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Moyen Orient et Monde - Dialogue et paix

Le pape au Caire : la voix de la raison, l’hostilité à tous les préjugés

« Pour Dieu, il vaut mieux ne pas croire que d'être un faux croyant, un hypocrite. »

Le pape François (centre) célébrant une messe au Caire, le 29 avril 2017. Amr Abdallah Dalsh/Reuters

« La vraie foi est celle qui nous conduit à protéger les droits des autres, avec la même force et avec le même enthousiasme avec lesquels nous défendons les nôtres. Pour Dieu, il vaut mieux ne pas croire que d'être un faux croyant, un hypocrite. » C'est à nouveau la voix (forte) de la raison, la voix hostile à tous les préjugés que le pape a fait entendre samedi à la clôture de sa courte visite en Égypte (28-29 avril), en réponse aux invitations des autorités civiles ainsi que des autorités religieuses, chrétiennes et musulmanes de ce pays.

Ce ne sont pas les millions de la grand-messe de Jean-Paul II à Manille, mais le petit troupeau de catholiques d'Égypte, tous rites confondus, qui viennent aujourd'hui saluer le pape, dans ce stade des forces aériennes, situé en dehors du Caire, en plein désert. Ils viennent pour recevoir le pain de la paix des mains de l'homme de la paix. Toute la visite en effet est placée sous l'urgence de ce signe, après l'effroyable violence infligée, le dimanche des Rameaux (9 avril), à deux églises coptes-orthodoxes à Alexandrie et Tanta, et qui a fait 25 morts et au-delà de cent blessés.

Le ciel seul surplombe les gradins

Dans le stade, seul le ciel bleu poussiéreux de la capitale égyptienne surplombe les gradins. Plus que toute autre chose, c'est la sécurité du pape qui a dicté le choix du lieu. Le service d'ordre, les détecteurs de métaux... et de ruses filtrent la foule bon enfant qui afflue, les précieux laissez-passer officiels en main. Les portables sont interdits, Dieu sait pourquoi. Les autorités civiles ont mobilisé toutes les ressources policières dont elles disposaient pour empêcher qu'un attentat, fût-il distant, ne vienne compromettre la visite du pape. Des hélicoptères de combat tournoieront autour du stade, comme dans une course de fond, tout au long de la cérémonie. Pari tenu, François s'envolera en fin d'après-midi du Caire sans qu'aucun incident n'ait troublé son séjour.

(Lire aussi : Au Caire, le pape "éclipse la tristesse" des fidèles)

Au milieu du stade, un podium en forme de crèche de Noël (ou de chalet suisse). Il va abriter du soleil tapant la tête sainte et chenue de l'homme en blanc. Pour ceux qui le verront de près, il paraîtra fatigué. Pour faire patienter la foule qui grandit, où l'élément jeune domine, des chorales coptes et maronites entonnent des chants ou effectuent des danses mimées. L'entrée du pape sur une voiture électrique venue d'un terrain de golf va soulever la foule des jeunes voix. C'est peut-être le moment le plus émouvant de cette cérémonie. Ils sont estimés à 15 000, mais hurlent leur joie dix fois plus fort.

La foule enthousiaste renvoie à une autre foule, celle dense et affairée d'une Égypte qui ploie sous le poids d'une croissance démographique insensée. Dans dix mois, un million d'Égyptiens viendront s'ajouter aux 92 autres recensés aujourd'hui. Le taux de fécondité reste en effet très élevé, malgré une sécularisation d'une frange éduquée de la société. Le rythme en est si raide que le ministère de l'Éducation nationale (entre autres) s'essouffle à le suivre. Car enfin, il ne faudra pas seulement nourrir ou loger cette population, mais l'élever et l'éduquer, et surtout l'éduquer à la paix, puisqu'il s'agit d'elle dans ce voyage apostolique.

