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Liban - Analyse

Résultats des législatives libanaises : le temps des bémols...

Joseph Eid/AFP

La montagne vient d’accoucher d’une souris… Le ministère de l’Intérieur a publié hier les résultats officiels des législatives. Mais il s’est contenté de rendre publics les scores obtenus par les gagnants, faisant le black-out sur les chiffres des candidats battus. Ce fait, qui contrevient à la législation sur le droit d’accès à l’information – sauf si le ministère y remédie dans un délai raisonnable –, empêche toute analyse approfondie des divers aspects de la consultation et entrave la mise en lumière des effets pervers du nouveau mode de scrutin. Mais enfin, au vu de certains résultats publiés, on les devine, ces effets pervers.


Antoine Pano, candidat des minorités chrétiennes proche du CPL à Beyrouth I, qui a détrôné in extremis sa concurrente de la liste de la société civile Joumana Haddad, donnée vainqueur dans un premier temps, a été élu député avec… 539 voix. Non pas 539 voix d’écart, 539 voix tout court ! Il y a pire : le candidat arménien-orthodoxe sur la liste Fattouche-Hezbollah à Zahlé, Eddy Demerdjian, est aujourd’hui député de la nation avec… 77 voix !
L’explication est simple : la combinaison de la proportionnelle, du vote préférentiel, du seuil d’éligibilité pour les listes et des quotas confessionnels est de nature à créer des situations insolites. Ainsi, à Zahlé, la liste Fattouche-Hezbollah a obtenu un score équivalent à deux fois le coefficient électoral. Deux sièges sur les sept de la circonscription sont donc censés lui revenir. Le candidat chiite est élu, mais M. Fattouche lui-même est battu, son score personnel étant dépassé par ceux de ses adversaires grecs-catholiques sur les autres listes. Après tous les filtrages, il devait toujours rester un siège pour la liste Fattouche, et il est donc revenu par effet résiduel à M. Demerdjian, quoique ce dernier ait manifestement obtenu moins de suffrages que ses adversaires de la même confession sur les autres listes, mais aussi moins que ses colistiers.


(Lire aussi : Législatives libanaises : la répartition des forces au sein du nouveau Parlement)


D’autre part, la faiblesse du taux de participation au scrutin de dimanche (et en général à toutes les élections au Liban) ne fait qu’accentuer les effets pervers du système électoral. Sous la loi de 1960, il y avait un effet trompe-l’œil parce que l’électeur pouvait voter pour plusieurs candidats à la fois. Aujourd’hui, les chiffres des voix préférentielles apparaissent ridiculement bas parce que chaque électeur n’a plus qu’une seule voix à donner. Ainsi, à Beyrouth I, le numéro deux du CPL, Nicolas Sehnaoui, arrivé en tête des candidats dans cette circonscription en termes de voix préférentielles, a obtenu un score officiel de 4 788, soit 11,63 % des suffrages exprimés. Le taux de participation étant de moins de 32 % à Beyrouth I, cela signifie que le candidat le mieux placé est élu député en étant choisi par près de 3,5 % des électeurs inscrits. Pour Antoine Pano, ce taux est de 0,4 %. Et pour Eddy Demerdjian… il vaut mieux s’abstenir, car il y a un zéro de chaque côté de la virgule.
Ces trois cas ne sont pas orphelins. Il en existe à profusion à travers le pays, ce qui devrait pousser les vainqueurs à faire preuve d’humilité, sans que cela signifie, bien sûr, qu’il faille remettre en question les résultats du scrutin, du moins hors de la procédure menant au Conseil constitutionnel.


