Alors que les regards sont portés sur la bataille de Afrine qui se joue actuellement entre les forces kurdes des YPG et l’armée turque aidée par des groupes rebelles liés à l’ASL (Armée syrienne libre), le régime syrien poursuit son offensive sur les derniers bastions rebelles du pays. Aidé par son allié russe, Damas bombarde sans relâche depuis trois jours la Ghouta, enclave rebelle proche de la capitale, ainsi que le rif d’Idleb à l’ouest du pays. Le Conseil de sécurité a prévu une réunion aujourd’hui à huis clos pour discuter d’une trêve humanitaire d’un mois réclamée par les représentants d’agences de l’ONU basées à Damas. « Nous sommes particulièrement préoccupés par les attaques contre les civils et les installations civiles comme les hôpitaux », a déclaré l’ambassadeur suédois Olof Skoog. Ces attaques sont à l’origine de nouveaux déplacements de population, a-t-il ajouté.
Dans la Ghouta orientale, 145 civils dont des femmes et des enfants sont morts en trois jours de bombardements aériens, l’un des pires bilans en sept ans de conflit. Rien qu’hier, 34 civils, dont 12 enfants, ont été tués selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Mardi, les frappes ont tué 80 civils dont 19 enfants et 20 femmes, et blessé près de 200, selon l’ONG. « C’était la journée la plus sanglante depuis neuf mois dans toute la Syrie, et l’une des plus meurtrières dans la Ghouta orientale depuis des années », a indiqué le directeur de l’OSDH, Rami Abdel Rahmane. Lundi, les frappes aériennes et les tirs d’artillerie avaient déjà tué 31 civils. En représailles aux frappes sur la Ghouta, les rebelles mènent des tirs d’artillerie sur la capitale, et mardi un enfant a été tué dans la banlieue de Damas, selon l’agence officielle SANA.
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Lettre morte
Assiégée depuis 2013 par le régime de Bachar el-Assad, la Ghouta, où vivent plus de 367 000 personnes, est l’une des dernières régions rebelles en Syrie. Elle fait également partie des quatre « zones de désescalade » mises en place à travers le pays pour faire reculer les violences. Mais le cessez-le-feu est resté lettre morte. « Les bombardements se font de jour comme de nuit. Les civils sont visés par toute sorte d’armes possibles », témoigne Wissam al-Dimachqui, porte-parole officiel de l’agence d’information Barada, contacté via WhatsApp par L’Orient-Le Jour. L’agence s’appuie sur un réseau de reporters, photographes et activistes résidant dans la zone assiégée. À Douma, ville qui aurait été la cible d’attaques chimiques de la part du régime la semaine dernière, les avions poursuivaient hier leurs raids mortels.
Le 22 janvier, l’OSDH a en effet rapporté 21 cas de suffocation dans la région, des habitants et des sources médicales évoquant une attaque au chlore. Les États-Unis ont indiqué avoir répertorié six attaques suspectes en Syrie ces 30 derniers jours. Il y a des « preuves évidentes » pour confirmer le recours à du chlore, a déclaré Nikki Haley, ambassadrice américaine aux Nations unies. Hier, dans un hôpital de Douma, les blessés affluaient face à un personnel débordé. « Les tirs d’artillerie ne cessent pas, et le matin ce sont les avions qui bombardent les quartiers résidentiels, et de ce fait la plupart des victimes sont des femmes et des enfants. Des blessés arrivent encore, je dois vous laisser », témoigne par téléphone un journaliste ayant requis l’anonymat en direct de l’hôpital. La région d’Idleb aurait, elle aussi, subi une attaque chimique et plus précisément la ville de Saraqeb, contrôlée par les jihadistes et les rebelles, où 11 cas de suffocation ont été rapportés, selon l’OSDH.
Le docteur Haitham, pédiatre, accepte de témoigner sous couvert d’anonymat, afin de protéger sa famille « restée en zone du régime ». Ce dernier travaille à Saraqeb, à Jabal al-Zawiyah ainsi qu’à Maarat al-Nouman. Ces trois localités sont dans la ligne de mire directe du régime dont le but majeur est d’en finir avec les derniers réduits rebelles mais surtout de sécuriser la route qui relie Hama à Alep. « Depuis dimanche c’est terrifiant », confie le médecin. « J’étais à l’hôpital de Maarat al-Nouman quand les avions ont commencé à bombarder. Nous sommes allés nous réfugier au sous-sol, mais le problème était qu’il y avait 22 nouveau-nés en couveuse que nous avons dû désactiver, ce qui a causé la mort de deux d’entre eux », poursuit le médecin. Les hôpitaux sont pris pour cible par le régime et l’aviation russe, alors que le personnel médical se réduit comme peau de chagrin. « On compte un urgentiste uniquement », déplore le docteur Haitham. « Nous nous sommes malheureusement habitués au danger et c’est notre devoir de faire notre travail », poursuit-il. Quant aux attaques au chlore dont les habitants de Saraqeb auraient été victimes, le médecin affirme ne pas avoir de preuves de celles-ci, même s’il se souvient avoir vu des victimes à l’hôpital présentant les symptômes de ce genre d’attaques.
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Pas question d’abandonner
« On compte en moyenne 75 frappes quotidiennes sur Saraqeb, et la situation est ultracritique. Il n’y a plus de pain, plus d’eau, plus rien », témoigne de son côté Mohammad Barish, 25 ans, un photographe habitant la ville. « On comptait 100 000 habitants ici avant la révolution, désormais nous ne sommes plus que 1 000. Saraqeb n’a plus d’âme », déplore le jeune homme, qui constate le déplacement des civils vers Idleb ou vers la frontière turque. « Moi, je suis inébranlable. Je me suis habitué aux missiles et aux barils d’explosifs », dit-il. « C’est impossible que l’armée du régime prenne Saraqeb, elle devra tous nous tuer. On ne partira pas et nous ne nous rendrons pas. Ce combat est notre dernière chance, nous ne pouvons pas abandonner », affirme de son côté Ali Kaadouny, un secouriste de la défense civile, contacté via WhatsApp. Ce dernier n’a jamais quitté sa ville depuis le début de la révolution en 2011.
Le régime syrien veut clairement mater les derniers fiefs rebelles, alors que les différents processus de paix sont à l’arrêt. L’utilisation du chlore, si elle est avérée, permet de casser un peu plus le moral de populations vivantes dans les zones insurgées et de tester les Occidentaux. Alors que ces derniers multiplient les initiatives diplomatiques pour dénoncer l’utilisation d’armes chimiques, le régime et ses parrains russe et iranien semblent encore vouloir pousser leur avantage sur le terrain, et profiter du fait que le parrain des rebelles, la Turquie, concentré sur Afrine, détourne volontairement son regard des dernières zones insurgées.
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