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Idées - Législatives 2018

Législatives libanaises : sans réforme des partis, la proportionnelle est un échec

Les députés libanais ont élu, le 23 mai, le nouveau président du Parlement, en la personne de Nabih Berry, et le vice-président de la Chambre, en la personne d’Elie Ferzli. Jamal Saidi/Reuters

À la lumière des résultats des dernières élections législatives, l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel n’a pas honoré les espoirs placés en sa capacité à ouvrir la voie à une véritable réforme politique au Liban. De fait, son impact s’est limité en grande partie à déplacer l’équilibre des pouvoirs entre les élites politiques existantes.

Certes, la nouvelle loi électorale du Liban a introduit pour la première fois des bulletins de vote préimprimés ; stimulé une certaine concurrence – quoique nettement déséquilibrée – entre les listes électorales (avec une moyenne de cinq listes par circonscription) ; tandis que le nombre de femmes candidates a atteint un record (86 contre 12 en 2009).

Cependant, cette élection a montré que si la réforme électorale est nécessaire, elle n’est pas suffisante pour mieux représenter les différents segments de la société : la plupart des nouveaux députés sont issus du même milieu politique ou social que leurs prédécesseurs, à commencer par les nombreux fils de politicien et, à l’exception d’une candidate, aucun candidat issu d’une formation politique nouvelle n’a franchi la ligne d’arrivée, tandis que les femmes restent fortement sous-représentées au Parlement.


(Lire aussi : Considérations sur le nouvel ordre parlementaire libanais)


Absence de débats
L’une des principales dispositions de cette loi portait sur l’obligation de désigner les candidats sur une liste fermée, ce qui aurait dû favoriser une certaine cohérence – largement absente de la politique libanaise – entre les candidats d’une même liste. Or cela n’a pas été le cas. D’abord, la complexité des alliances conclues entre les partis pour leur permettre de gagner des sièges à tout prix – en dépit des différences personnelles, idéologiques et politiques – les a conduits à s’allier dans certaines circonscriptions et s’affronter dans d’autres, au prix d’une réelle confusion.

Une fois les listes formées, la bataille s’est ensuite déportée dans de nombreux cas au sein même des listes, les candidats ferraillant entre eux pour obtenir les votes préférentiels, selon un système qui s’est avéré de facto similaire à celui de la proposition de loi dite « orthodoxe » (2012), qui prévoyait que les électeurs votent pour des candidats de leur communauté. Cela a ainsi réduit la notion de représentation politique à des enjeux confessionnels largement artificiels, au détriment de tous les autres, à commencer par l’affirmation d’une vision nationale et la capacité des citoyens à demander des comptes à leurs dirigeants.

Un phénomène renforcé par le fait que les partis ne se sont guère appuyés sur de véritables plateformes programmatiques pour faire campagne. Si les débats sur les enjeux socio-économiques des politiques publiques sont traditionnellement absents des discours politiques libanais, on pouvait espérer qu’un mode de scrutin proportionnel introduirait ce type de débats dans la campagne électorale. Or la plupart des programmes rédigés par les partis politiques se sont avérés être des recueils de lieux communs, avares de détails et, surtout, dépourvus de tout cap ou toute vision politique.

Même lorsqu’un parti a formulé des objectifs tels que le soutien au secteur productif, la réforme fiscale ou celle du secteur de l’électricité, le prétendu consensus entre ses membres s’est arrêté là et les programmes ont été plus qu’évasifs sur les mesures concrètes à prendre pour atteindre le but visé. Par conséquent, les partis se sont attelés à ce qu’ils savent faire le mieux : forcer la main des électeurs. D’abord, par les achats de voix, en espèces ou en nature (paiement des frais de scolarité ou médicaux, promesses d’embauche dans le secteur public, etc.). Ensuite, par l’exploitation de la peur de « l’autre » comme moyen de mobilisation des électeurs.

Il n’est donc pas surprenant que davantage d’électeurs aient boudé les urnes alors même que le scrutin proportionnel est censé permettre une participation plus élevée que le système majoritaire. Craignant que cette apathie ne se traduise par une baisse du seuil d’éligibilité et n’aide les petits partis ou les formations nouvelles à s’emparer de quelques sièges, deux grands partis (le courant du Futur et le Hezbollah) ont même envisagé de prolonger la durée du scrutin, avant de reculer par peur d’entacher la légitimité des résultats. Ce qui n’a pas empêché le ministère de l’Intérieur et des Municipalités d’élargir les zones de vote pour permettre à certains électeurs de voter après l’heure de clôture officielle, en violation de l’esprit de la loi…


(Lire aussi : Résultats des législatives libanaises : le temps des bémols...)


Logique programmatique plutôt que clientéliste
Les partis politiques et les médias ont néanmoins déployé beaucoup d’efforts pour qualifier l’élection de « noces démocratiques », jetant ainsi un voile pudique sur les très nombreuses violations – du secret des suffrages ou de l’intégrité des urnes scellées, entre autres – commises avant et pendant les élections. Au total, l’Association libanaise pour des élections démocratiques (LADE) a signalé 950 infractions, un nombre supérieur à celui enregistré en 2009, dont 222 sont très graves et impliquent des manœuvres d’intimidation. L’incapacité ou la réticence du ministère de l’Intérieur et des Municipalités à faire cesser ces infractions, ou du moins à en informer ouvertement le public, a aggravé la situation ; tandis que le manque de ressources de la Commission de supervision des élections et la démission de l’une de ses membres représentant la société civile, Sylvana Lakkis, ont jeté une ombre sur la crédibilité de cette commission dans l’exercice de sa mission.

La loi électorale et les élections de 2018 peuvent donc difficilement être qualifiées de succès. Le plus grand perdant de ce scrutin est l’électeur libanais, qui a voté ou a été contraint de voter pour les mêmes partis qui n’ont pas fait grand-chose pour lui, si ce n’est l’appauvrir. Cette élection a jeté une ombre sur la façon dont le système de représentation proportionnelle a été conçu et mis en œuvre, particulièrement en ce qui concerne le seuil d’éligibilité élevé imposé par la loi et l’utilisation du vote préférentiel – qui a réduit l’élection à un concours confessionnel dans de nombreuses régions. Il est en outre plus que jamais nécessaire d’établir une commission électorale indépendante – dotée de larges prérogatives et de véritables ressources humaines et financières – pour établir des règles du jeu équitables entre les formations concurrentes et empêcher l’intimidation des électeurs. Enfin et surtout, il est urgent que les partis politiques changent leur façon de faire campagne en substituant une logique programmatique à celle clientéliste et en proposant des offres politiques qui répondent aux préoccupations des citoyens, plutôt que des discours enflammés surfant sur des peurs et thématiques identitaires usées jusqu’à la corde.

Ce texte est la traduction, réduite en accord avec l’auteur, d’une note publiée en anglais et en arabe sur le site de la LCPS.

par Sami ATALLAH
Directeur exécutif du Lebanese Center for Policy Studies (LCPS).





La complainte des urnes, l'éditorial de Issa GORAIEB





À la lumière des résultats des dernières élections législatives, l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel n’a pas honoré les espoirs placés en sa capacité à ouvrir la voie à une véritable réforme politique au Liban. De fait, son impact s’est limité en grande partie à déplacer l’équilibre des pouvoirs entre les élites politiques existantes.Certes, la nouvelle loi...

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