Session de rattrapage

Le pape est là pour une session de rattrapage, de formation intensive. Car le temps presse, le monde entier tourbillonne. Les assassins se sont infiltrés partout, y compris dans les esprits, et sans attendre de saison, récoltent chaque semaine leur part de victimes.

D'où viendra cette « paix perdue » dont a parlé la veille l'imam d'al-Azhar, Ahmad el-Tayyeb, recevant le pape ? D'orient ? D'occident ? Ni d'ici ni de là, mais des esprits, répète inlassablement François. « Al-salamou alaykum : la paix soit avec vous ! », commence-t-il dans son homélie. Dans aucune autre civilisation au monde, le salut, qu'il soit solennel ou commun, ne prend cette forme de la paix conférée et reçue.

(Lire aussi : François apporte sa caution à l'imam d'al-Azhar : un pari audacieux)



L'Évangile du jour parle des deux disciples d'Emmaüs : le Christ est mort, c'est le retour à la vie quotidienne. Tous deux sont découragés et quittent Jérusalem pour rejoindre leurs occupations quotidiennes. Leur espérance est anéantie. La croix et la tombe ont eu le dernier mot. Et voici que celui dont ils déplorent la mort chemine à leurs côtés, mais leurs yeux sont trop lestés de tristesse pour qu'ils le reconnaissent.

Construisant son homélie sur ce texte de saint Luc, le pape aura des mots particulièrement forts pour cette tendance de l'esprit humain à cerner Dieu : « La croix du Christ était la croix de leurs idées sur Dieu, dira-t-il. La mort du Christ était une mort de ce qu'ils imaginaient que Dieu était. C'étaient eux qui étaient, en effet, les morts dans la tombe de la limitation de leur compréhension. »
« Les disciples ont reconnu Jésus à la ''fraction du pain'', dans l'eucharistie, poursuit-il. Si nous ne laissons pas rompre le voile qui obscurcit nos yeux, si nous ne rompons pas l'endurcissement de notre cœur et de nos préjugés, nous ne pourrons jamais reconnaître le visage de Dieu (...). Le Ressuscité disparaît de leurs yeux, pour leur enseigner que nous ne pouvons pas retenir Jésus dans son caractère visible historique. »

Dieu déteste l'hypocrisie

Dans une tirade qui fera anthologie, le pape (dont l'homélie est traduite, paragraphe par paragraphe, par son traducteur officiel, un Égyptien) conclut : « L'expérience des disciples d'Emmaüs nous enseigne qu'il ne vaut pas la peine de remplir les lieux de culte si nos cœurs sont vidés de la crainte de Dieu et de sa présence ; il ne vaut pas la peine de prier si notre prière adressée à Dieu ne se transforme pas en amour du frère (...) ; il ne vaut pas la peine de soigner l'apparence car Dieu regarde l'âme et le cœur, et déteste l'hypocrisie. Pour Dieu, il vaut mieux ne pas croire que d'être un faux croyant, un hypocrite (« mounafeq », dira la traduction arabe) ! La vraie foi est celle qui nous rend plus charitables, plus miséricordieux, plus honnêtes et plus humains ; c'est celle qui anime les cœurs pour les porter à aimer tout le monde gratuitement, sans distinction et sans préférences (...). La vraie foi est celle qui nous conduit à protéger les droits des autres, avec la même force et avec le même enthousiasme avec lesquels nous défendons les nôtres (...). Dieu n'apprécie que la foi professée par la vie parce que l'unique extrémisme admis pour les croyants est celui de la charité ! Toute autre forme d'extrémisme ne vient pas de Dieu et ne lui plaît pas ! »

Avant de s'envoler pour Rome, François répétera cette leçon lors d'une rencontre, l'après-midi, avec des séminaristes égyptiens. Il y reprendra en résumé les points de l'examen de conscience qu'il avait proposé à la curie romaine, une série de mises en garde contre l'affairement confondu avec l'action, la rigidité bureaucratique confondue avec la discipline, et le carriérisme.

 

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