Rechercher
Rechercher

Culture - L’artiste de la semaine

Hanibal Srouji, du feu et des rêves ...

L’artiste présente à la galerie Janine Rubeiz « Let Us Dream », sa dernière série de peintures, pures invitations à la rêverie.

Hanibal Srouji devant l’une de ses récentes « Terre-Mer » (acrylique sur toile, 232 x 142 cm).

En dépit de ses mèches blanches, il y a quelque chose d’incroyablement juvénile chez cet artiste sexagénaire. Quelque chose de limpide, de doux et d’enjoué qui habite son regard sombre. Un regard qui scrute inlassablement l’horizon de ses toiles et suit, attentivement, la trajectoire du feu qu’il y allume pour recomposer, au gré de la cendre et des pigments mélangés, les variations du ciel, de la terre et de la mer qui hantent son art depuis 42 ans.

Voilà quatre décennies qu’Hanibal Srouji déroule, picturalement, ces moments où, en 1976, embarqué dans un navire fuyant le feu des obus, il regardait s’éloigner la côte libanaise. Cette terre natale que l’adolescent tentait désespérément de retenir, et à défaut, d’enregistrer dans sa mémoire, en la fixant du regard à travers le hublot… Et qui s’estompait progressivement, se réduisant à un point lointain de la taille d’un caillou, pour céder la place à la seule immensité du large. Toute la démarche artistique de ce peintre puise dans l’inlassable résurgence de cette vision. Dans la réminiscence de cette émotion du départ, faite de sentiments contradictoires d’angoisse et d’espoir, d’arrachement et de désir d’ailleurs… Toute sa peinture vient de là. De ces instants fondateurs qui feront irrémédiablement du jeune Libanais de 19 ans, en partance pour le Canada, un exilé dans sa tête. Un artiste qui cherche en permanence à reconstituer sur la toile ses souvenirs d’avant le départ, mais également ses projections de retour… Dans ce qu’aurait pu être le Liban actuel si la guerre ne l’avait pas meurtri et défiguré.

L’éternelle enfance de l’art
Car ce qui fait rêver Hanibal Srouji, c’est ce – chimérique – retour à la sérénité du Liban de son enfance. Avant le déferlement de la violence. Au temps où, jeune garçon, il observait, du toit de la maison familiale à Saïda, « les formes et les déformations que prenaient le soleil et les nuages à l’approche de l’horizon ». « Fasciné, je tentais de dessiner mes impressions du soleil couchant, sur le vif, au pastel à l’huile », se souvient-il. Cette boîte de pastels à l’huile « Caran d’Ache » – qu’il a reçue, « émerveillé », en cadeau de son oncle le peintre Halim Jurdak pour ses 13 ans – sera d’ailleurs l’élément déclencheur de son talent. Et ses dessins de l’époque formeront ainsi le préambule de son vocabulaire pictural personnel, avec ses embrasements – qu’il réalisera plus tard par le marquage au feu – et ses touches impressionnistes de couleurs subtilement éparpillées sur les grands formats longitudinaux qu’il affectionne.

Si la guerre et l’exil attisent la sensibilité artistique du jeune homme, c’est un voyage de deux mois en Europe, exclusivement dédié à l’étude des grands maîtres dans les plus importants musées de France, d’Italie et d’Espagne, qui confirmera sa vocation de peintre. « J’ai réalisé que la peinture était, pour moi, une nécessité », confie-t-il. Une exigence vitale liée à son désir de se reconnecter avec « ce petit caillou qu’est le Liban ». De rétablir le lien avec cette terre d’origine, ses paysages, son histoire contemporaine qui habitent, inconsciemment, toute son œuvre.

Ce qui est et ce qui aurait pu être…
Car depuis le début, le style d’Hanibal Srouji se démarque par cette recherche de « ce qui est et ce qui aurait pu être… » Une quête ardente qui brûle ses toiles et les creuse d’autant d’impacts d’obus que de constellations lumineuses. Une quête d’une audacieuse singularité qui s’exprime par un subtil jeu entre visible et invisible, réel et imaginaire, traces de feu et pigments à l’eau… Cet art d’une poétique intensité lui vaudra, en 1985, une bourse de recherche et de perfectionnement, attribuée par le ministère de la Culture de Québec, qui lui permet d’étudier à l’École supérieure des beaux-arts de Nîmes. En France, où il passe trois ans, son travail est rapidement exposé en galerie, mais aussi au Grand Palais et à L’Institut du monde arabe. Ce qui lui ouvre le circuit des expositions en Suisse (Art Basel notamment), en Allemagne, aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, à Singapour…

