Le simple fait de retwitter un post constitue pour certains un acte passible de poursuites judiciaires. Jessica Azar, journaliste à la MTV, a perçu jeudi cette réalité lorsqu’elle a été notifiée d’une mise en demeure de l’ancien directeur de la Sûreté générale, Jamil Sayyed, lui enjoignant de supprimer un retweet qu’elle avait posté, il y a une semaine, sur sa page. Faute de quoi, elle sera assignée en justice, l’a avertie M. Sayyed, dans sa lettre notariée, estimant que le commentaire en question porte atteinte à sa dignité.
Dans les faits, Mme Azar a reproduit, samedi dernier, sur son compte personnel un tweet d’une autre journaliste, Diana Moukalled, dans lequel cette dernière estime que l’ancien directeur de la Sûreté générale « a entaché de ses mains noires la sécurité, la politique et les médias des années 90 », déplorant qu’« il est le candidat du Hezbollah aux prochaines élections ». « Le pire est à venir », conclut, à ce propos, Diana Moukalled.
Contactée par L’Orient-Le Jour, Mme Azar indique que, jeudi, un huissier s’est rendu au siège de la MTV pour la notifier d’une mise en demeure adressée par l’ancien directeur de la Sûreté générale, l’avertissant qu’elle fera l’objet d’une action en diffamation dans le cas où elle ne retirait pas le commentaire qu’elle a transcrit. La jeune journaliste de la MTV refuse d’obtempérer, et, pour toute réponse, elle assène sur son compte Twitter : « Misérable sera le jour où un ancien sécuritaire deviendra un informateur en chef en tant que député. » La tension monte alors d’un cran, M. Sayyed s’empressant de rétorquer : « Certaines journalistes ont attenté à notre dignité et nous leur avons demandé de supprimer leurs commentaires salaces pour que nous ne soyons pas contraints à les assigner en justice. »
« L’ancien temps est révolu et l’ère des barbouzes est dépassée depuis que l’un de ses symboles (en allusion à l’ancien ministre Michel Samaha, emprisonné depuis deux ans) se cogne la tête contre les murs après avoir été habitué à cogner nos jeunes », tonne alors Mme Azar. Et à L’OLJ la jeune journaliste assure : « Je n’enlèverai pas le tweet et je n’ai pas peur parce que je suis dans mon droit. »
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« Plus de places dans les prisons pour femmes... »
Sur les réseaux sociaux, la polémique a suscité de la part des utilisateurs tant un tollé à l’encontre de M. Sayyed qu’une campagne de solidarité en faveur de Mme Azar. Nombre d’hommes politiques ont également pris le parti de « la liberté d’expression ». Le ministre de l’Information, Melhem Riachi, est ainsi entré en contact avec la journaliste pour l’assurer de sa solidarité, affirmant qu’il se tiendra « aux côtés des médias à chaque fois qu’il y sera porté atteinte ».
Mme Azar a également reçu un appel téléphonique du leader des Forces libanaises, Samir Geagea, qui lui a exprimé son soutien. Elle l’en a remercié sur Twitter, d’autant, a-t-elle estimé, qu’« il est la grande victime des fabrications de ce système sécuritaire qui cherche à sévir à nouveau ».
(Pour mémoire : Sayyed abandonne ses poursuites contre Wissam Hassan « pour cause de décès »)
Réagissant également à cette tentative de « museler les voix », le chef du mouvement de l’Indépendance, Michel Moawad, a écrit sur son compte Twitter : « Je suis solidaire de Jessica Azar face à ceux qui ont pris l’habitude de réprimer la liberté d’expression. Personne ne peut éteindre le flambeau de la liberté d’expression au Liban. »
Également sur Twitter, la journaliste May Chidiac a estimé que « si M. Sayyed va continuer en ce sens, il ne restera plus de places dans les prisons de femmes ». « Il a commencé ses inventions », a poursuivi Mme Chidiac, se demandant « ce qu’il en sera lorsque le Hezbollah en fera un député ».
Pour Akram Azoury, avocat de M. Sayyed, « tout individu a le droit de demander à l’auteur d’une publication de la retirer s’il juge qu’elle lui porte atteinte ». En réponse à la question de L’OLJ de savoir si son client compte engager des poursuites à l’encontre de Mme Azar, sachant que le tweet figure toujours sur sa page, Me Azoury a indiqué que « c’est à lui de décider si oui ou non il donnera suite à l’affaire ».
Sur un plan plus général, Me Azoury préconise « un amendement législatif visant à soumettre les utilisateurs des réseaux sociaux à la loi sur les imprimés, à l’instar des journalistes de la presse écrite et des médias audiovisuels », soulignant que cette loi « leur assurerait une meilleure protection, du moment qu’elle ne prévoit pas la mise en détention provisoire ».
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commentaires (9)
Une démocratie c'est un pouvoir et des oppositions. Dans une démocratie l'opinion publique doit s'exprimer dans le cadre de la loi qui autorise et même sacralise la liberté d'expression. La diffamation et l'atteinte à la dignité des personnes ne peuvent s'appliquer pour contraindre des journalistes ou des simples citoyens, devenant ainsi la règle. C'est une forme d'intimidation qui ne doit pas avoir cours dans un pays digne. (Parlant de dignité)
Sarkis Serge Tateossian
08 h 59, le 25 février 2018