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Culture - L’artiste de la semaine

Karine Wehbé, fouilleuse d’émotions...

Dans la série d’œuvres qu’elle expose à The BAR Project Space, cette artiste « rêveuse », qui a « un besoin viscéral de comprendre », tente de « Capturer l’éphémère »* pour mieux le partager.

Dans la série d’œuvres qu’elle expose à The BAR Project Space, comme ce « Sunbathing » datant de 2009, Karine Wehbé, artiste « rêveuse » ayant « un besoin viscéral de comprendre », tente de « Capturer l’éphémère » pour mieux le partager.

Petite fille, Karine Wehbé voulait être styliste. « J’éprouvais une sorte de fascination pour les vêtements », se remémore cette quadragénaire au regard doux et aux longues boucles brunes. Un an d’école de stylisme lui suffira pour changer d’avis. « J’avais, déjà, besoin de quelque chose de plus profond, plus psychologique et plus connecté à mes émotions », confie cette artiste dont tout le travail est une quête nostalgique et personnelle sur l’ailleurs et l’ici ; un questionnement constant sur sa relation au Liban. Car elle fait partie de la génération de la guerre, cette tranche de la population née quelques années à peine avant le déclenchement des « événements » et qui a grandi à l’ombre des différents épisodes de bombardements et de paix. Entre phases de réclusion dans les abris, d’exil à l’étranger ou encore de séjours prolongés dans les centres balnéaires… Justement, à l’instar de beaucoup de ses compatriotes de la même tranche d’âge, les souvenirs de jeunesse de Karine Wehbé sont intimement liés à ces agglomérations de chalets autour des piscines qui ponctuent le littoral nord de Beyrouth. Relativement épargnés par les bombardements, ces complexes balnéaires, dont la plupart se sont développés durant les années de guerre, ont connu l’apogée de leur fréquentation au cours de cette période de conflits. Pour les habitants de Beyrouth et des autres régions pilonnées par les obus, ils constituaient des havres de paix (même s’ils ont, eux aussi, subi leurs épisodes de violence). Tandis que pour nombre de Libanais de l’étranger, ils étaient les lieux privilégiés de leurs retrouvailles estivales avec le pays. 

Décor bleu piscine
Karine Wehbé faisait partie de ces derniers. Ayant grandi en France, depuis l’âge de 10 ans, c’est entre Tabarja Beach, Kaslik, Aquamarina, Rimal et Portémilio qu’elle revenait passer une bonne partie de ses étés d’adolescente. C’est, donc, dans ce décor bleu piscine, sur fond de clapotis et de rires d’enfants, que se sont tissées les images, forcément ensoleillées, qui constitueront plus tard sa mémoire libanaise. Quelques années plus loin, au tout début des années 90, c’est aussi au Jet Set, boîte branchée de Tabarja, qu’elle connaîtra ses premiers émois amoureux…

Autant de souvenirs qui émergeront, des années plus tard, en 2008 plus précisément, à l’occasion d’un workshop intitulé « The Ruins in the City », initié par 98 Weeks et auquel elle participe. « Le thème de cet atelier m’a amenée à m’interroger sur mon rapport à la mémoire du pays. J’ai alors réalisé que les centres balnéaires, dont certains étaient tombés en désuétude, avaient une place centrale dans ma vie, dans ma mémoire et celle que j’avais du pays », dit-elle. Dès lors, la jeune femme tentera, avec acharnement, de capturer l’éphémère souvenir des moments (qu’elle y a) passés. Outre une performance in-situ de reconnexion avec les vestiges (et vertiges) de ses émotions d’adolescente, elle plongera dans les archives, aussi bien de la presse écrite qu’audiovisuelle, documentant l’émergence et le développement de ces centres balnéaires. Cette immersion dans le proche passé enclenchera un tournant important dans sa pratique artistique. À partir de là, la jeune artiste, diplômée en design graphique de l’ESAG Penninghen (Paris), abandonnera les expos photos et peintures pour se lancer dans un projet au long cours axé autour des histoires d’architectures et de territoires géographiques de ces complexes du littoral nord. 

Juillet 2006, l’effondrement du rêve…
Ce travail de recherches artistiques assouvissait, enfin, « ce besoin viscéral de comprendre », cette quête de sens qui tarabustait Karine Wehbé depuis son jeune âge. Un besoin de mieux comprendre le Liban notamment, de s’y plonger plus en profondeur, qui s’était d’ailleurs révélé, deux ans plus tôt, lors de la guerre de juillet 2006. « Cette guerre a constitué pour moi un rappel à la réalité. J’ai vraiment grandi cette année-là. Avec elle, s’est effondré le rêve de reconstruction du pays qui m’avait ramenée à Beyrouth à la fin de mes études universitaires dix ans plus tôt. » D’ailleurs, à son retour en 1998, elle avait fondé, avec son ami de l’époque, Wadih Safieddine, L’Espace SD pour lancer et promouvoir les nouveaux talents artistiques. Espace que reprendra, deux ans plus tard, sa cousine Sandra Dagher. « Car, malgré tout l’enthousiasme et l’énergie que j’y avais mis, je m’étais rapidement rendu compte que j’étais trop sauvage, trop éprise de liberté pour gérer une galerie, assure la jeune femme. Donc, à partir de 2006, je n’ai plus fantasmé le Liban. J’ai pris ma caméra et j’ai été faire des vidéos à Dahyé. J’avais besoin de me mettre à proximité. »

Mais elle a beau vouloir frayer avec la réalité, cette « rêveuse, romantique », comme elle se définit, imprègne toujours ses travaux d’une tendre nostalgie. En 2014, elle coréalise avec Nadim Tabet Summer 91, un court métrage inspiré d’une page de sa propre jeunesse. En 2017, avec l’énorme quantité de documentation accumulée au cours de cette dernière décennie, elle produit un livre Stop Here for Happy Holidays édité par la Biennale de Charjah, à l’initiative de la curatrice Christine Tohmé. Un ouvrage dense (duquel est tirée la matière de l’exposition qu’elle présente au BAR Project Space*) dans lequel elle mixe photographies personnelles, images d’archives, cartes géographiques avec des chroniques intimes et publiques, s’inspirant de ses expériences adolescentes, de ses influences cinématographiques et musicales, ainsi que des mécanismes de la mémoire. Une somme d’images et d’histoires qui racontent ces complexes balnéaires construits à partir des années 60-70 autour de l’idée de luxe. Et qui se sont transformés au fil du temps en théâtre d’événements intimes et historiques formant, rétrospectivement, une projection historico-sociale semi-fictive de la mémoire collective.

« Capturing The Ephemeral » jusqu’au 11 mai
The BAR Project Space à Gemmayzeh, rue Youssef el-Hayeck.

21 octobre 1972
Naissance à Beyrouth.
 
1982
Départ en famille à Paris.

1996
Elle décroche son diplôme
en Graphic Design de l’ESAG
Penninghen (Paris).

1998
De retour au Liban, elle fonde avec Wadih Safieddine
L’Espace SD.

2006
La guerre de juillet déclenche une nouvelle approche
dans son travail.

2008
Elle entame « The Beach Resorts of Northern Lebanon »,
son projet en cours.

2014
Elle coréalise avec Nadim Tabet « Été 1991 », court métrage récompensé du Prix du Pavillon et du Prix de la Sacem de la meilleure musique originale (signée Charbel Haber).



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