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Liban - Prix Samir Kassir

Le cri de révolte de Gisèle Khoury : « Pour quelle République Samir Kassir est-il donc mort ? »

« L'héroïsme des journalistes arabes » récompensé hier dans les jardins du palais Sursock.

Les lauréats du prix brandissant leurs trophées. Photo Marwan Assaf

« Les journalistes de notre région sont des héros. » C'est par cette phrase pleine de justesse que Gisèle Khoury Kassir a parfaitement résumé l'esprit du prix Samir Kassir pour la liberté de la presse, décerné hier dans les jardins du palais Sursock.
Auteur engagé, Samir Kassir a été l'un des fers de lance de la lutte contre la mainmise syrienne sur le Liban et les abus du pouvoir sécuritaire libano-syrien, mais aussi contre la dictature du régime Assad en Syrie. Un engagement qu'il paiera de sa vie, le 2 juin 2005, lorsqu'une bombe placée sous sa voiture met fin à ses jours. Pour continuer le combat de ses idées, la Fondation Samir Kassir récompense chaque année les journalistes arabes qui élèvent la voix, une cérémonie présentée cette année par la journaliste Diana Moukalled.

 

(Lire aussi : Samir Kassir, une cause toujours aussi vivace)

 

« Il a eu l'audace de s'exprimer »
Douze ans, jour pour jour, après l'assassinat du journaliste libanais, Gisèle Khoury rend hommage à son mari, « tombé pour le Liban, pour l'État de droit, pour la Constitution ».

Ce sont des mots lapidaires que la veuve de l'historien, écrivain et journaliste assassiné décoche face aux représentants du pouvoir et de la classe politique présents à la cérémonie. Gisèle Khoury évoque d'abord les principes défendus de son vivant par le journaliste. « Il voulait que la vérité soit faite (...) sur l'assassinat de Rafic Hariri et de ses compagnons (...). Il ne faisait pas partie des conseillers, des profiteurs ou de la bande (...), et n'était pas un admirateur du projet économique et de reconstruction de Hariri, mais reconnaissait que celui-ci représentait le premier pas vers le recouvrement de l'indépendance. C'est pourquoi il a témoigné en faveur du droit contre l'oppression et a lutté contre l'occupation. Oui, l'occupation. Il n'y a pas d'autre mot plus joli, plus doux ou plus consensuel pour en parler », dit-elle.

« Son corps a volé en éclats dans l'explosion de sa voiture parce qu'il a eu l'audace de s'exprimer, de mener une intifada et de rêver. Tout cela pour quelle République ? » s'est-elle interrogée, en précisant que les titres des articles de Samir Kassir restent d'actualité, douze ans plus tard. « Je n'en dirai pas plus sur le plan politique. La politique n'existe plus. Elle s'est suicidée, ou bien a été tuée. En tout cas, elle n'est plus là », souligne Gisèle Khoury.

« Nous étions peu nombreux à ses funérailles ; aujourd'hui, nous sommes nombreux à commémorer son martyre et décerner ce prix », ajoute-t-elle. Une récompense plus que jamais d'actualité, dans un contexte où « la liberté est violée au quotidien », dans un monde arabe où « les journalistes se battent pour dévoiler la vérité, défendre l'homme arabe et briser le mur de la peur », à l'heure où « les libertés sont bafouées au nom de la lutte contre le terrorisme et l'État islamique » (EI). Mais aussi dans un Liban où les procès se multiplient devant le tribunal militaire pour des propos tenus par des usagers sur les réseaux sociaux. Gisèle Khoury ne manque pas de fustiger, dans ce cadre, la vague de procès récemment intentés par le pouvoir contre 400 personnes, « dont des journalistes célèbres comme Nawfal Daou et Assaad Béchara », dans la polémique sur les navires-centrales électriques. Avant de rendre hommage à Samir Kassab, journaliste disparu depuis quatre ans en Syrie, « que nous n'oublions pas », mais aussi à un jeune journaliste irakien de 25 ans, dernier martyr en date de la presse, tué il y a 48 heures dans une explosion à Bagdad.

 

(Lire aussi : Pour Samir, un bouquet de performances printanières dans la ville)

 

13 % de la population mondiale seulement
« Nous croyons fermement que la plume est plus forte que l'épée. Nous croyons dans le pouvoir des mots et des idées. La liberté d'expression est l'une des fondations sur lesquelles repose une démocratie robuste. C'est pourquoi nous devons toujours nous souvenir de la nécessité de faire face rapidement à toutes les tentatives de brimer cette liberté (...) », affirme de son côté Christina Lassen, chef de la délégation de l'Union européenne au Liban. Car, comme elle le rappelle, « la situation des journalistes s'est détériorée et a atteint globalement l'un de ses niveaux les plus bas en une décennie ».