(Lire aussi : Le plus jeune, le plus âgé, les nouveaux députés : radiographie du nouveau Parlement



Les équilibres politiques
Voilà pour ce qui est des résultats individuels des candidats. Cependant, des bémols devraient aussi être apportés à certaines conclusions hâtives faites autour des scores des diverses formations politiques. Se fondant sur des apparences qui, lorsqu’elles sont confrontées à la complexité du contexte libanais, peuvent parfois s’avérer trompeuses, de nombreux titres de la presse mondiale ont conclu, au soir du 6 mai, à l’affaiblissement conséquent de Saad Hariri et au renforcement non moins conséquent des alliés de l’axe irano-syrien. C’est du moins ce qui intéresse le plus le monde extérieur. Le rapport des forces interchrétien passe au second plan.
Indéniablement, le courant du Futur a subi un important revers lors de ces élections, perdant plus du tiers de ses effectifs parlementaires. Mais une rapide analyse montre que cet échec doit être relativisé pour les raisons suivantes :
1- La primauté du courant bleu chez les sunnites n’est guère remise en question, même pas effleurée. Alors que le phénomène Achraf Rifi a fait pschitt, les autres challengers potentiels s’avancent tous en solo, y compris Nagib Mikati. Ce dernier, s’il parvient à rafler quatre sièges à Tripoli (contre trois au Futur), réussit cependant le tour de force négatif de n’avoir qu’un seul sunnite dans son nouveau bloc : lui-même.
2- Les pertes de sièges ne traduisent qu’un léger tassement de la popularité du Futur auprès de son public, étant essentiellement le fait du changement de système électoral.
3- L’absence de majorité sui generis au sein de la nouvelle Chambre, la multiplication des coalitions ad hoc en fonction des thèmes et le partenariat avec la mouvance aouniste donnent au Premier ministre une latitude qu’un bloc parlementaire plus vaste n’est pas en mesure de lui offrir dans une Chambre plus clivée, comme c’était le cas avec la législature de 2009.
Pour mieux comprendre les résultats en termes de sièges, il faut rapprocher les chiffres du Futur, du CPL et des FL. Tous trois ont vu leurs effectifs bouger en raison du changement de mode de scrutin : le premier parce que sous la loi de 1960, il était anormalement surreprésenté, le troisième parce qu’au contraire, il était anormalement sous-représenté, et enfin le courant orange parce qu’il a bénéficié d’un effet de compensation entre les régions où il était sous-représenté et celles où il était surreprésenté.
Si nous prenons les régions où le Futur et le CPL exerçaient respectivement, grâce à la loi de 1960, une domination presque sans partage, on observe un effondrement de même ampleur dans les deux cas. Pour le Futur (l’ancien Beyrouth III plus le quartier de Bachoura, Tripoli, Minié-Denniyé, Akkar, Saïda et Békaa-Ouest-Rachaya), nous étions à 29 sièges sur 38, nous sommes aujourd’hui à 16 sur 37 (le siège des minorités chrétiennes ayant été transféré à Beyrouth I). Pour le CPL (Jbeil, Kesrouan, Metn, Baabda et Jezzine), le rapport est de 20 sur 25 en 2009 et de 11 sur 25 en 2018. La différence entre Futur et CPL est que le premier n’avait plus de régions de réserve, l’espace sunnite étant naturellement plus restreint que l’espace chrétien, alors que le second disposait encore des circonscriptions d’où il avait lui-même été exclu en 2009 (surtout Beyrouth I, Zahlé et Liban-Nord). Dans ces régions, la mouvance aouniste fait, en 2018, aussi bien que les FL au Mont-Liban.
Certes, on doit ajouter que la bonne tenue des candidats FL dans l’ensemble trouve aussi son origine dans d’autres paramètres, à commencer par l’image positive que laissent auprès d’une grande frange de l’opinion (même hostile aux Forces libanaises) les ministres FL sortants, tout comme la tactique électorale adoptée par un Samir Geagea qui a manifestement bien assimilé les forces et faiblesses de la nouvelle loi.


(Lire aussi : Le retour de figures proches de Damas au Parlement libanais, « une gifle pour le camp souverainiste » ?)


