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Liban - Décryptage

Considérations sur le nouvel ordre parlementaire libanais

Les députés libanais arrivant, mercredi 23 mar 2018, au parlement, pour élire notamment le président de la nouvelle chambre. REUTERS/Jamal Saidi

Le nouveau Parlement, qui entre aujourd’hui en fonction, se situe-t-il dans la continuité de celui qui a siégé du 25 juin 2009 au 22 mai 2018 ? Constitue-t-il une copie conforme de son prédécesseur ? Apporte-t-il un changement quelconque ? Quelles sont les similarités et les dissemblances ? Qui a gagné, qui a perdu ? Comment interpréter le fait que la majorité des grands partis ait crié victoire ? La nouvelle Chambre est-elle sous l’hégémonie du Hezbollah ? Gebran Bassil possède-t-il le plus grand groupe parlementaire ? Saad Hariri est-il sur une pente descendante ? Les questions se multiplient au gré des échanges polémiques, et les réponses sont toujours partielles – et partiales.


L’école des fans

Cette difficulté d’apporter des réponses tranchées s’explique en partie par l’absence de système comparatif valable, après le passage du Liban du scrutin majoritaire à une proportionnelle atténuée par un vote préférentiel sur base du caza. L’absence de précédent en la matière facilite donc le fait pour chaque partie de crier victoire. La proportionnelle a certes désavantagé certaines parties au détriment d’autres, notamment le courant du Futur qui, du fait du scrutin majoritaire, était surreprésenté, notamment au sein de la communauté sunnite, et il savait d’ores et déjà qu’une partie de ses sièges était sérieusement menacée. Le mode de scrutin proportionnel a, en revanche, permis aux Forces libanaises de doubler presque son nombre de sièges en milieu chrétien, grappillant notamment sur le terrain du Courant patriotique libre, qui a reculé dans ses fiefs, mais qui a toutefois compensé ses pertes dans d’autres circonscriptions.


Le tandem Hezbollah-Amal a lui aussi bénéficié de la nouvelle loi : il ne risquait pas de beaucoup perdre dans ses fiefs du Liban-Sud, où le fait accompli des armes empêche toute concurrence loyale, mais il s’est assuré un contrôle total des sièges chiites sur l’ensemble du territoire – même à Kesrouan-Jbeil, où, en dépit de la défaite du Hezbollah en raison de l’inacceptation de sa liste dans le microcosme chrétien de la circonscription, le candidat élu a tôt fait de prêter allégeance à Nabih Berry. Quant aux indépendants, à défaut d’alliances de subordination avec les grandes formations, le vote préférentiel, qui requiert une discipline de vote propre aux machines bien huilées, les condamnait d’avance. Il reste que s’il faut adopter le critère du nombre de candidats élus par rapport au nombre présenté par chaque formation, les gagnants du scrutin parmi les grands partis sont sans conteste le Hezbollah, le mouvement Amal (mais, encore une fois, au Liban-Sud – soit 23 sièges ! -, il n’y avait pas de réelle possibilité de percée face à l’hégémonie de ces deux partis), ainsi que les Forces libanaises. Le CPL, avec 86 candidats, arrive derrière. Contrairement aux FL, qui ont formé des listes faites de candidats indépendants prêts à se sacrifier pour garantir le succès du candidat du parti qui chapeautait le peloton, Gebran Bassil a multiplié les candidats de son parti par circonscription.


La stratégie FL se serait donc montrée plus précise et plus payante. Le CPL peut donc se targuer d’avoir le plus grand bloc à la Chambre avec ses alliés, avec 26 députés, auquel il faut ajouter les trois élus du Tachnag – et c’est une réalité et un bon score. Mais ce score est aussi hypertrophié pour la consommation interne – et pour une raison politique majeure : montrer que le mandat Aoun est le grand vainqueur des législatives. Or la manœuvre ne tient pas. Les deux principaux pôles du régime, le CPL et le courant du Futur, sont en recul net par rapport à ce qu’ils étaient. Si bien qu’il convient de se demander si deux mythes politiques essentiels de la décennie précédente, le phénomène Aoun depuis le retour du fondateur du CPL le 7 mai 2005, et la vague Hariri, surtout depuis l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005, ne sont pas sérieusement essoufflés. 
Pas de lendemains qui chantent


