Leila Bdeir, militante féministe musulmane libano-montréalaise. Photo Rania Massoud
« L'activisme est le loyer que je paie pour vivre sur cette planète. » C'est par ces mots empruntés à l'écrivaine et militante américaine, Alice Walker, que Leila Bdeir, enseignante, blogueuse et cofondatrice de la « Collective des féministes musulmanes du Québec », décrit sa vision du monde. « Chacun de nous doit faire sa part et choisir son combat, affirme la Libano-Canadienne de 42 ans. Certains s'engagent pour la protection de l'environnement, moi, je lutte pour la justice sociale, contre le racisme, le sexisme et l'islamophobie. »
(Edito : Ces Libano-canadiens porteurs de changement)
Originaire de Noumayriyé, un petit village près de Nabatiyé (Liban-Sud), Leila avait moins de deux ans quand ses parents ont plié bagage pour Montréal en 1976, un an après le début de la guerre civile. Avec le recul, elle affirme que c'est dans cette émigration que son activisme plonge ses racines.
« Être une enfant d'immigrés, avec ce que cela comporte de questionnements et de défis, est certainement un des éléments les plus marquants de ma vie. Cela fait partie de mon identité, assure la jeune mère de deux garçons, mariée à un Franco-Marocain. Le fait d'avoir grandi à Montréal dans une famille d'immigrants chiites issus de la classe populaire libanaise, ne maîtrisant ni l'anglais ni le français, a forgé la femme que je suis aujourd'hui. » Leila Bdeir affirme avoir été touchée par la vie de ses parents, qui ont « travaillé très dur », mais « ne se sont jamais vraiment sentis chez eux à Montréal ». « J'ai vu ma mère souffrir de l'isolement et pleurer pendant des heures au téléphone, car ses amis étaient loin d'elle. Tout cela a alimenté mon indignation et allumé une flamme en moi », poursuit-elle dans un arabe qui porte encore les accents du Liban-Sud.
Leila Bdeir lors d'une conférence sur l'islamophobie et la représentation des musulmanes dans les médias au Québec en janvier 2014.
Se réapproprier son islamité
À son arrivée à Montréal, la famille Bdeir s'est installée dans la Petite-Bourgogne, dans le Sud-Ouest de la ville, un ancien secteur ouvrier et industriel qui s'est rapidement embourgeoisé ces dernières années. Dans les années 70 et 80, ce quartier était essentiellement peuplé d'immigrés d'origines asiatique, haïtienne, ainsi que de Québécois. Dire que les immigrants d'origine arabe se faisaient rares dans ce coin de la ville est un euphémisme. « Nous y sommes restés parce que ma mère ne conduisait pas et ce quartier était très proche du centre-ville, raconte Leila Bdeir. Mais mes parents se sentaient très dépaysés. Je me souviens que ma mère sursautait à chaque fois qu'elle entendait quelqu'un parler l'arabe dans le métro et s'empressait de l'inviter dîner chez nous. »
À travers ses études, Leila Bdeir tisse ses propres liens avec sa terre natale. Son mémoire de maîtrise en communications et en sciences politiques, elle le consacre à la situation des femmes au Liban, comme indicateur de démocratie. Dans ce cadre, elle se plonge dans la littérature féministe arabe.
Mais le grand tournant a lieu en 2001, au lendemain des attentats contre le World Trade Center à New York, et la flambée d'islamophobie qui a suivi. Leila Bdeir, qui se dit pourtant « privilégiée » par son aisance à communiquer et son physique qui ne dit pas grand-chose de ses origines, subit les après-coups des attaques. « Avant le 11-Septembre, l'islam n'était pas très présent dans mon identité, explique la jeune femme. Après ces attentats, j'étais catégorisée comme musulmane, peu importe que je sois croyante ou pas, si je faisais le jeûne durant le ramadan ou pas. » « J'ai senti que je n'avais plus le choix, je devais me réapproprier mon islamité selon mes propres termes », confie l'auteur du blog de « L'autre féministe ».
