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Liban - Vie, mode d’emploi

75- Le salut par la générosité

Je ne disserterai pas sur les formes communes de générosité. Quel intérêt peut-il y avoir à répéter ce que chacun sait ? Je me contenterai de certaines espèces qui la rendent pire que l'avarice la plus sordide.
Il y a la façon de celui qui aspire à devenir grand seigneur grâce à sa libéralité et qui se grandit tellement à ses propres yeux en vous jetant une piécette ou un salut que son ombre vous aspire en une bouchée. Et c'est la générosité de l'ogre abritant sous son toit le petit poucet.

Il y a la manière du nouveau venu dans notre pays qui, pour picorer tout à son aise de ces petits plats que l'hospitalité orientale a l'art de multiplier comme à l'infini, vous promet de vous inviter, lors de votre prochain séjour en France, à découvrir le Paris gastronomique : celui de La Tour d'argent bien entendu, mais aussi du gentil petit bistro de quartier, du mythique Chez Maxim's et du très branché Angelina, enfin de l'incontournable chinois, à présent mâtiné de bio et reconverti aussi aux desserts « recettes bonne maman ». Et vous voilà condamné, tout en observant, horrifié, votre hôte achever l'un après l'autre comme dans un stand de tir, vos petits plats au lieu de tout juste les goûter et les déguster afin de prendre surtout le temps de deviser et de sentir les instants se déposer en perles dans la mémoire, vous êtes condamné dis-je à passer la soirée à enfiler, en interminables colliers, des formules de gratitude pour tout ce que vous savez ne devoir jamais ni découvrir, ni goûter, ni déguster... Car à peine le repas englouti, vous serez aussi vite oublié que « les noms vraiment imprononçables » de vos mignonnes assiettes colorées. Et c'est la générosité d'un marquis de Carabas qui a débotté son chat, attrapé sa langue et s'est coiffé de son panache de comédie.

Il y a la façon de celui qui se sert de vos biens non pas seulement comme s'ils étaient les siens, mais comme si lui-même vous donnait largement, presque inconsidérément... parce qu'il ne vous dépossède pas totalement. C'est, par exemple, le jeune homme à qui vous achetez un paquet de calendriers en octobre ou des pots de confiture alors que vous venez d'en préparer et que votre placard en regorge et qui examine encore votre portefeuille en disant : « Croyez-moi, ce billet que vous avez là, il est à moi, car ce que je vous ai donné vaut bien plus que ce que vous m'avez payé, mais je vous le laisse. J'espère que vous apprécierez » ! C'est en petit et en mode « soft » la générosité du brigand qui vous a dépouillé de votre bourse, mais qui demande à être remercié parce qu'il vous a gardé sauve la vie qu'il tenait là, à la pointe de son couteau.

Pourtant, si vous avez une mauvaise conscience de classe, vous jugerez que celui qui n'a pas raison de traiter ainsi, celui qui a encore un portefeuille et un billet dedans. Il faudrait bien sûr conseiller au bourgeois que vous êtes et qui ne s'est pas guéri de sa lecture adolescente du Manifeste un bon coup de Nietzsche et de son explication par le ressentiment ; et si vous êtes l'homme victime de la générosité dévorante et aspirante, un bon coup de vodka pour vous décravater et vous débrailler un peu le langage, et donc railler tout bonnement votre grand seigneur et bienfaiteur. Quant au petit Oriental, qu'il vous arrive d'être aussi, qu'il ne se plaigne pas trop de se voir payé en or du Pérou et invité à faire le tour des châteaux en Espagne, quand il joue lui-même son petit sultan des Mille et Une Nuits dans un minuscule appartement de banlieue misérable !

La générosité mal ordonnée commence par des victimes bien plus que consentantes, toutes offertes sur un plateau d'argent !

 

 

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