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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Élections irakiennes : une fenêtre d’opportunité pour les sunnites ?

Les chiites avançant en ordre dispersé, Haïder al-Abadi doit rester en bons termes avec les listes sunnites s’il veut sécuriser une majorité absolue au Parlement, et ainsi être reconduit au poste de Premier ministre.

le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, en pleine campagne électorale. Ahmad al-Rubaye/AFP

Serait-ce la conscience qu’il y a une carte à jouer pour les sunnites irakiens ? Le conseil du Fiqh, considéré comme la plus influente autorité sunnite d’Irak, a encouragé les fidèles à se rendre aux urnes pour les élections législatives du 12 mai. C’est une rupture avec l’exhortation rituelle au boycott depuis le scrutin de 2005, qui a inauguré 15 ans de domination d’un tandem chiito-kurde à Bagdad.
Les scrutins post-Saddam Hussein avaient en effet convaincu les sunnites irakiens que le jeu démocratique était dévoyé au service d’une « revanche » chiite et qu’il était impossible de s’insérer dans les institutions politiques par voie électorale. Celui de 2010 notamment avait marqué un tournant dans le rapport des sunnites au nouveau régime. La liste Iraqiyya d’Iyad Allaoui, qui avait réussi le regroupement confessionnel des chiites et des sunnites, avait remporté une majorité de voix grâce à un large soutien des votants sunnites. Mais Iyad Allaoui n’était pas parvenu à se faire nommer Premier ministre. Après des mois de tractations et de combines pas très constitutionnelles, c’était finalement le Premier ministre sortant Nouri el-Maliki qui avait été reconduit. Son second mandat avait été marqué par l’intensification de la campagne de débaassification et une politique quasi systématique de marginalisation des élites politiques sunnites. C’est dans ce contexte de radicalisation autoritaire que l’État islamique (EI) a réémergé en Irak à partir de 2013, établissant un leadership irakien incarné par le « calife » Abou Bakr al-Bagdadi, et recrutant bien au-delà des milieux salafistes jihadistes, parmi les « parias » sunnites du gouvernement Maliki.


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Signes d’ouverture
« Je crois que les Arabes sunnites savent à présent qu’ils doivent participer au processus politique. Haïder al-Abadi a montré des signes d’ouverture à leur intention », souligne Rend al-Rahim, ancienne ambassadrice irakienne aux États-Unis et cofondatrice de l’Iraq Foundation, pour L’Orient-Le Jour. M. Abadi a remplacé Nouri el-Maliki en septembre 2014, ce dernier étant tenu responsable de la débâcle de l’armée irakienne face au blitzkrieg de l’EI. L’homme se présente comme le père de la victoire contre l’organisation terroriste, ce qu’il a manifesté à travers une nouvelle liste électorale nommée Nasr. « Nasr est la liste chiite la plus inclusive », selon Rend al-Rahim. « Des listes Nasr sont présentes dans toutes les zones à majorité sunnite et toutes présentent une figure sunnite importante à leur tête, à l’instar de l’ancien ministre de la Défense Khaled el-Obaidi à Mossoul. »
Nasr accueille également l’un des plus influents clercs sunnites du pays, Abdul Latif el-Humeim. Une véritable prise de guerre que Haïder al-Abadi, favori du prochain scrutin, a voulu optimiser. En février dernier, M. Abadi a appuyé la proposition du prêcheur Ahmad el-Kubaisi de créer une marjaiya sunnite unifiée sur le modèle de celle de Najaf. M. Kubaisi avait critiqué l’absence d’un leader sunnite suprême, comme c’est le cas chez les chiites, et proposé la nomination de Abdul Latif el-Humeim à ce poste. L’intervention de Kubaisi, qui vit à Dubaï depuis les années 1990, avait déclenché l’ire d’une partie de la classe politique sunnite. Le député de l’Union des forces (sunnites) Abdul Rahman el-Luwaisi avait dénoncé une manœuvre coordonnée par Abou Dhabi et Riyad pour barrer la route aux Frères musulmans et affiliés, regroupés au sein du Parti islamique. La marjaiya sunnite n’a pas vu le jour, mais la manœuvre de Abadi en sa faveur montre que l’électorat sunnite est crédité d’une capacité d’arbitrage qu’il n’avait pas lors des précédents scrutins.