Mais l’appel du pays reste le plus fort. En 1991, après quinze ans d’absence, il remet les pieds au Liban. Une première visite qui fera affluer les souvenirs enfouis et lui inspirera une première cuvée de Terre-Mer, ses fameuses peintures sérielles sur le thème du « départ et du retour ». Des paysages flottant entre terre et éther, nuageux et marins, quasi abstraits, qui emportent le regard sur le territoire du rêve. D’autant qu’à partir de cette date charnière, Hanibal Srouji fera d’incessants allers-retours entre le Canada et le Liban. En 1997, il présente pour la première fois à la galerie Janine Rubeiz ses compositions au souffle à la fois incandescent et éthéré. En 2010, il quitte définitivement Montréal pour s’installer à Beyrouth, où il enseigne à la Lebanese American University, tout en continuant de passer ses étés dans son atelier parisien… À mesure que sa relation avec le pays du Cèdre se renoue et s’ancre dans la réalité, sa peinture évolue, passant de sa vision fantasmée des Traces  de guerre à des Healing Bands, des toiles libres longitudinales comme autant de bandages colorés réparateurs.

Des cailloux et des nuages…
Aujourd’hui, sept ans plus tard, si l’impact du feu s’est atténué dans ses toiles, sa peinture reste l’expression de son regard posé sur ce pays, « gros comme un caillou, une colline avec ses brins d’herbe qui s’agrippent à la terre pour ne pas s’envoler », dit-il poétiquement.
À propos d’envol, il y a, semble-t-il, comme un souffle d’optimisme dans ses dernières œuvres qu’expose actuellement sa galeriste Nadine Begdache. Une atténuation de l’impact du feu (toujours présent néanmoins) contrebalancée par un soupçon de figuratif plus appuyé et des touches de couleur en apesanteur. Une cuvée nouvelle qui, outre quelques typiques et tumultueuses Visions flottantes, offre à travers une série de toiles rondes, au dessin parfois surligné de néons colorés et placés sous plexiglas, des compositions en bulles, comme « un sas d’espoir ». Une franche invitation au rêve…

Galerie Janine Rubeiz, Raouché
Jusqu’au 7 juillet.
Tél : +961 1 868 290.

7 décembre 1957
Naissance à Beyrouth

1970
Halim Jurdak lui offre une boîte de pastels à l’huile. Et Hanibal entame ses premiers dessins de couchers de soleil…

1976
Départ forcé pour le Canada

1985
Une « bourse de recherche et de perfectionnement » du ministère de la Culture de Québec lui permet d’étudier à l’École supérieure des beaux-arts de Nîmes et de travailler en France.

1987
Il décroche son master en beaux-arts de l’université Concordia à Montréal

1991
Retour au Liban après 15 ans
d’absence

1997
Première exposition à Beyrouth à la galerie Janine Rubeiz

2010
Il s’installe définitivement au Liban

En partenariat avec : http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/



Dans la même rubrique

Joseph Safieddine, bulles ascendantes

Lamia Joreige, un art au scalpel

Hiba Kalache, paradis ambigus

En dépit de ses mèches blanches, il y a quelque chose d’incroyablement juvénile chez cet artiste sexagénaire. Quelque chose de limpide, de doux et d’enjoué qui habite son regard sombre. Un regard qui scrute inlassablement l’horizon de ses toiles et suit, attentivement, la trajectoire du feu qu’il y allume pour recomposer, au gré de la cendre et des pigments mélangés, les...

commentaires (1)

ON RACONTE SOUVENT CE QU'ON VEUT DANS CE MÉTIER. IL N'Y A MÊME PAS D'ÉCOLE SUPÉRIEUR DES BEAUX ARTS À MONTRÉAL. IL Y AVAIT UNE, IL Y A 45 ANS, ELLE N'EXISTAIT PLUS DEPUIS. MAIS DES PETITS COURS LIMITÉS ICI ET LÀ DANS DES UNIVERSITÉS COMME CONCORDIA, MCGILL OU D'AUTRE POUR N'IMPORTE QUI LE VEUT SANS QUALIFICATION. POUR PARLER D'UN MASTER, IL FAUT AVOIR UN DIPLÔME SUPÉRIEUR D'ABORD. MYSTÈRE !

Gebran Eid

03 h 54, le 13 juin 2018

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • ON RACONTE SOUVENT CE QU'ON VEUT DANS CE MÉTIER. IL N'Y A MÊME PAS D'ÉCOLE SUPÉRIEUR DES BEAUX ARTS À MONTRÉAL. IL Y AVAIT UNE, IL Y A 45 ANS, ELLE N'EXISTAIT PLUS DEPUIS. MAIS DES PETITS COURS LIMITÉS ICI ET LÀ DANS DES UNIVERSITÉS COMME CONCORDIA, MCGILL OU D'AUTRE POUR N'IMPORTE QUI LE VEUT SANS QUALIFICATION. POUR PARLER D'UN MASTER, IL FAUT AVOIR UN DIPLÔME SUPÉRIEUR D'ABORD. MYSTÈRE !

    Gebran Eid

    03 h 54, le 13 juin 2018

Retour en haut