L’axe irano-syrien
Aux résultats du Futur, du CPL et des FL, il faut également adjoindre ceux de la mouvance joumblattiste. Là aussi, le leadership paraît intact, malgré la réduction du stock parlementaire (de 11 à 9 sièges).
Pour ce qui est du tandem chiite, un constat s’impose : celui d’une loi électorale dont les effets, bénéfiques ou pervers, ne doivent s’appliquer que chez les autres. Le verrouillage qu’exercent le Hezbollah et son allié obligé sur les terres chiites aux plans politique, sécuritaire, psychologique, etc. font que dans ces régions, il est impropre de parler d’élections. Rien n’illustre a contrario mieux ce verrouillage, hermétique aux législatives, que la relative ouverture dont fait preuve le Hezbollah aux municipales, afin de donner le change.
En ce qui a trait aux scores, les effectifs du tandem chiite (31 sièges au total au lieu de 26 précédemment), aux côtés de la dizaine d’anciens et de nouveaux députés pro-axe irano-syrien, flirtent avec le tiers du Parlement (43 sièges), surtout si on y ajoute les trois députés Marada. Il s’agit certainement d’un vecteur de blocages futurs, mais pas nécessairement d’hégémonie sur la Chambre.
Enfin, un mot sur la société civile. Le gain d’un siège à Beyrouth I est comme l’arbre qui cache la forêt. L’échec est patent, il faut le reconnaître et essayer d’en comprendre les causes. Mais le risque est de verser une fois de plus dans le populisme, le « tous pourris » et la théorie du complot, en mettant tout sur le dos du seuil d’éligibilité. Le taux d’abstention, surtout à Beyrouth I, est là pour démontrer qu’il y a aussi autre chose…


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Et tous les articles concernant le résultat des législatives sont dans notre espace dédié  



La montagne vient d’accoucher d’une souris… Le ministère de l’Intérieur a publié hier les résultats officiels des législatives. Mais il s’est contenté de rendre publics les scores obtenus par les gagnants, faisant le black-out sur les chiffres des candidats battus. Ce fait, qui contrevient à la législation sur le droit d’accès à l’information – sauf si le ministère y...

commentaires (7)

Ou est la Verite ????si verite existe sur cette terre..C'est lamentable....

Soeur Yvette

16 h 18, le 10 mai 2018

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Commentaires (7)

  • Ou est la Verite ????si verite existe sur cette terre..C'est lamentable....

    Soeur Yvette

    16 h 18, le 10 mai 2018

  • Il faut d'urgence donner les chiffres exacts de toutes les circonscriptions afin d'etudier mieux ce qui s'est passe pour un et chacun Pourquoi le retard si de toute facon tout a ete compte , les chiffres disponibles et les resultats officiels donnes? Que faut il truquer avant de donner les chiffres , si il y a trucage evidement

    LA VERITE

    15 h 52, le 10 mai 2018

  • Parler de "verrouillage" de l'électorat chiite par le tandem Hezbollah-Amal est impropre est trompeur, voire malhonnête. Le Hezb ne peut compter sur la fidélité que d'une petite moitié de sa communauté, Amal sur une autre petite moitié. Or ce sont deux partis totalement distincts, avec des histoires et des idéologies très différentes et qui se sont même fait la guerre par le passé. C'est exactement comme si on disait que "la communauté maronite" est totalement verrouillée, sans partage, par le CLP et les FL", ce qui serait absurde. Mais cette absurdité ne ressort que parce que ces deux partis ne sont pas franchement alliés, alors que Hezb-Amal le sont.

    Jean abou Fayez

    14 h 47, le 10 mai 2018

  • QUI S'EN FICHE ? puisque l'EU a decrete sa satisfaction !

    Gaby SIOUFI

    09 h 41, le 10 mai 2018

  • On est fort au Liban. On met le comique dans le politique sans même sourciller... Allah yisseiidna

    Wlek Sanferlou

    09 h 37, le 10 mai 2018

  • Il n'existe nulle part une loi électorale parfaite. Cela dit visiblement dans certaines circonscriptions des aberrations ce sont apparues affaiblissant ainsi l'image du code électoral. Il est important que la république améliore son image et le mode d'accès aux représentants du peuple au sein de ses institutions. Mais... La loi, c'est la loi... Nul n'est censé ignorer la loi! En même temps, elle reste perfectible et donc à corriger, améliorer. Bonne chance aux nouveaux élus.

    Sarkis Serge Tateossian

    08 h 32, le 10 mai 2018

  • Des députés représentant moins de 1% des électeurs! Voilà qui montre bien que cette loi électorale n'a rien de démocratique.

    Yves Prevost

    07 h 37, le 10 mai 2018

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