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Nos Lecteurs ont la Parole - par Zeina ZERBÉ

Le souvenir du retrait des troupes syriennes du Liban il y a 13 ans

Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. Nous ne parlons pas de mémoire contraignante qui assiège, mais de mémoire-souvenir qui lie le passé à l’avenir, la mémoire écrite, non pas seulement la mémoire qui dit les faits mais aussi la mémoire des affects, des incidents qui troublent, des petites et des grandes histoires individuelles, familiales, nationales ; la mémoire des personnes liées aux histoires des partis politiques aussi. Tous ces détails singuliers qui donnent sens, entre autres, à l’histoire vécue qui est transmise psychiquement, socialement et politiquement d’une génération à une autre. Cette mémoire est associée par ailleurs aux sentiments de peur, aux enjeux de menaces identitaires, aux traumas enkystés.
Aujourd’hui, le 26 avril 2018 célèbre le 26 avril 2005, jour du retrait des troupes syriennes du Liban après 40 années d’occupation. Ce retrait militaire était visible et diffusé sur toutes les chaînes télévisées libanaises et internationales. Le retrait politique, quant à lui, est une autre affaire. Il n’est pas visible et ne se dit toujours pas tant que le souvenir est tu et que le 26 avril n’est toujours pas instauré comme jour de fête nationale.
Les quotidiens libanais sont silencieux, le président de la République semble avoir oublié qu’en octobre 1990 il voulait « casser » la tête de Hafez el-Assad. Il a aussi oublié d’inviter au souvenir de ce jour de victoire nationale, son parti préférant commémorer le souvenir narcissique de sa déchéance du 13 octobre 1990. Le Premier ministre a oublié que c’était l’assassinat de son père qui avait été à l’origine de la révolution du Cèdre et a été la principale force instigatrice de la révolution de mars 2005, prélude au retrait syrien. Le président de la Chambre a toujours fait alliance avec les partis prosyriens dont aujourd’hui le Hezbollah qui avait rendu hommage, dans la rue par le biais de ses partisans, aux troupes syriennes lors de leur retrait.
Entre-temps, les fêtes de l’Indépendance se limitent au 22 novembre qui célèbre la fin du mandat français sur le Liban en 1949 et au 25 mai qui commémore la libération du Sud de l’occupation israélienne par la résistance en l’an 2000.
Et la fin de l’occupation syrienne, qui a annihilé le Liban politiquement, économiquement, socialement, psychologiquement de 1976 à 2005, ne mériterait-elle pas un jour de fête nationale ? Sommes-nous seulement condamnés à commémorer les morts des assassinats politiques ? Et le mouvement du peuple – toutes communautés confondues – qui libère le pays par la rue, dans un élan pulsionnel de vie, semblable a minima à une prise de la bastille, ne mériterait pas qu’on s’y arrête ?
Moi je me souviens. Je me souviens de ces témoignages poignants des mères qui allaient en tremblant à Damas pour chercher dans les prisons syriennes leurs fils disparus, combien elles étaient terrifiées lorsque dans la rue des inconnus (SR syriens) les accostaient pour leur demander innocemment et sournoisement si elles venaient retrouver leurs fils… de l’argent qu’elles avaient versé, des bracelets en or qu’elles avaient offerts aux femmes des officiers syriens à la demande de ces derniers promettant un vain accès à leurs enfants.
Je me souviens de nous enfants, du silence contraint de nos parents quand nous étions arrêtés – nous citoyens libanais aux barrages de l’armée syrienne installés sur nos routes et qu’ils nous donnaient l’autorisation de poursuivre nos chemins. À d’autres, ils ne la donnaient pas et leurs proches ne les revoyaient plus.
Je me souviens des humiliations qu’ils faisaient subir aux uns et aux autres en les privant d’un paquet de pain ou de cigarettes, ou lorsqu’ils demandaient aux jeunes hommes de se déchausser en guettant les empreintes des « rangers » pour vérifier leurs éventuelles appartenances à des milices libanaises.
Je me souviens de moi jeune adulte conduisant du côté de Ramlet el-Baida, terrorisée par le barrage syrien, le drapeau qui y est peint et la photo de Hafez el-Assad, par le sourire carnassier des petits soldats incultes et par leurs regards qui pesaient trop.
Je me souviens d’une armée libanaise vaincue par leur simple présence mais aussi par leurs agissements à l’instar de l’incident de la caserne de Fiyadiyé en 1978.
Je me souviens des manifestations auxquelles je participais quand j’étais étudiante à l’USJ, aux jets d’eau que nous lançaient les FSI sous le commandement de Jamil el-Sayyed, je me souviens des discours de résistance du père Sélim Abou, de la résistance culturelle, de l’appel du patriarche Sfeir au retrait syrien en 2000 et du Rassemblement de Kornet Chehwane.
Oui je me souviens. Comme tous les Libanais qui ont habité le Nord, Batroun, Byblos, Jounieh ou Beyrouth de 1976 à 2005.
Oui, les Libanais qui combattent auprès du régime syrien aujourd’hui font fi de cette part de notre histoire. Je peux les taxer comme eux le font avec les partis chrétiens qui ont collaboré avec Israël de collabos. En effet, ils piétinent par leurs alliances politiques et militaires chacune de ces petites parties de nous que nous avions vécues, chacune de nos petites et grandes histoires avec l’occupation syrienne.
Mais plus, alors, si on instaure un jour du souvenir. Ils devraient alors s’arrêter comme nous et avec nous pour commémorer. Nous aussi.

Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. Nous ne parlons pas de mémoire contraignante qui assiège, mais de mémoire-souvenir qui lie le passé à l’avenir, la mémoire écrite, non pas seulement la mémoire qui dit les faits mais aussi la mémoire des affects, des incidents qui troublent, des petites et des grandes histoires individuelles, familiales, nationales ; la mémoire des...

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Superbe article Un des meilleurs de mémoire

Kyriakos-saad Marwan

21 h 41, le 27 avril 2018

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Commentaires (1)

  • Superbe article Un des meilleurs de mémoire

    Kyriakos-saad Marwan

    21 h 41, le 27 avril 2018

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