Arrive ensuite l'automne 2013 avec la vague de controverses entourant la « Charte des valeurs », un projet de loi interdisant le port de signes religieux visibles dans la fonction publique qui a suscité des débats parfois passionnés au Québec, avant d'être rejeté. « Le soir même où le Parti québécois annonçait son projet, j'ai réuni dans mon salon un groupe de militantes féministes pour réfléchir à une stratégie contre ce projet-là », raconte Leila Bdeir. C'est comme ça qu'est née la « Collective des femmes musulmanes du Québec ». « Nous avons décidé qu'il était important de nous afficher à la fois comme « musulmanes » et « féministes », car il fallait briser les tabous et brouiller les cartes, même si cela devait créer un malaise », explique la Libano-Canadienne.
De fait, aussitôt créée, la Collective s'attire aussi bien les foudres de certains membres de la communauté musulmane que celles de groupes féministes qui voient une antinomie dans la combinaison de ces deux mots. « Je comprends que cela puisse choquer des gens, surtout avec les médias qui publient des images de femmes en tchador pour illustrer un article sur le voile ou sur le halal, lance Leila Bdeir. Mais il faut comprendre que le combat des féministes blanches n'est pas le même que celui des femmes musulmanes et racisées qui portent littéralement le combat sur le corps, qu'elles soient militantes ou pas. »
Depuis sa création, la « Collective des femmes musulmanes du Québec » publie des éditoriaux et organise des conférences sur des sujets aussi divers que sensibles, comme la décolonisation, la solidarité communautaire, la diversité sexuelle, le racisme et l'instrumentalisation du corps à des fins politiques. Le groupe s'est fait notamment connaître à la suite de la publication d'une lettre ouverte intitulée « Pas en notre nom », pour dénoncer la « Charte des valeurs » et les tentatives visant, selon les membres du groupe, à « transformer certaines de nos concitoyennes en "ennemies de la Nation" ». « Nous (...) qui luttons depuis des années pour l'accès au travail des femmes dénonçons des mesures qui exacerberont leur exclusion et favoriseront la marginalisation économique et sociale », peut-on lire dans la lettre signée par une cinquantaine de militantes.
Leila Bdeir avec son mari Hakim et son fils Malek. Photo DR
« Nous reconnaître dans les autres »
En tant que professeure de sciences humaines et d'études féminines, Leila est souvent invitée comme conférencière dans les campus universitaire et sollicitée par les médias pour parler des défis auxquels sont confrontées les musulmanes au Québec. Une mission d'autant plus importante avec la montée de la xénophobie qui n'épargne pas la province francophone, où le nombre de crimes haineux a plus que doublé au cours des deux dernières années. Cette année a démarré avec un attentat contre la grande mosquée de Québec qui a fait six morts. En juin, une tête de porc a été déposée devant la même mosquée, puis un Coran déchiré le mois suivant. Début août, la voiture du président du Centre culturel islamique de Québec a été incendiée et des excréments ont été retrouvés à l'entrée du lieu de culte. « Cela fait des années que nous dénonçons la montée de l'extrémisme, mais nous vivons dans le déni pour éviter de voir la réalité en face », s'insurge Leila Bdeir. « Et la situation risque d'empirer maintenant que la parole raciste s'est décomplexée », ajoute-t-elle. Mais Leila Bdeir refuse de baisser les bras : « Notre lutte s'inscrit dans un combat beaucoup plus large, qui ne concerne pas uniquement les musulmans, mais aussi les communautés noires, juives et autochtones qui souffrent de discrimination depuis très longtemps, dit Leila. Nous devons nous reconnaître en eux car nous ne sommes pas les seuls. »
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Je pense qu'ici on indique - avec raison - que la "charte des valeurs" du Canada, met en désavantage des femmes musulmanes. C'est au Canadiens, immigrés inclus, donc de trouver une solution. En Europe, on a des discussion similaires ...
17 h 46, le 24 octobre 2017