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Idées - Commentaire

Jérusalem, ou la paix selon Trump

Un graffiti représentant le président des États-Unis, Donald Trump, sur le mur séparant Bethléem de Jérusalem. Thomas Coex/AFP

Le contentieux israélo-arabe est aujourd’hui à un tournant crucial. Suite à la déclaration du président des États-Unis Donald Trump reconnaissant, le 6 décembre dernier, Jérusalem comme capitale d’Israël, puis au voyage cette semaine du vice-président Mike Pence au Moyen-Orient – marqué par un boycott palestinien –, de nombreuses voix se sont élevées pour annoncer la fin du processus de paix et du rôle américain comme « médiateur impartial ». Si ces réactions sont compréhensibles, au vu du symbole politique et religieux de Jérusalem, en réalité, la paix est encore possible. La question étant, bien sûr, de savoir de quelle paix il s’agit.

Il faut d’abord noter que les négociations israélo-palestiniennes sont, pour l’essentiel, à l’arrêt depuis le sommet de Taba (début 2001), au cours duquel les deux parties semblaient s’être entendues (de manière « non officielle » et « non définitive ») sur les contours d’une paix, essentiellement sur base des « paramètres de Clinton », rendus publics en décembre 2000, et portant sur les points de litige – colonies israéliennes, frontières entre les deux États, droit éventuel au retour – et en particulier sur Jérusalem. Il était notamment convenu que Jérusalem-Est, où se trouvent les lieux saints, serait partagée entre les deux États, et que la ville deviendrait capitale à la fois d’Israël et de l’État palestinien. Ces éléments étaient entre autres consignés dans le document (« non paper ») rédigé par Miguel Angel Moratinos, envoyé spécial de l’Union européenne.

Or, si l’échec des négociations fut attribué aux carences de la direction palestinienne et à l’obstination de Arafat, la réalité est plus complexe puisque ce sont les Israéliens qui mirent fin au sommet de Taba, officiellement en raison des élections israéliennes imminentes; lesquelles virent la victoire d’Ariel Sharon, qui mit purement et simplement fin aux négociations. Et si le processus s’est depuis lors enrayé suite aux événements du 11 septembre 2001 et à la crise qui secoue le monde arabo-musulman, il reste que les conditions d’une paix semblaient pratiquement réunies.

« Relever » le prix de la paix
Cette constatation jette un nouvel éclairage sur la déclaration de Donald Trump reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël. Si, par son caractère unilatéral et en apparence indifférent aux droits des Palestiniens, elle a déclenché la colère du monde musulman, ses termes exacts laissent paraître des nuances importantes. D’une part, Trump ne fait qu’entériner, sur le fond, ce que les Palestiniens avaient presque accepté dans le principe il y a déjà près de vingt ans, à savoir que Jérusalem soit capitale des deux États. Et donc, de facto, d’Israël. En outre, il prend soin de préciser que les négociations entre Israéliens et Palestiniens sur le statut final de Jérusalem ainsi que les autres points en litige doivent impérativement se poursuivre et aboutir.

Comment alors interpréter sa déclaration ? En réalité, loin de mettre fin au processus de paix, celle-ci constitue une manœuvre pour le relancer. Ne nous y trompons pas : l’objectif d’Israël (et des États-Unis) est la normalisation avec le monde arabo-musulman et, pour cela, la « restitution » symbolique de Jérusalem à l’Islam constitue un passage obligé. En créant un fait accompli, la déclaration de Trump revient donc à « relever » le prix que les Palestiniens et, derrière, les Arabes devraient payer pour obtenir la paix et une reconnaissance parallèle de Jérusalem comme capitale palestinienne. En outre, en concentrant les regards sur la question de Jérusalem, elle minimise l’importance des autres points (frontières, colonies…), ce qui complique la tâche des Palestiniens et facilite celle d’Israël – qui peut désormais vendre très cher la « carte » de Jérusalem. Mais cela facilite aussi la tâche des Arabes « modérés » (Égypte, Jordanie, Arabie saoudite) qui, en échange de cette restitution symbolique, pourraient clamer victoire et forcer les Palestiniens à faire des concessions – de même que le « franchissement » du canal de Suez en 1973 avait rendu au président égyptien Sadate le prestige lui permettant d’aller à Camp David.


« Paris vaut bien une messe »
Or, qu’ont dit les Égyptiens et les Jordaniens à Mike Pence ? Si le roi Abdallah de Jordanie a confirmé l’importance cruciale de Jérusalem, le président Sissi s’est contenté, lui, de hocher la tête lorsque le vice-président américain a déclaré qu’il était pour une solution à deux États. Il semble en outre que les Américains soient en train de réfléchir à un plan de paix. Quelles sont leurs chances de succès ?

