend le bon timing et le bon scénario pour le faire.
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17 h 33, le 12 juillet 2018