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À La Une - Limogeages

Deux enseignants en grève de la faim, symbole des purges en Turquie

Plus d'un million de personnes sont touchées directement ou indirectement par les purges, selon un diplomate européen.

Un petit groupe continue chaque jour de manifester à Ankara, en Turquie pour la libération de Nuriye Gülmen et Semih Özakça. Photo AFP / ADEM ALTAN prise le 10 juillet 2017

Leurs visages sont devenus un symbole des Turcs se disant injustement visés par les purges massives menées en Turquie depuis le putsch manqué de juillet 2016.

Nuriye Gülmen, une universitaire, et Semih Özakça, un enseignant, ont été limogés par des décrets-lois émis dans le cadre de l'état d'urgence instauré à la suite du putsch manqué du 15 juillet 2016, imputé à la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen.

Après des mois de manifestations quotidiennes dans le centre-ville d'Ankara, ils ont entamé le 9 mars une grève de la faim pour contester leur limogeage, avant d'être incarcérés fin mai sous l'accusation d'appartenance à un groupuscule d'extrême gauche interdit.

Dans un rapport publié fin mai, Amnesty a dénoncé des limogeages "arbitraires" et "politiquement motivés" en Turquie, pointant l'absence de preuves individuelles présentées aux plus de 100.000 personnes concernées. Certaines mesures imposées, "comme l'exclusion totale du service public et l'annulation systématique des passeports, violeraient le droit, même dans le cas où le limogeage serait justifié", a déploré le rapport. Face aux critiques, les autorités turques nient toute chasse aux sorcières et affirment que ces mesures sont nécessaires pour nettoyer les institutions des partisans des réseaux gulénistes.

Un petit groupe continue chaque jour de manifester à Ankara pour la libération de Nuriye Gülmen et Semih Özakça, s'inquiétant pour leur état de santé puisque depuis près de 130 jours ils s'alimentent uniquement d'eau sucrée ou salée, de tisanes et de vitamine B1.

"On sait qu'à ce stade d'une grève de la faim, il y a un risque de mort", affirme leur avocat Selçuk Kozagaçli, expliquant qu'ils souffrent de problèmes d'audition et de vue et qu'ils n'ont plus de force. Par ailleurs, ils refusent d'être examinés par l'équipe médicale envoyée par l'administration pénitentiaire depuis qu'elle a menacé de les alimenter de force. Et les autorités ont refusé qu'ils choisissent leurs propres médecins, selon M. Kozagaçli.

 

'Mort sociale'
Outre les personnes limogées elles-mêmes, une source diplomatique européenne estime qu'"environ un million de personnes sont touchées directement ou indirectement par les purges". En effet, une fois radiées, ces personnes perdent toute source de revenu, souvent leur domicile, ainsi que toute protection sociale pour elles et leurs proches, explique Amnesty.

Le puissant syndicat d'enseignants Egitim-Sen fournit 1.200 livres turques (un peu moins de 300 euros) par mois à chacun de ses membres destitués. Bien peu lorsqu'il y a des crédits à rembourser et quand il leur est impossible de trouver un nouvel emploi en raison des accusations pesant contre eux.

Acun Karadag, l'une des plus de 33.000 enseignants limogés, manifeste quotidiennement en soutien à Nuriye Gülmen et Semih Özakça. Elle a dû s'installer chez sa soeur avec sa fille de 19 ans qui devait préparer cette année son examen d'entrée à l'université. Mais Ipek a préféré soutenir sa mère, restant chaque jour à ses côtés. Esra Özakça, épouse de Semih, elle-même enseignante limogée en février, a entamé une grève de la faim le jour de l'arrestation de son mari. Acun Karadag et Esra Özakça sont depuis jeudi assignées à résidence.

"Ils ne nous ont pas seulement coupés de nos emplois, mais de nos vies", déplore Mme Özakça. "Ils essaient de condamner les personnes limogées à une mort sociale", poursuit-elle. "Vous ne pouvez le cacher à personne, parce que ce sont des listes publiques".

 

(Lire aussi : En Turquie, l’opposition touchée, mais pas coulée)

 

'Peur profonde'
Un juge limogé en août dernier, installé chez sa belle-mère avec son épouse et son fils en bas âge, et qui se présente comme "un opposant de gauche" sans lien avec "une organisation terroriste", affirme que le plus dur est de devoir expliquer sa situation aux gens. Il tient à garder l'anonymat.

Une responsable de l'Union des juges et procureurs Yarsav, fermée par décret-loi l'été dernier, déplore "une peur profonde" dans le système judiciaire, où plus de 4.000 personnes ont été destituées. Selon cette femme, qui a également requis l'anonymat, les juges et procureurs doivent désormais sans cesse penser à la façon dont leurs décisions seront perçues par les autorités.

Une commission, dont les travaux doivent débuter lundi, a été mise sur pied pour traiter les plaintes de ceux qui estiment avoir été mis en cause à tort par les décrets-lois. Mais les personnes rencontrées par l'AFP y voient une manoeuvre du gouvernement pour empêcher les requêtes à la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), qui ne peut être saisie que lorsque tous les recours dans le pays ont été épuisés.

 

 

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