Du côté des États arabes sunnites « modérés », la partie est quasiment jouée, ces derniers n’attendant pour la plupart qu’un prétexte pour initier une normalisation avec un allié potentiel face à la menace iranienne. De leur côté, les Palestiniens, s’ils élèvent le ton face aux États-Unis, pourraient difficilement se passer de la seule superpuissance capable d’influencer Israël, ou refuser une paix si les conditions en demeuraient acceptables. Enfin, les Israéliens ne semblent, eux, pas s’opposer à une paix, voire à un partage de Jérusalem-Est, s’il leur ouvrait en échange les portes du monde arabe : si la loi votée le 2 janvier par la Knesset a relevé le seuil de voix (de 61 à 80) nécessaires pour céder toute parcelle de la ville, elle autorise aussi la redéfinition (auparavant interdite) des frontières de la municipalité de Jérusalem, ce qui pourrait à terme faciliter son partage. « Paris vaut bien une messe », dit l’adage.

C’est du côté du camp pro-iranien que les choses pourraient se compliquer. Car un règlement du conflit et une restitution symbolique de Jérusalem à l’Islam ôteraient au régime iranien une carte idéologique majeure, au moment même où il fait face à un essoufflement interne. Fort de son influence majeure en Irak, en Syrie et au Liban, il pourrait donc être tenté par une action préventive, en créant un schisme entre « pro » et « anti-israéliens » qui recouperait celui entre sunnites et chiites.
Cela ferait-il l’intérêt de Washington, en divisant les protagonistes tout en ouvrant la route à un rapprochement entre sunnites « modérés » et israéliens ? Le régime iranien va-t-il au contraire évoluer pour rompre son isolement ? L’avenir le dira.


Économiste. Dernier ouvrage : « L’effondrement du monde arabo-islamique » (Hermann, 2018).


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commentaires (6)

Désolée, Monsieur Fouad Khoury-Hélou, emportée par ma rage de tout ce qui se passe entre Israël et les Palestiniens plus les "frères arabes" depuis des décennies, j'en ai oublié de vous remercier de votre article qui devrait éclairer pas mal de "participants" aux conflits qui agitent notre région ainsi que le Liban. Donc, mille merci ! Irène Saïd

Irene Said

13 h 09, le 28 janvier 2018

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Commentaires (6)

  • Désolée, Monsieur Fouad Khoury-Hélou, emportée par ma rage de tout ce qui se passe entre Israël et les Palestiniens plus les "frères arabes" depuis des décennies, j'en ai oublié de vous remercier de votre article qui devrait éclairer pas mal de "participants" aux conflits qui agitent notre région ainsi que le Liban. Donc, mille merci ! Irène Saïd

    Irene Said

    13 h 09, le 28 janvier 2018

  • Jusqu'à présent, les Palestiniens n'ont pas réussi a s'unir, et leurs divisions et rivalités se répercutent continuellement jusque dans leurs camps de réfugiés ici au Liban, causant mort et destructions. Qui s'en réjouit et se frotte les mains de plaisir ? Israël ! qui en profite pour continuer tranquillement son plan d'occupation complète de la terre de Palestine. Avez-vous déjà vu les Arabes savoir vraiment s'unir pour une quelconque cause les concernant ? Irène Saïd

    Irene Said

    12 h 11, le 28 janvier 2018

  • comment le peuple palestinien peut il encore esperer de voir la lumiere ? puisque malgre la toute derniere crise les 2 parties , hamas et abbas ne s'accordent toujours pas a trouver LA SOLUTION a leurs divisions ! et C ainsi que les persans voient leur role d'autant plus aise et accru.

    Gaby SIOUFI

    10 h 52, le 28 janvier 2018

  • UNE ANALYSE OBJECTIVE D,UNE PERSPECTIVE SUJETTE A L,ACCEPTATION DES DEUX CAMPS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 42, le 28 janvier 2018

  • Merci Fouad Khoury -Helou pour cet éclairage rationnel , méthodique et bien documenté loin des surenchères. Il apporte une note de réalisme politique dans ce marasme dans lequel nous sommes plongés. Nelly Helou

    Helou Nelly

    15 h 06, le 27 janvier 2018

  • ce serait un plan diabolique S'il parvenait a faire aboutir la paix ! bien evident que ca laisse tres sceptique pr le moment pour 2 raisons : 1- les israeliens seraient ils vraiment POUR ? voudraient ils vraiment la paix a cette condition ? 2-les perso-arabes moumanaistes laisseraient ils les coudees franches aux palestiniens qui voudraient negocier une telle solution de paix ?

    Gaby SIOUFI

    12 h 03, le 27 janvier 2018

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