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Enjeu du vote sunnite
« Il faut une majorité de 165 sièges pour qu’une alliance soit habilitée à désigner un Premier ministre. Les chiites auront des difficultés à atteindre cet objectif seuls, car ils sont plus divisés qu’en 2014 », explique Rend al-Rahim. Cinq listes à coloration chiite concourent pour les élections, contre trois en 2014. Cette dispersion risque de compliquer encore plus le bras de fer postélectoral habituel au sein de la communauté chiite. Si l’entremise de Téhéran ne parvient pas à atteler ensemble les trois principales listes de Haïder al-Abadi, Nouri el-Maliki et Hadi el-Ameri, le résultat pourrait être le partage entre deux camps chiites de poids à peu près équivalent, l’un dirigé par MM. Maliki et Ameri, l’autre par le Premier ministre sortant. Ce dernier aurait alors besoin d’un assez grand nombre de Kurdes et de sunnites pour former une majorité parlementaire. « Par le passé, les Kurdes étaient les faiseurs de roi. Les sunnites étaient écartés car ils étaient désunis. Mais cette fois-ci, ils disposent d’une réelle opportunité car le camp kurde est divisé en six listes au lieu de trois. S’ils parviennent à s’unifier, les sunnites disposeront d’un levier important », souligne Rend al-Rahim. Concurrencer les Kurdes dans leur rôle de pivot postélectoral sera un défi difficile à relever pour les Arabes sunnites. « La scène sunnite est encore plus fragmentée qu’auparavant, car plus vulnérable à des interférences régionales, de la Turquie, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Qatar. On s’attend à ce que les forces sunnites proches du Qatar et de la Turquie entrent dans une forme d’accord tacite avec les Iraniens, ce qui laisserait les factions prosaoudiennes sur la touche », explique Élie Abouaoun, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord au United States Institute for Peace. « La possibilité d’un accord de principe sur le choix du Premier ministre est plus réaliste chez les Kurdes. Leur opinion publique absorbe encore très mal les divisions partisanes et les deux grands partis kurdes prendront cela en considération. Ils pourraient présenter une liste commune pour la désignation du Premier ministre et après poursuivre des agendas différents », poursuit le chercheur.


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Maquillage électoral
Reste à voir quelle serait la traduction sur le terrain d’une affirmation des sunnites dans les urnes. La plupart des leaders chiites ont dernièrement mis l’accent sur le discours transcommunautaire, pour revivifier le nationalisme irakien et ainsi tirer le plus grand bénéfice électoral de la victoire sur l’État islamique. Mais aucun d’entre eux n’a présenté de vision détaillée pour réconcilier l’État central avec les demandes sunnites pour une dévolution du pouvoir, notamment sous la forme d’une autonomie régionale. La coalition de milices majoritairement chiites des Unités de mobilisation populaire (UMP) assure toujours la gestion sécuritaire et administrative des provinces sunnites de Diyala, Salaheddine, al-Anbar et Mossoul. Si Haïder al-Abadi essaie sincèrement d’échapper au chantage confessionnel, il lui sera difficile de s’émanciper de ceux-là mêmes qui ont permis la victoire contre l’EI. « Abadi est sincère dans ses signes d’ouverture, mais en fin de compte les décisions majeures sont dépendantes de l’Iran », pointe M. Abouaoun. De nombreux observateurs soulignent ainsi que le discours trans-sectaire est surtout un maquillage électoral, visant à arrondir les angles d’un pouvoir dominé par les chiites, où les sunnites seront probablement reconfirmés dans leur rôle de cadet.


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