« La liberté d'expression n'existe plus que pour 13 % de la population mondiale », déclare-t-elle. Et de rappeler que « la presse est soumise à des pressions sociales et économiques partout dans le monde : au Moyen-Orient et dans les pays du Golfe, plusieurs médias souffrent d'attaques et de harcèlement, et les conflits en cours en Irak, en Syrie et au Yémen font de ces pays les endroits les plus meurtriers pour les journalistes ».

En matière de droits des journalistes, un grand fossé sépare la théorie de la pratique, même dans les pays où des législations de protection de ces derniers existent, ajoute l'ambassadrice Lassen, avant de dénoncer les tentatives de régimes autoritaires « d'exploiter les troubles politiques et sociaux comme prétexte pour museler les médias d'opposition ».
La diplomate évoque enfin le rôle de plus en plus important de l'intox, des
« fake news », dont la profusion a atteint un niveau inégalé, ce qui « empêche la possibilité pour beaucoup de personnes de se livrer à un processus décisionnel transparent ».

 

(Pour mémoire : Lancement de la 12e édition du Prix Samir Kassir)

 

Le palmarès
Après ces allocutions, l'heure est à la remise des récompenses. Cette année, 191 productions, venues de douze pays, ont été reçues par la Fondation Samir Kassir. Les thèmes principaux s'articulaient principalement autour du terrorisme, du viol, du harcèlement et de la corruption. Le jury était composé de Yassir « Mani » Benchelah, Martin Chulov, Mark Daou, Alfred Hackensberger, Michel Hajji Georgiou, Amina Khairy et Isabelle Lasserre.

Dans la catégorie « article d'opinion », c'est le journaliste syrien de 24 ans, Issa Ali Khodr, qui l'emporte pour son article suffocant, intitulé « Quand souhaitez-vous m'abattre ? », sur les derniers jours d'un soldat de l'Armée syrienne libre condamné à mort par l'EI et qui attend, sans plus la moindre luciole d'espoir, son exécution dans les prisons du groupe à al-Bab. Le jeune reporter, retenu à al-Bab contrôlée par l'EI, a tenu à s'exprimer par vidéo : « En Syrie, nous avons besoin de journalistes comme Samir Kassir. Je voudrais dédier ce prix à tous les jeunes journalistes qui s'engagent, pour lancer une nouvelle génération d'auteurs », a-t-il dit, évoquant, dans son allocution, la mémoire de Samir Kassir et de Michel Seurat.

« J'élèverai toujours la voix », a déclaré pour sa part l'Égyptienne Ghada el-Charif, lauréate du prix de la catégorie réservée aux articles d'investigation. La jeune femme a enquêté sur le trafic des femmes en Égypte, contraintes, en raison de leurs conditions de vie, de rechercher des ressortissants du Golfe pour les épouser durant quelques jours. La journaliste a dû prétendre endosser elle-même l'identité de l'une de ces femmes pour pouvoir mener à bien son enquête. « J'offre ce prix à l'Égypte, mon journal, aux enfants d'Égypte qui souffrent, à tous les journalistes qui luttent contre les violations des droits de l'homme », a-t-elle affirmé.

Le prix du reportage audiovisuel d'information a enfin été attribué à l'Irakien Assaad Zalzali, pour son travail sur la corruption en Irak. « Beaucoup parlent de terrorisme alors que la corruption est le vrai fléau, le vrai terrorisme qui s'est propagé dans notre monde », a déclaré le journaliste, sous les applaudissements du public.
Le travail engagé de tous les journalistes qui ont participé au prix Samir Kassir rappelle que la liberté d'expression est encore loin d'être acquise dans les pays arabes. En 2017, le Liban se classe ainsi seulement à la 99e position du classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse.

 

Pour mémoire

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« Les journalistes de notre région sont des héros. » C'est par cette phrase pleine de justesse que Gisèle Khoury Kassir a parfaitement résumé l'esprit du prix Samir Kassir pour la liberté de la presse, décerné hier dans les jardins du palais Sursock.Auteur engagé, Samir Kassir a été l'un des fers de lance de la lutte contre la mainmise syrienne sur le Liban et les abus du pouvoir...

commentaires (2)

Les grands hommes les libres les courageux ceux qui aiment leur pays sont peu nombreux...

Soeur Yvette

15 h 02, le 03 juin 2017

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Commentaires (2)

  • Les grands hommes les libres les courageux ceux qui aiment leur pays sont peu nombreux...

    Soeur Yvette

    15 h 02, le 03 juin 2017

  • POUR L,ANARCHIE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 02, le 03 juin 2017

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