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Liban - La vie, mode d’emploi

72- Le salut par le dada

Cela ne fait guère sérieux ; pourtant, un dada est pris très au sérieux par ceux qui en ont... et qui en sont possédés. Ils s'y appliquent comme les petits enfants aux premiers mots qu'ils ont réussi à bien articuler et qu'ils ne veulent plus lâcher, même pour jouer. C'est comme si véritablement il y allait, pour eux, de leur salut.
Une telle importance est attestée également par le mouvement qui s'est fait baptiser du nom de Dada.

Certes, les spécialistes nous apprennent que le hasard a joué un grand rôle dans l'origine de cette appellation, mais de l'avoir adoptée prouve bien que la provocation à tout prix fut le dada des dadaïstes. Cela étant, on comprend que cette obsession du scandaleux ait rapidement cessé d'être le dada de ceux pour qui esthétique rime avec inédit. Rien d'étonnant donc que la fontaine ou l'urinoir, qui marqua le jaillissement du courant dadaïste et qui fut exposée comme une Vénus de Milo, ait vu tarir, après ses premières éclaboussures, son charme bourgeois indiscret. Désormais, les amateurs retiennent difficilement un bâillement quand ils tombent sur sa reproduction sagement consignée dans quelque histoire de l'art.

Ainsi, Dada lui aussi a dû descendre de son dada caracolant en tête du XXe siècle artistique, même si, à l'évidence, ce n'était pas celui de son papa ! On mise actuellement sur de nouveaux chevaux moins fringants– « dada » et « bidet » n'étant que les dénominations roturières de ce « noble » animal dont la nature, selon Aristote, est de courir et qui, effectivement, fait bondir notre imagination et nos espérances.
Mais occupons-nous de dadas moins exceptionnels, plus prosaïques : ceux du simple voisinage, bêchage et, quelquefois, rabâchage.

Je connais, dans ce rayon, un homme qui, à peine rentré de son bureau, se lance dans des travaux de jardinage jusque tard dans la nuit. Désirant lui manifester ma reconnaissance pour le beau paysage qu'il dessine, saison après saison, dans les alentours de ma maison, je lui ai offert L'homme qui plantait des arbres de Giono. J'ai cherché à connaître, par la suite, son jugement sur le personnage que, secrètement, j'appelais son alter ego, mais il se refusa à toute autre parole que celles, coutumières, sur le temps, les semis ou les insectes ravageurs. De ces conversations, je tirai la leçon que son dada était de défricher, sarcler, fumer, etc., et non pas de lire, méditer et tirer des leçons. Il m'abandonnait ce dada studieux. Il n'avait pas besoin, pour se consacrer à son activité, de se prendre pour le héros de notre temps très écolo et de se voir magnifié par la littérature; sa marotte lui suffisait. Il aurait laissé en plan le monde entier pour aller repiquer un plant d'arbre ou arroser ses parterres de pétunias.

Je ne sais s'il parviendra à faire reverdir notre colline, mais son idée fixe est si bien piquée et enracinée en lui que, jusqu'à ses dernières forces, j'en ai la certitude, il continuera à lutter contre la désertification galopante qui, hélas ! semble être le cheval donné pour favori dans le champ de course planétaire. Certains considèrent qu'il est surtout piqué, mais qu'importe si, grâce à sa douce folie, s'épanouissent sous ses doigts frondaisons ombrageuses et fleurs aux pétales d'un velouté de joue d'enfant !

Il y a des dadas moins sympathiques, comme celui d'une autre voisine qui, elle, a la manie de la leçon à administrer et non pas à tirer : je l'aurais souhaitée pâtissière et supportée cancanière avec langue de vipère à l'occasion, mais les difficultés scolaires de ses enfants l'ont transformée en pédagogue à tout crin et donc harassante au possible. Avant même que je n'esquisse mon salut de politesse, en la croisant dans l'escalier, elle a déjà enfourché son dada et s'est lancée dans un discours en trois points, quatre citations et cinq exemples sur la meilleure technique pour composer mes propos et les « communiquer »... Heureusement que je me garde de l'écouter trop longtemps, car elle me ferait perdre le goût de cultiver mon propre jardinet.

 

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