En dépit des déclarations rassurantes de certaines parties politiques, « un scénario du pire » commence à circuler dans les milieux bien informés. Ce scénario se base à la fois sur certaines informations régionales et internationales, et sur des considérations internes. Le point de départ de ce scénario repose sur l'incapacité visible des négociateurs à s'entendre sur un nouveau projet de loi électorale, alors que les conflits entre eux ne cessent de se multiplier et de s'approfondir. L'élan positif suscité par l'élection présidentielle le 31 octobre dernier et par la formation du gouvernement en décembre a fait long feu.
Les conflits n'opposent plus seulement les parties traditionnelles comme le 14 et le 8 Mars, mais les partenaires au sein d'un même camp. Au point où on commence à se demander si l'objectif final de toutes ces divisions n'est pas justement d'aboutir à une vacance parlementaire. Selon les partisans de cette thèse, les parties politiques ne semblent pas réellement décidées à s'entendre sur une nouvelle loi électorale. D'abord, elles ne cessent de perdre du temps inutilement et ensuite, au lieu de prendre un projet comme base de discussions, elles continuent à sauter d'un projet à l'autre avec une certaine légèreté, comme s'il n'y avait aucune urgence en la matière. De plus, le conflit désormais ouvert entre le chef du CPL, le ministre Gebran Bassil, et le président de la Chambre Nabih Berry laisse supposer que les deux parties qu'ils représentent ne sont pas prêtes à trouver un accord, chacune rejetant toute proposition faite par l'autre.
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Si les positions restent inchangées, il est probable que la date fatidique du 20 juin (le mandat prorogé à deux reprises de l'actuel Parlement tire à sa fin) arrivera sans qu'il n'y ait eu une entente sur un nouveau projet de loi électorale. Dans ce cas, le Liban vivra une séquence inédite de vacance parlementaire, le principe de continuité du service public permettant seulement au bureau de la Chambre de continuer à régler les questions administratives. Les irréductibles optimistes estiment qu'il n'y a pas de quoi avoir peur d'un tel scénario, puisque le Liban a quand même survécu à plusieurs périodes de vacance présidentielle dont la dernière a duré deux ans et demi, alors que tout le monde annonçait un chaos inextricable.
D'autres, au contraire, estiment que la vacance parlementaire est plus grave que celle de la présidence, en raison d'abord des prérogatives différentes des deux institutions (le régime libanais est une démocratie parlementaire, autrement dit la Chambre a d'importants pouvoirs). Ensuite, cette vacance est plus grave en raison du fait que la communauté chiite est essentiellement représentée au sein de l'État libanais par la présidence de la Chambre. Lui retirer aujourd'hui cette influence, en laissant le mandat de la Chambre expirer sans trouver de solution, c'est l'isoler politiquement et institutionnellement au moment où l'une de ses composantes, le Hezbollah, est prise pour cible par les Occidentaux, et plus particulièrement par l'administration américaine de Donald Trump.
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Dans ce contexte extrêmement délicat, la communauté chiite, et en particulier le Hezbollah et Amal, estime que laisser les choses atteindre cette extrémité n'est pas innocent. D'autant que le Liban officiel aurait reçu des informations précises sur une éventuelle frappe israélienne contre le Hezbollah, au Liban ou en Syrie, après la visite de Donald Trump dans la région et plus précisément en Israël et en Arabie saoudite. En effet, les Israéliens considèrent que le contexte actuel avec l'arrivée au pouvoir de Donald Trump et le rapprochement entre ce dernier et les Saoudiens – qui ont fait de la lutte contre l'influence iranienne dans la région leur priorité – est favorable à une opération qu'ils mèneraient pour affaiblir le Hezbollah.
De même, le combat mené par les alliés de la coalition internationale contre Daech en Irak et au sud de la Syrie (dans le triangle à la frontière du Liban, de la Jordanie et d'Israël) a un double objectif : affaiblir l'organisation État islamique, bien entendu, mais aussi couper le lien géographique entre l'Iran, l'Irak, la Syrie, le Liban et la Palestine, et empêcher ainsi l'Iran d'étendre son influence directe dans la région arabe et à la frontière d'Israël. Ce serait, toujours selon cette thèse, la raison pour laquelle au départ, la coalition menée par les États-Unis avait refusé que les forces populaires irakiennes (pro-iraniennes) participent à la libération de Mossoul, tout en misant en Syrie sur les Kurdes, cherchant ainsi à exclure l'armée syrienne et ses alliés. Les forces populaires irakiennes ont finalement été autorisées à participer à la libération du pays pour pallier le manque d'organisation de l'armée irakienne, mais la coalition internationale n'a cessé de chercher à les éloigner de la frontière avec la Syrie.
Ce bras de fer se poursuit en Irak et commence dans le sud de la Syrie. Il pourrait donc se développer sur le terrain, à travers des frappes israéliennes. Or, c'est justement dans ce contexte flou et à hauts risques que se déroulent les tractations internes pour la loi électorale qui pourraient aboutir à une vacance au niveau du Parlement. Le tandem chiite veut encore croire que les intentions sont bonnes et que les débats internes n'ont rien à voir avec le contexte régional, mais il ne peut pas non plus ne pas mesurer les risques dans toutes leurs dimensions. Pour lui, aboutir à une vacance parlementaire dans une telle situation équivaut à un saut dans le vide... contre lequel il est impératif de placer des garde-fous.
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commentaires (7)
Faire des cantons comme en Suisse...
Eleni Caridopoulou
22 h 07, le 16 mai 2017