Les longues années qu’elle a passées à défendre les droits de la femme, ajoutées aux atermoiements du législateur libanais à ce niveau, ont poussé Zoya Jureidini Rouhana, directrice de l’ONG Kafa, à présenter sa candidature aux prochaines législatives dans la circonscription de Chouf-Aley, au siège grec-orthodoxe de Aley.
Sous ses airs de femme simple, réservée et calme, Zoya Rouhana bouillonne de colère contre une classe politique qui néglige, selon elle, la moitié de la population. « La femme ne peut pas continuer à mendier ses droits les plus élémentaires, martèle-t-elle. Les choses doivent changer. »
Dans les locaux de Kafa, situés à Badaro, elle met les dernières touches à un courriel, discute d’un cas avec l’avocate de l’ONG, répond à une dernière sollicitation… Zoya Rouhana est connue pour son travail au sein de l’organisation qu’elle a cofondée en 2005 et qu’elle préside. Son engagement social remonte toutefois aux années de la guerre.
Originaire de Choueifate, caza de Aley, elle a rejoint dès les années de la guerre l’équipe de la Commission libanaise pour les droits de la femme. « À cette période, on se sentait poussé vers l’action sociale », se rappelle-t-elle. Plus tard, « je me suis engagée dans le Secours populaire (al-Najdé al-chaabiyé) où j’ai occupé le poste de secrétaire aux droits de la femme ».
Son vrai combat a commencé en 1995. Cette année-là, les préparatifs pour la quatrième édition de la Conférence mondiale sur les femmes, qui devait se tenir à Pékin, battaient leur plein. Des auditions étaient organisées dans différentes régions du monde, dans le cadre desquelles étaient recueillis les témoignages de femmes victimes de violence domestique. « Nous avons voulu organiser, en coopération avec des associations qui collaboraient avec le Secours populaire, une audition à Beyrouth pour recueillir les témoignages de femmes de la région, se souvient Zoya Rouhana. Au Liban, la notion de la lutte contre la violence domestique n’avait pas encore imprégné la société, alors que dans plusieurs pays arabes, des actions étaient entreprises pour contrer cette violence. Au Maghreb, à titre d’exemple, des centres d’écoute étaient déjà mis en place et des campagnes étaient menées pour amender les lois de statut personnel. »
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Effet boule de neige
L’audition a connu un franc succès. « Nous avons pensé alors à créer un réseau régional pour mieux suivre la question de la violence exercée contre les femmes, souligne Zoya Rouhana. Le tribunal arabe des femmes a ainsi vu le jour. Il a été actif pendant de nombreuses années et a conduit à la naissance de plusieurs mouvements de lutte contre la violence domestique dans nombre de pays arabes où cette question n’a jamais été abordée, comme le Liban, la Syrie et l’Égypte. Nous avons organisé une deuxième audition à Beyrouth en 1998. Entre-temps, la Commission nationale pour la lutte contre la violence faite aux femmes a vu le jour, en 1997. Cette commission a créé le premier centre d’écoute du Liban. Elle a aussi mis à la disposition des femmes victimes de violence une hotline, la première dans le pays. »
Ce mouvement de lutte contre la violence domestique et en faveur des droits de la femme a fait un effet boule de neige. D’autres associations florissaient. En 2005, après avoir quitté la Commission nationale pour la lutte contre la violence faite aux femmes, Zoya Rouhana a cofondé Kafa. « Nous n’avons réalisé l’ampleur du problème au Liban que lorsque nous avons commencé à recevoir des femmes victimes de violence, souligne-t-elle. C’était le choc. Nous pensions que malgré la guerre, le Liban restait un pays développé à plus d’un niveau. Cela m’a poussée à remettre en question de nombreuses idées liées à la condition féminine au Liban. J’ai réalisé à quel point les femmes étaient victimes de violence morale, sans qu’elles ne s’en rendent compte, ainsi que d’abus même minimes, comme le fait de déplorer la naissance d’une fille. C’était une expérience importante pour s’engager activement dans la lutte contre cette violence. »
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Quatre axes de travail
Zoya Rouhana aimerait poursuivre son engagement en faveur des droits de la femme au sein de l’hémicycle, si elle réussit à être élue. « La manière dont on traite à la Chambre les dossiers relatifs aux droits de la femme est agaçante, s’indigne-t-elle. Nous ne pouvons pas continuer à mendier nos droits. »
C’est pour pouvoir défendre ces causes au sein de l’Assemblée nationale qu’elle a décidé de faire ce pas. D’ailleurs, son programme est « féministe » par excellence. Il repose sur quatre axes : travailler en faveur d’une loi générale pour la lutte contre la violence faite aux femmes ; œuvrer pour une loi civile obligatoire pour le statut personnel ; œuvrer pour l’égalité devant la loi sur la nationalité ; et amender certaines clauses du code du travail et de la loi sur la CNSS discriminatoires à l’égard de la femme. Le programme de la candidate peut être consulté à l’adresse : www.zoyajureidinirouhana.com
Zoya Rouhana cherche à s’allier à des candidats de la société civile. « Il est difficile de trouver un parti politique qui soit sur la même longueur d’onde, constate-t-elle. Et s’il existe, il fera des concessions sur les dossiers de la femme à la première épreuve. Nous en avons déjà eu l’expérience, en 2014, lorsque les députés qui avaient signé la pétition réclamant que les remarques que Kafa a émises concernant le texte final de la loi sur la violence domestique soient prises en considération lors de la séance plénière n’ont pas élevé la voix. Le texte a été voté, alors qu’il avait été défiguré et vidé de son sens. C’est un des nombreux exemples du manque de sérieux de la classe politique vis-à-vis des dossiers de la femme. »
Et Zoya Rouhana de conclure : « La population est déçue par la classe politique. J’espère que cela se traduira dans les urnes par une volonté réelle de changement. »
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Sahar Baassiri, journaliste, épouse et désormais diplomate...
Bonne chance,voila une personne à qui il faudra voter
15 h 03, le 02 mars 2018