Dans l'attente de sa mise en œuvre, la politique du nouveau président français Emmanuel Macron dans la région et au Liban semble reposer sur deux éléments. Outre l'inimitié à l'égard de Moscou, corollaire du positionnement proeuropéen de M. Macron, cette politique aurait pour seconde spécificité de prolonger la politique du président sortant, François Hollande. Celui-ci avait été quasiment le seul parmi les dirigeants occidentaux à mettre sur un pied d'égalité le terrorisme et les dictatures, l'État islamique et Bachar el-Assad.
L'éradication de l'un devait passer par l'éradication de l'autre. Une nuance que l'administration Obama a sciemment délaissée. Et que l'opinion publique occidentale peine à saisir: la menace du terrorisme sur ses territoires fait oublier les dictatures sévissant ailleurs, lorsqu'elle n'en justifie pas le maintien. « L'administration Obama a inversé les priorités de la communauté internationale: l'État islamique devenait l'ennemi de l'Europe, et Assad l'ennemi de son peuple », souligne l'ancien député Farès Souhaid à L'Orient-Le Jour. Combattre les deux extrêmes, c'est faire le choix plus difficile de l'alliance des modérés face à l'alliance des minorités. La première est représentée, à titre d'exemple, par l'initiative de l'évêque de Lyon de réunir ses pairs en soutien à Emmanuel Macron, au nom des valeurs démocratiques, rapporte M. Souhaid. La seconde justifie l'appui russe à Bachar el-Assad (les chrétiens sollicitent, par réflexe de peur identitaire, la protection d'un régime perçu comme un moindre mal que le fondamentalisme). Elle est aussi le vecteur de l'hégémonie iranienne dans la région et au Liban.
Dans un entretien accordé à L'OLJ lors de son passage à Beyrouth en pleine campagne électorale, Emmanuel Macron avait séparé les intérêts des chrétiens d'Orient de ceux d'Assad, et dénoncé toute « position d'accommodement » avec celui-ci. Même si sa méthode pourrait différer de celle de son prédécesseur, son engagement serait le même sur le principe.
(Lire aussi : Victoire de Macron : entre bonheur, mécontentement et colère, ce qu'en pensent des électeurs franco-libanais )
Le vote des Franco-Libanais au Liban
« La victoire d'Emmanuel Macron est celle de tous les démocrates sur tous les fascistes, ceux de France d'abord, mais aussi ceux qui sévissent dans de grandes capitales et ceux qui, chez nous, continuent de nourrir des desseins d'hégémonie et adorent flirter avec les dictateurs », déclare le député et ministre Marwan Hamadé à L'Orient-Le Jour. Emmanuel Macron n'est pas, à ce niveau, simplement l'héritier de François Hollande. Il est aussi, souligne M. Hamadé, celui de De Gaulle, Mitterrand ou Chirac, puisqu' « il n'y a point de place pour le bacharisme (Sarkozy excepté) dans la politique française ». Pour lui, l'élection de M. Macron est « un coup d'arrêt porté à la vague qui risquait de déferler sur l'Europe et d'ôter définitivement à la France son rôle au Liban et au Proche-Orient ». Un rôle que le ministre de l'Éducation définit comme « défenseur des libertés et porteur des valeurs culturelles, d'un "know-how" économique, d'un esprit d'ouverture, qui sont précisément les qualités de notre pays ».
Ce sont d'ailleurs ces qualités que l'électorat franco-libanais aurait honorées, au Liban, en votant pour Emmanuel Macron à 68,63 % des suffrages, contre 31,37 % pour Marine Le Pen, selon les chiffres de l'ambassade de France à Beyrouth (le taux d'abstention étant de 44,19 %).
« Le Liban a bien voté... ce n'est pas toujours le cas », conclut M. Hamadé. Son allusion à peine voilée à la présidentielle d'octobre dernier prend tout son sens dans le quasi-silence, sinon la tiédeur des milieux du Courant patriotique libre (en dépit des félicitations officielles adressées par le président libanais à son homologue français). Les Forces libanaises, elles, préfèrent ne pas se prononcer sur le scrutin, « qui concerne les affaires internes de la France », selon une source du parti.
Avec le Premier ministre, Saad Hariri, la relation avec M. Macron antérieure à la présidentielle paraît d'emblée bonne. À L'Orient-Le Jour, le député Nabil de Freige met en valeur son approche de l'aide aux déplacés, qu'il entend accompagner d'investissements à l'infrastructure libanaise, avec en perspective la reconstruction de la Syrie. M. de Freige évoque la possibilité d'un Paris IV, qu'avait envisagé dans un premier temps François Hollande.
En somme, le constat est celui d'une victoire du libéralisme sur l'identitarisme et de l'ouverture, et la diversité sur le néonationalisme, dont les effets concrets sur le Liban doivent toutefois attendre de se préciser. M. Macron avait prôné une politique d'équilibre à l'égard de l'Iran et de l'Arabie saoudite, non sans critiquer indirectement la proximité de son prédécesseur avec la seconde. Aussi, si la France devrait se positionner sur la question sensible de l'influence iranienne au Liban, elle ne le ferait pas seule, estime le consultant Sami Nader. Il entrevoit une éventuelle synchronisation franco-américaine sur la politique régionale, en particulier à l'égard de l'Iran, indépendamment de leurs divergences à l'égard de Moscou.
En revanche, les alliés de la Russie au Liban prédisent désormais des retombées obscures pour l'Occident et le monde. « L'Europe et les États-Unis doivent désormais faire attention au retour des jihadistes, ces bombes à retardement humaines », prévient Marwan Abou Fadel, président du Rassemblement orthodoxe. Sa véritable déception a résulté du premier tour, dit-il, en précisant toutefois que le discours de Marine Le Pen « n'est pas adapté au Moyen-Orient ».
Il affirme par ailleurs que « les appuis d'Emmanuel Macron ne sont favorables ni au Liban ni à quelque État arabe », dans une allusion manifeste à Israël. D'autres, pourtant, au Liban projettent d'ores et déjà que le nouveau président français œuvre pour une solution en Palestine.
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Emmanuel Macron à « L'OLJ » : Les intérêts des chrétiens d'Orient ne sont pas liés à Assad
commentaires (5)
De la bouche même de Monsieur Lionel Jospin, qui disait déjà en Octobre 2007 que ... :"la France n'a jamais été face à une menace fasciste et que tous les anti-fascismes affichés depuis n'étaient que du théâtre." Cessons ici d'être plus royalistes que le roi, le parti du Front National est certes un parti d'extrême droite, mais certainement pas fasciste, pas plus que ne le sont les onze millions de Français qui ont voté en faveur de Madame le Pen. Souhaitons plutôt que Monsieur Emmanuel Macron agisse au mieux de manière à ce que les intérêts de l'Europe puissent être en phase avec ceux de la France.
Paul-René Safa
14 h 07, le 09 mai 2017