Ce qui est certain, c’est que l’abonné absent de ce nouveau Parlement sera le changement, comme devrait l’attester dès aujourd’hui le nouveau sacre à la présidence de la Chambre de Nabih Berry, invaincu à ce poste depuis 25 ans, et le retour d’Elie Ferzli, un héraut des temps de l’occupation syrienne, à la vice-présidence de la Chambre. Les courants politiques qui se targuaient du reste d’incarner la réforme et le changement en 2005 et 2009 sont aujourd’hui les piliers de l’establishment politique, et leur abus de pratiques comme l’ultra sectarisme, le népotisme ou le familialisme politique les ont mis à mille lieues de leur slogan d’antan. (Remarque : en début d'après midi mercredi, M. Berry a été effectivement réélu, et M. Ferzli porté à la vice-présidence du parlement)


Un mini-paradoxe veut pourtant que 63 des membres de la nouvelle Chambre soient de nouveaux venus, contre 50 réélus et 15 revenants, dont une majorité de figures pro-Bachar el-Assad, parachutées grâce aux voix du Hezbollah. Ces 63 nouveaux venus ne sont pas pour autant un signe patenté de renouvellement politique, puisqu’ils ont été élus sur les listes des partis de l’establishment politique – ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils seront inéluctablement des parangons psychorigides du traditionalisme, la « société civile » n’ayant pas l’apanage du changement et du renouveau, puisque des figures partisanes ou indépendantes ont aussi pu être des parlementaires modernes et efficaces. Il reste que les listes d’opposition ont échoué à constituer une alternative à la ribambelle polychrome des listes parrainées par les partis au pouvoir. Le parti Kataëb a perdu son pari de créer une alternative viable sur des bases souverainistes, et les forces dites de la « société civile » (un terme qu’il faut remplacer au plus vite par forces anti-establishment, dans la mesure où la société civile ne se mêle pas d’enjeux de pouvoir) réunies sous le label Koullouna Watani n’ont pas suscité l’enthousiasme des masses, comme le montre le taux d’abstention colossal du 6 mai. A ce niveau-là, les lendemains qui chantent ne sont donc pas pour demain. 


Un Parlement déboussolé

Une autre source de confusion relative au nouveau Parlement s’explique par ailleurs par la conjoncture politique dans laquelle s’est déroulé le scrutin de 2018, radicalement différente de celle de 2009. Le clivage idéologique entre le 14 Mars et le 8 Mars – summa divisio qui avait présidé aux élections de 2009 – a disparu, laissant la place à des alliances transversales entre les formations des deux anciens blocs, sur base principalement de l’accord présidentiel, qui a porté Michel Aoun à la Magistrature suprême. La nouvelle loi électorale – surtout le vote préférentiel – antagonique aux alliances cohérentes et aux grands thèmes politiques stratégiques, a également bouleversé la donne. Le Parlement de 2018 paraît donc implosé par rapport à son prédécesseur, complètement bipolaire.
La question qui se pose dans ce cadre est de savoir sur quelles bases se feront les alliances politiques au sein d’un nouveau Parlement déboussolé sur le plan stratégique ? Seront-elles liées à des considérations purement locales, telles que le positionnement de tout un chacun par rapport au mandat Aoun, ou encore sur la perspective de la prochaine présidentielle, fixée pour 2022 ?  L’hypothèse d’un axe Aoun-Hariri face à une coalition Berry-Joumblatt-Frangié et alliés tient-elle la route dans un tel contexte ? Quel serait dans ce cadre le positionnement du Hezbollah, qui entretient de bonnes relations avec les deux pôles ? Celui d’un maître de marionnettes ? Et les FL ?
Ou bien le forcing américain contre l’Iran, les pressions des pays du Golfe anti-Hezbollah et les développements régionaux finiront-ils par remettre inéluctablement à l’avant-plan le clivage stratégique autour de l’arsenal de la milice chiite ? En termes de 14 Mars/8 Mars (souverainistes vs. pro-axe Iran/Syrie) et s’il faut revenir aux positions politiques traditionnelles des partis dans ce cadre, le rapport de forces à la Chambre est largement en faveur des tenants du 8 Mars (près de 80 députés 8 Mars contre une cinquantaine 14 Mars)  – si on y inclut le CPL, qui se prévaut toutefois aujourd’hui d’un centrisme politique et qui multiplie les déclarations contradictoires, sans avoir vraiment remis en question ses options stratégiques des dix dernières années. Affaire à suivre.    
               

