Selon les chiffres annoncés par le ministère de l’Intérieur hier soir à minuit, date limite pour le dépôt des candidatures pour les législatives du 6 mai, 111 femmes ont officiellement présenté leur candidature. 111 femmes sur 976 candidats, soit un peu plus de 11% de l’ensemble des candidatures, c’est largement insuffisant pour des démocraties ancrées, comme les États-Unis, la France ou d’autres pays, et bien en deçà du quota de 30 % réclamé par les féministes. Mais pour cette démocratie en devenir qu’est encore le Liban, ce chiffre représente une avancée par rapport aux précédents scrutins. Lors des législatives de 2009, 12 femmes seulement avaient présenté leur candidature pour siéger au Parlement sur un total de 702 candidatures. En 2005, elles n’étaient que… 4 candidates.
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Quatre ans de travail acharné
Quels que soient donc les résultats du vote de 2018 et le nombre de femmes qui auront gagné leur place au sein de l’hémicycle, le changement est déjà enclenché. Enclenché, parce que, au cours des quatre années écoulées, un important noyau de femmes a effectué un travail remarquable et en profondeur, sur elles-mêmes et sur la société libanaise. Avec l’aide d’associations comme Women in Front, militant pour la participation de la femme dans la vie politique, mais aussi de parrains internationaux, comme les Nations unies, l’Union européenne, les ambassades occidentales, elles ont multiplié les apprentissages, les formations, les rencontres, les initiatives, le lobbying. Non seulement pour être à la hauteur de leur tâche, si elles sont élues, mais aussi pour convaincre les partis politiques et les électeurs que la femme libanaise n’a rien à envier à son compatriote de sexe masculin. Qu’elle a toutes les compétences nécessaires pour traiter de dossiers politiques, même les plus pointus, depuis la loi électorale dans ses moindres détails, jusqu’au dossier des hydrocarbures, en passant par l’économie, le budget, le déficit public, les droits de l’homme, la pauvreté, l’éducation, la santé publique… Et qu’elle doit donc non seulement figurer sur les listes électorales, mais être considérée comme une parlementaire potentielle à part entière, comme une candidate sérieuse surtout, soucieuse de contribuer au développement de son pays.
Vendredi dernier, c’est en présence notamment du coordinateur résident des Nations unies et coordinateur humanitaire, Philippe Lazzarini, de la chef adjointe de la Délégation de l’Union européenne, Julia Koch de Biolley, de la représentante de UN Women, Rana el-Houjeiry, des trois fondatrices de Women in Front, Joëlle Abou Farhat Rizkallah, Nada Saleh Anid et Paola Irani Majdalani, de représentants du PNUD aussi, que s’est déroulée la cérémonie de clôture du projet « Femmes libanaises aux élections » dans les locaux de la YWCA à Aïn el-Mreissé. Un projet du PNUD mis en œuvre par Women in Front et financé par l’Union européenne et UN Women. Après avoir dénoncé la très mauvaise place du Liban en termes de représentation féminine au Parlement (185e sur 193 pays avec 4 députées), et mis en exergue les progrès réalisés à l’échelle mondiale en termes d’égalité des genres, les intervenants ont réitéré « l’importance de la participation féminine à la vie politique », pour une bonne gouvernance, une transparence meilleure, un suivi plus adéquat des problèmes du citoyen… Ils ont surtout insisté sur « la nécessité que davantage de femmes soient élues afin qu’elles travaillent à changer les lois discriminatoires envers les femmes libanaises ». « Votez et présentez-vous », n’ont cessé de lancer aux femmes organisateurs et intervenants.
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Des candidates témoignent
Les nombreux témoignages de candidates étaient immanquablement le clou de la cérémonie. Non seulement ont-ils reflété les pressions familiales, politiques et sociales, jusqu’aux menaces parfois, auxquelles sont confrontées les femmes désireuses de se lancer dans la vie politique. Mais ils ont montré du doigt les difficultés qu’elles rencontrent lors du processus de présentation de leur candidature. Nehmat Badreddine de Nabatiyé souhaitait présenter sa candidature dans sa circonscription. Mais aucun parti politique n’a voulu d’elle. Ils lui ont préféré un homme de sa famille. « On m’a demandé de me retirer pour un proche. J’ai alors décidé de présenter ma candidature à Beyrouth, parce que j’ai un programme. Personne ne pourra m’arrêter », a lancé cette battante.
« Moi, on m’a accusée de diviser la famille, parce que c’est à mon cousin de se présenter », a renchéri de son côté Halimé Kaakour, candidate au siège sunnite dans la circonscription Chouf-Aley. Même déconvenue pour Rindala Jabbour, membre du bureau politique du CPL, qui avait l’intention de se présenter dans la Békaa-Ouest-Rachaya, mais qui n’a pas été présentée par son parti. « Nous les femmes avons deux batailles à mener : au sein de nos partis en tant que femmes, et en politique », a-t-elle constaté, faisant part de son attachement au CPL, malgré tout. Alors pour contrer ce rejet, des candidates font déjà le projet de se regrouper en listes.
D’autres femmes, par contre, ont raconté avoir été approchées par des leaders politiques, comme Carole Babikian Cocony qui se présente à Beyrouth I pour le siège arménien-catholique, et Marie-Jeanne Bilezikjian, qui a présenté sa candidature à Zahlé pour le siège arménien-orthodoxe. D’autres aussi sont fermement soutenues par leurs familles et proches, comme Nayla Geagea, membre du mouvement Li Baladi, qui se présente à Beyrouth II pour l’un des deux sièges chiites. Outre le problème d’achat massif de voix pratiqué par des machines électorales qui décourage celles qui « n’ont pas un million de dollars », nombre de candidates ont fait part d’un problème particulièrement épineux qu’elles rencontrent aussi. « La femme mariée a l’obligation de se présenter sous son nom de jeune fille, a ainsi expliqué Victoria Khoury Zouein, qui se présente au Metn. Elle ne peut donc se présenter au nom de la famille de son époux. Nous réclamons d’avoir le choix d’utiliser le nom de notre choix. » Mais l’option ne semble pas d’actualité pour l’instant. Les femmes n’ont pas de temps à perdre. Elles doivent à présent penser à la seconde étape, à faire partie de listes d’ici au 26 mars à minuit, pour rester dans la course à l’hémicycle.
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19 h 44, le 07 mars 2018