Chez Amal Muraywed, l’élégance est de mise. Photo DR
Il suffit de poser un regard sur elle pour comprendre que chez Amal Muraywed, l’élégance est de mise. Outre sa posture altière, cette artiste aux talents multiples exhibe un raffinement décliné sous toutes ses formes. De ses doigts de céramiste qui ne laissent rien entrevoir du travail ardu de la terre et qui se laissent orner par des bagues qu’elle a elle-même conçues, à sa silhouette toute en finesse, sa grâce et sa distinction ne sont pas un simple apparat. Ils rejaillissent dans sa manière d’appréhender l’autre, dans le bleu de ses yeux et dans le timbre de sa voix. Céramiste et enseignante, peintre, créatrice de bijoux et même poète, Amal Muraywed a plusieurs cordes à son arc. Mais c’est dans le regard et les échanges tout en complicité avec son époux que l’on décèle que son plus beau rôle dans la vie reste celui de l’épouse aimante et surtout aimée.
Au fil de la vie
Enfant, sa mère brodait sans patron, avec l’imagination pour seule ligne conductrice, et s’il lui arrivait de manquer de tissus comme support, elle vidait les sacs de riz et laissait ses mains parcourir la toile de jute pour la transformer en œuvre d’art. « J’ai grandi dans une ambiance de raffinement où mes deux parents portaient un regard respectueux sur le monde de l’art. » Avec une voix emprunte d’une grande émotion pour une mère qui fut un exemple de raffinement et de délicatesse elle confie : « Ma mère nous a inculqué l’amour des choses bien faites, la quête du beau et le respect de l’ordre. Elle a longtemps essayé, en vain, de glisser entre nos doigts à ma sœur et moi, des aiguilles à tricoter, des bobines de laine ou des enfileurs. Nous avions un penchant pour le dessin, c’est alors qu’avec un grand enthousiasme, elle nous pousse sur cette voie en mettant à notre disposition tubes de peinture et pinceaux pour cultiver et accroître nos capacités. Mais mon père Issam Muraywed, politicien, était un homme sérieux que je n’aimais pas décevoir. » Alors, sans grande conviction, Amal Muraywed s’inscrit à l’AUB pour des études en économie. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, dira-t-elle trois mois plus tard au directeur à qui elle confie désemparée qu’elle fait fausse route. Changement de cap loin des chiffres et des graphiques pour une licence en communication. « J’étais très attirée par le monde de la radio, j’écoutais religieusement tous les jours Sawt el-Arab et rêvais de produire ma propre émission. »
Animée d’une énergie débordante qui depuis n’a eu de cesse de s’accroître, elle suit des cours de céramique, s’engage pour un stage chez Pierre Saab, obtient une entrevue avec Pierre Sader, traduit des articles économiques et se prépare pour recevoir son diplôme. Que de rêves brisés en ce fameux 13 avril, où elle verra l’usine de son père détruite, leur maison saccagée, son diplôme remis entre deux bombardements et son master reporté aux calendes grecques. La famille fait le choix de s’installer en Syrie et son père, celui de repartir de zéro.
(Pour mémoire : Amal Muraywed, art ou ornement ?)
La terre arabe
À Damas, elle vit la guerre du Liban par procuration, espérant tous les matins refaire sa valise pour venir fêter la renaissance de Beyrouth. La terre qu’elle pétrit de ses mains tous les jours l’aide à sublimer ses frustrations et sa déception. Elle y met toute son énergie et toute son âme. Mais la réalité la rattrape un jour pour lui chuchoter que la paix n’est pas pour demain. Elle fait le choix de partir pour Paris rejoindre l’École supérieure des arts appliqués Dupperé pour un master en céramique, cette école publique qui forme de jeunes créateurs dans les secteurs de la mode, de la création textile, de la céramique, du design d’environnement et du design graphique. C’était un pari gagnant. En pleine réalisation de son diplôme, elle prépare des expositions, s’attire la colère de son professeur, mais le réconforte en lui disant : « Je travaillerai nuit et jour. » Amal Muraywed expose, enchante, séduit, étudie et réussit. Quand, au moment de la présentation de son master, un membre du jury lui dira : vous êtes très influencée par le trait arabe, cette jeune fille au regard azur et à la chevelure dorée surprendra en rétorquant : « Je suis une fille de la région du Moyen-Orient, la terre, celle de l’Irak, de la Syrie et du Liban, m’a façonnée. » En 1991, elle rentre à Damas pour prendre en charge l’atelier de céramique du Centre culturel français. Dix ans plus tard, c’est la ville de Beyrouth qu’elle ne reconnaîtra pas qui l’accueille pour lui offrir un poste d’enseignante à l’Université américaine. L’artiste y formera des générations de céramistes.
Aujourd’hui, à la galerie Aida Cherfane, elle expose ses toiles qui ne sont que la prolongation d’une sérénité acquise. Son thème s’articule autour de la couleur libre des nuages qui tissent les rêves, de l’odeur des pins, de l’arbre qui s’élève et que l’homme rabaisse, de son enfance en forêts et champs de mimosas, d’une nature dénigrée, d’un citronnier qui naît et meurt dans l’odeur des déchets. Pour dénoncer la destruction de la nature, Amal se refuse à retranscrire la douleur et la violence. Elle se contente de dessiner l’espoir, celui des conifères qui cherchent désespérément un coin de ciel bleu et une terre vierge pour plonger leurs racines, cette terre même qui fait l’homme, et qui l’attend pour un dernier voyage.
*Murmures. Amal Muraywed, peintures
À la galerie Aida Cherfane,
Beyrouth, Saïfi. Jusqu’au 3 mai 2018
1991
Master en céramique à l’École
supérieure des arts appliqués
Dupperé
1992
Professeur et responsable
de l’atelier de céramique
au Centre culturel français
1995
Exposition de céramiques
à la galerie Odile Mazloum
2000-2010
Professeur et membre fondateur
du département
de céramique
à l’AUB
2007
Disparition de son père politicien
Issam Muraywed
2009
Exposition de céramiques
à la galerie Aida Cherfane
2013
Exposition de bijoux
à la galerie Dehab, Beyrouth
http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/
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« vous êtes très influencée par le trait arabe » : « Je suis une fille de la région du Moyen-Orient » il faut être diplomatique, la terminologie et le choix de mots est important ... en tous cas merci à OLJ pour cet article, ca donne envie de visiter la galerie Aida Cherfane, Beyrouth.
11 h 16, le 20 avril 2018