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Liban - La vie, mode d’emploi

76- Le salut par la générosité (2)

Il y a la générosité des brassées de fleurs qui, soudain, s'abattent sur vous pour saluer vos hauts faits et les recouvrir complètement. Car tout le monde s'extasie devant les monceaux de fleurs et le geste du donateur, et ne voit évidemment plus vos exploits... dessous !

Elles vous étouffent tellement, aussi, ces fleurs, que vous n'avez plus le moyen de protester quand s'abat sur vous, presque immédiatement après, la grêle des mesures disciplinaires punissant votre aventurisme et défaut d'esprit d'équipe dans la réalisation de ce qui passe faussement pour une prouesse ! Je connais ainsi un aviateur qui fut décoré publiquement et mis à pied secrètement pour une manœuvre de sauvetage improvisée, jugée un peu trop acrobatique.

Et, par application de la tactique, prisée depuis toujours par les princes de ce monde, (avec ou sans armes chimiques) du maximum de victimes au moindre coût, on lance, de ces mêmes fleurs généreuses, les épines acérées en direction des témoins. Aussi ne faut-il pas croire que Louis XIV était malheureux lorsqu'il affirmait qu'en octroyant à l'un de ses sujets une place, il faisait « un ingrat et cent mécontents ». Car qu'est-ce qu'un ingrat pour un monarque à côté du plaisir de voir la face verte de jalousie de cent impuissants ? N'est-ce pas seulement ainsi que s'éprouve le privilège de porter le titre de roi soleil, c'est-à-dire de celui capable de faire lever, même dans les cœurs ordinairement bons, l'ivraie de la méchanceté ?

Il y a la générosité de celui qui, chaque fois qu'il vous aperçoit, se précipite sur vous pour vous promettre une invitation à dîner chez lui comme s'il vous accordait là une insigne faveur. Et quand, enfin, il vous convie officiellement dans sa digne demeure et que vous, résigné, acceptez de sacrifier votre émission de la soirée pour ne pas le froisser en vous disant qu'au moins vous serez dorloté, vous découvrez, en vous y rendant, qu'en réalité vous étiez assigné devant un tribunal. Profitant, en effet, de l'aisance que donne le fait d'être au milieu de ses meubles et enfoncé dans ses coussins alors que vous êtes assis sur le bord de votre chaise, raide dans des vêtements plus raides encore, il vous rapporte tranquillement tout le mal qu'il a entendu à votre sujet et qu'il n'est pas loin de penser, à moins que vous ne sachiez plaider votre cause. À vous donc de réussir à vous défendre si vous parvenez seulement à vous ressaisir après ce changement si imprévu de scénario!

Il y a, enfin, la générosité sophistique, disons, plus simplement, sophistiquée et, pour cette raison, la plus perverse. Vous avez commencé vous-même, dans un accès de bonté que seul peut susciter un documentaire sur Mère Teresa, par choisir la personne la plus éloignée de votre cercle habituel et la combler de mille bontés : prévenir ses moindres besoins, satisfaire ses désirs les plus fous, l'encourager dans tous ses projets, s'aveugler sur les ombres surgissant inévitablement. Donc des attentions à foison, jusqu'au vertige, jusqu'à la chute.

Car vient le jour où vous apprenez que l'élu vous a purement et simplement écrasé au bénéfice de ses intérêts. Certains jugeront que c'est bien mérité pour celui qui s'est imaginé faire du Mère Teresa hors des rues de Calcutta, dans des couloirs et des bureaux où l'on ne sait que piétiner et trucider avec des « Je vous en prie Madame » et des « Je vous remercie Monsieur ». Je suis disposée à examiner un jour ce point, mais pour l'instant, je veux terminer mon propos et montrer la perversion sophistiquée de la générosité, car vous devez vous attendre à recevoir une lettre de votre protégé dans laquelle vous serez gratifié d'un exposé vous expliquant, suivant une théorie dont personne ne contestera l'originalité, que le véritable don est celui dans lequel le donateur s'oublie totalement dans sa donation, comme toute sa relation avec vous en est la preuve, et cette missive de surcroît !
La sophistique, ce sont les tours de passe-passe où la main qui prend se donne pour celle qui pourvoit.

 

 

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Il y a la générosité des brassées de fleurs qui, soudain, s'abattent sur vous pour saluer vos hauts faits et les recouvrir complètement. Car tout le monde s'extasie devant les monceaux de fleurs et le geste du donateur, et ne voit évidemment plus vos exploits... dessous !
Elles vous étouffent tellement, aussi, ces fleurs, que vous n'avez plus le moyen de protester quand s'abat sur vous,...

commentaires (1)

""…Profitant, en effet, de l'aisance que donne le fait d'être au milieu de ses meubles et enfoncé dans ses coussins alors que vous êtes assis sur le bord de votre chaise, raide dans des vêtements plus raides encore, il vous rapporte tranquillement tout le mal qu'il a entendu à votre sujet et qu'il n'est pas loin de penser, à moins que vous ne sachiez plaider votre cause…"" N’est-ce pas le portrait-robot d’un Libanais pure sang. La médisance est notre sport national…

L'ARCHIPEL LIBANAIS

11 h 34, le 29 juillet 2017

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Commentaires (1)

  • ""…Profitant, en effet, de l'aisance que donne le fait d'être au milieu de ses meubles et enfoncé dans ses coussins alors que vous êtes assis sur le bord de votre chaise, raide dans des vêtements plus raides encore, il vous rapporte tranquillement tout le mal qu'il a entendu à votre sujet et qu'il n'est pas loin de penser, à moins que vous ne sachiez plaider votre cause…"" N’est-ce pas le portrait-robot d’un Libanais pure sang. La médisance est notre sport national…

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 34, le 29 juillet 2017

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