Le nouveau Parlement, qui entre aujourd’hui en fonction, se situe-t-il dans la continuité de celui qui a siégé du 25 juin 2009 au 22 mai 2018 ? Constitue-t-il une copie conforme de son prédécesseur ? Apporte-t-il un changement quelconque ? Quelles sont les similarités et les dissemblances ? Qui a gagné, qui a perdu ? Comment interpréter le fait que la majorité des grands partis ait...

commentaires (4)

Absolument. C'est comme Alice de l'autre côté du miroir. Elle doit courir si elle veut rester sur place Elle a l'impression de courir en avant quand elle recule en arrière Une simple opération de passe-passe opérée par le mandat prestidigitateur.

COURBAN Antoine

07 h 07, le 24 mai 2018

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Commentaires (4)

  • Absolument. C'est comme Alice de l'autre côté du miroir. Elle doit courir si elle veut rester sur place Elle a l'impression de courir en avant quand elle recule en arrière Une simple opération de passe-passe opérée par le mandat prestidigitateur.

    COURBAN Antoine

    07 h 07, le 24 mai 2018

  • UNE COPIE CONFORME DANS SA FORME LA PLUS MAUVAISE ! PLUS DE CONSENSUEL DORENAVANT MAIS LA LOI DE LA MAJORITE QUI ETAIT REPUDIEE HIER AU NOM DE CE CONSENSUEL CHANTE A PLEINE VOIX QUAND C,ETAIT AU PROFIT DES PORTEURS D,ARMES ILLEGITIMES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 35, le 23 mai 2018

  • ca fait plaisir de vous lire MHG surtout en décryptage.. j'aimerais rajouter si vous me le permettez : retour en 2009 quand les forces moumana3istes avaient pris une raclée aux legislatives .. ils ont demander une démocratie consensuelle avec le tiers de blocage (quelle coup a cette meme démocratie) chose qui lui a été donner (par erreur) et donc ils se sont partager le pouvoir IL FAUT ICI RAPPELER A CERTAIN QUI PARADENT QU'EN 2009 CES MEMES MOUMANA3ISTES PAVOISAIENT DANS LES MEDIAS QUE CELUI QUI GAGNENT CES ELECTIONS (2009) DIRIGERAIENT LE PAYS ... maintenant ma question l'accepteraient ils pour leurs adversaires !?!? bien a ce que je sois contre bien sur cette forme de démocratie dénaturer...

    Bery tus

    16 h 01, le 23 mai 2018

  • Celui qui orétend ajouter un seul mot à la chronique de Miche Hajji Georgiou, n'est pas encore né. Le Hezbollah argue de son score aux élections législatives pour exiger une représentation conséquente au sein de l'exécutif. (L'édito de Issa Goraieb) Evidemment, lorsqu'on bâillonne ses adversaires oar la force de sas armes, lorsqu'on les tabassent en les rouant de coups nécessitant l'hospitalisation afin de monopoliser la représentation de toute une communauté, comment appelle-t-on cela ? C'est un spécimen (mastra) de ce qui arriverait au Liban, ce morceau du ciel, si l'empire perse triomphe dans sa mainmise sur notre Patrie.

    Un Libanais

    14 h 46, le 23 mai 2018

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