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Culture - À l’affiche

Rester à Nazareth ou fuir ? Qui a tort, qui a raison ?

Filmé comme un road-movie, « Wajib », d’Annemarie Jacir, fait le portrait de la société palestinienne qui vit à Nazareth malgré toutes les difficultés et les contraintes. Un film délicat et subtil, où affleurent toutes sortes d’émotions.

Mohammad Bakri et Saleh Bakri père et fils dans la vie privée et à l’écran. Photo DR

Wajib, c’est le carton d’invitation qu’on distribue en mains propres à l’invité à l’occasion d’un mariage. Mais wajib, en arabe, signifie littéralement devoir. Le devoir d’être loyal quoi qu’il en soit à son pays. Le devoir qu’ont les enfants envers leurs aînés, mais aussi le devoir d’éduquer les enfants qu’on a amenés à la vie et de ne jamais les abandonner.
En préparation des noces de sa fille Amale, Abou Chadi, et son fils Chadi, venu spécialement d’Italie pour aider son père, font le trajet ensemble dans les rues de Nazareth à la rencontre des parents et amis qu’ils veulent inviter. C’est l’occasion pour ce père, dont la femme l’a quitté il y a quelques années pour aller suivre son amant en Amérique, et pour le fils qui, désenchanté, a quitté son pays natal, la Palestine, de se rapprocher… ou de s’éloigner l’un de l’autre. Parce que les rapports conflictuels sont bel et bien présents entre ce père et son fils. Silencieux, sournois ou juste en filigrane, mais présents. Tout comme ce conflit omniprésent qui sévit dans un pays où tout le monde appelle à la coexistence.


Après Le sel de la mer découvert en 2008, la réalisatrice palestinienne Annemarie Jacir, installée en Europe, qui était revenue tourner son film à Nazareth, n’était nullement intéressée de parler de la violence qu’ont à supporter au quotidien les Palestiniens sous occupation, qui est d’ailleurs assez relatée dans les médias, mais de faire un éclairage sur cette ville. Une ville asphyxiée par le poids du rétrécissement des limites (parce que les Israéliens ne veulent pas que Nazareth s’étende), par l’amoncellement des poubelles et par conséquent par la pourriture et des déchets, et certainement par la mauvaise gérance économique, sociale et politique d’un pays en déliquescence. Elle ne porte d’ailleurs aucun jugement de n’importe quelle sorte sur ses personnages, qu’ils soient restés ou partis. Elle semble plutôt avoir de l’affection pour tous.
 
Plein de tendresse
Mais avant tout, le film parle du conflit des générations. De deux visions différentes et de la manière dont on prend son destin en main. Celui qui s’en va, celui qui reste. Celui qui n’accepte pas l’état de choses et celui qui s’y soumet. Tout cela narré avec un dialogue teinté d’amour, d’humour et de grande tendresse. Car si Chadi et Abou Chadi se querellent tout au long du film et ne semblent certainement pas partager le même avis sur un tas de sujets, il n’en demeure pas moins que ces personnages s’aiment profondément. Tourné dans les rues de Nazareth, sur fond de trafics et de rues sinueuses, les sentiments tiennent aussi la route. À merveille. Grâce au phrasé très épuré mais néanmoins très éloquent, Annemarie Jacir sait raconter les liens humains. Souvent, dans un silence qui en dit long. Parce que c’est dans ces silences qu’elle arrive à sonder et à faire parler les âmes. Pour interpréter les rôles d’Abou Chadi et de Chadi, qui mieux que Mohammad Bakri, qui incarne depuis plus de trente ans la Palestine au cinéma et au théâtre ? Premier Palestinien à étudier le théâtre dans une université israélienne (Tel-Aviv), il joue depuis 1983 dans de nombreux films avec des cinéastes européens comme Costa-Gavras (Hanna K.) ou Saverio Costanzo (Private, 2004), qui lui vaut le prix du meilleur acteur à Locarno. En 1998, Bakri réalise son premier film, 1948, un documentaire sur la nakba. Puis Jénine en 2002, où il raconte le sort des réfugiés palestiniens de ce camp victimes dans la même année de l’incursion israélienne la plus meurtrière de la seconde intifada.

Le film est brut, sans aucun appel. Cela lui vaudra la censure, des procès, des insultes et une « interdiction professionnelle ». Dans une interview en 2017 à la télévision française, Mohammad Bakri ne craint pas de prôner deux États souverains indépendants l’un de l’autre : la Palestine et Israël : « Ce serait utopique d’aspirer à un seul pays, bien que je le souhaite profondément, mais pourquoi chacun de ces deux pays n’accéderait-il pas à sa souveraineté ? » Et de poursuivre : « Pour toute arme, j’ai mon cinéma qui parle pour moi et mon peuple. » D’ailleurs, il a enseigné à ses cinq enfants, dont trois jeunes gens devenus acteurs, que la violence est inutile et que seule la parole peut être constructive. Face à lui dans ce film, son fils Saleh lui donne formidablement la réplique. Inoubliable aussi, cette finale tout en retenue qui donne toute sa portée et sa dimension à Wajib.


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