Le chef de la diplomatie, hier, en compagnie de l’ambassadeur d’Iran. Photo Dalati et Nohra
Le sommet arabo-islamo-américain de Riyad, qui s'ouvre aujourd'hui, doit annoncer la nouvelle politique de Washington dans la région. Inversant « la logique de l'équilibrisme géopolitique de Barack Obama, qui consistait à favoriser le pouvoir émergent face au pouvoir établi, c'est-à-dire l'Iran face à l'Arabie », l'administration Trump entendrait « circonscrire l'influence iranienne dans la région », explique à L'Orient-Le Jour le conseiller stratégique Jean-Pierre Katrib. Ce que confirment du reste des milieux du 8 Mars. C'est dire la position peu enviable de la délégation libanaise qui se rend demain à Riyad.
Emmenée par le Premier ministre, Saad Hariri, elle sera composée des ministres Nouhad Machnouk, Melhem Riachi et Gebran Bassil. Ce dernier aurait répondu in extremis à la requête de Saad Hariri de l'accompagner, selon une source proche de l'Arabie – ce que démentent les sources du Palais Bustros. C'est en revanche un refus catégorique qu'auraient opposé à M. Hariri des ministres chiites, selon la même source.
Le revirement de la politique américaine dans la région se serait accompli lors de la visite du prince Mohammad ben Salmane, prince héritier saoudien en second, à la Maison-Blanche en mars dernier, à l'initiative de Jared Kushner, conseiller du président américain. La stratégie de Washington était d'ores et déjà établie : limiter les dépenses liées à sa politique étrangère, sans toutefois opter pour l'isolationnisme, loin de là. Le choix a été donc fait d'investir dans l'armement de ses alliés internationaux, c'est-à-dire de rentabiliser sa politique étrangère. Ainsi, après un quasi-gel des livraisons d'armes à l'Arabie sous le second mandat Obama, un contrat d'achat d'armes aux États-Unis, d'une valeur totale de 100 milliards de dollars US échelonnés sur dix ans, pourrait être conclu aujourd'hui lors du sommet, confie M. Katrib.
Outre l'appui militaire américain à Riyad face à l'expansion iranienne au Yémen, en Irak et en Syrie, Washington entendrait interrompre les canaux de financement de l'Iran dans la région, qui passent notamment par le Hezbollah et ses prête-noms au Liban.
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En plus de l'attente de nouvelles sanctions prévues contre le parti chiite qui pèse sur le secteur bancaire, le Liban risque aussi de subir une nette réduction de l'aide annuelle américaine à son armée, n'ayant ni les moyens ni la volonté de l'Arabie de mener une guerre frontale à l'Iran. Selon nos informations, il y aurait actuellement un débat entre la Maison-Blanche et le département d'État autour d'une diminution de l'aide à l'armée libanaise. Les aides annuelles aux armées étrangères d'un milliard deux cents millions de dollars risquent d'être réduites à 200 millions de dollars.
L'opération militaire menée il y a deux jours à Ersal, suivie sur écran géant par le président Michel Aoun et le ministre de la Défense, semble donc avoir été médiatisée dans le but de valoriser le rôle de l'armée que Washington a toujours été prompt à soutenir. Sauf que cette image comporte deux détails qui risquent de motiver le retrait de ce soutien : un ministre de la Défense considéré comme l'allié du Hezbollah – ce dont il ne se cache pas d'ailleurs – et un chef de l'État dont le prétendu recentrage aurait été désavoué par ses déclarations aux médias égyptiens en faveur du Hezbollah, confie à L'OLJ un expert des affaires saoudiennes. Ce serait, selon lui, la raison réelle pour laquelle c'est le Premier ministre, Saad Hariri, plutôt que Michel Aoun qui a reçu l'invitation officielle au sommet de Riyad. Certes, M. Aoun aurait veillé à minimiser cet incident, en estimant que M. Hariri et lui ne font qu'un, apprend-on de source informée.
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Destruction iranienne
Ce serait ignorer toutefois la dimension idéologique de l'offensive Washington-Riyad contre l'Iran. Une dimension fondée, du côté des États-Unis, sur une prise de conscience de la complémentarité entre terrorisme sunnite et chiite. Les milices « terroristes » engagées sur le terrain syrien, pour reprendre la qualification américaine et saoudienne du Hezbollah, sont devenues un ennemi à combattre au même titre que l'État islamique. Il y aurait là l'influence de James Mattis, secrétaire à la Défense, et H.R. Mc Master, conseiller à la Sécurité nationale, tous deux anciens officiers, « qui ont pu voir de première main le régime syrien pousser les jihadistes sunnites vers l'Irak, puis les abriter en Syrie une fois leurs opérations achevées », explique M. Katrib. C'est donc « une véritable idéologie américaine politico-sécuritaire » qui prendra forme à Riyad, selon ses termes. Il n'est donc pas anodin que le président américain ait choisi d'entamer en Arabie sa première tournée officielle dans la région et de rompre avec la tradition de se rendre d'abord en Israël. Le message aux Iraniens est clair, constatent différents milieux politiques au Liban. Un message doublé hier d'un autre, émanant de l'Arabie, qui a choisi la veille du sommet pour insérer sur la liste de terroristes le président du conseil exécutif du Hezbollah, le cheikh Hachem Safieddine.
Sensible à cet état des lieux, Téhéran a vite fait de déléguer hier son ambassadeur à Beyrouth, Mohammad Fatehali, auprès du Palais Bustros. Selon notre chroniqueur diplomatique, Khalil Fleyhane, le diplomate aurait anticipé les positions hostiles à l'Iran attendues à Riyad en conseillant au ministre Gebran Bassil d'expliquer à qui veut bien l'entendre que « l'Iran ne s'immisce pas dans les affaires intérieures du Liban ». Comprendre que Téhéran et ses alliés au Liban tentent de déconstruire la perception saoudo-américaine selon laquelle ce pays est devenu carrément une zone d'influence iranienne.
Cette perception ne semble d'ailleurs pas près de changer. En dépit de l'embarras que risquent de porter au Liban certaines accusations virulentes contre le Hezbollah, Saad Hariri doit réitérer les positions que tous connaissent du Liban : sa solidarité avec les pays arabes contre les ingérences iraniennes dans la région, assortie de réserves lorsqu'il s'agit de qualifier le Hezbollah de « terroriste » et de condamner son implication en Syrie. Les arguments sont invariables : la politique de distanciation, les spécificités « locales » du Hezbollah et sa « résistance » contre Israël.
À Riyad, le Liban sera donc présent, mais par défaut. C'est à cela qu'il s'est désormais réduit.
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Que cache l’invitation adressée à Hariri, mais pas à Aoun, au sommet arabo-américain de Djeddah ?
La politique de distanciation adoptée par le gouvernement devrait justement permettre la condamnation de l'intervention du Hezbollah en Syrie, sans le moindre problème de conscience. Ce sommet représente pour le Liban une opportunité de retrouver un peu de son indépendance en gênant un tant soit peu le Hezbollah. Il serait criminel de ne pas en profiter.
18 h 40, le 21 mai 2017