Il paraît que l'électorat franco-libanais, ou libano-français, représente un réservoir de voix suffisamment consistant pour faire une différence. Et que pour mille raisons, privés d'élections plus souvent qu'à leur tour dans leur pays natal, ces binationaux (provisoires ?) voteraient en masse, pour le rare plaisir de faire valoir ce privilège. Ce qui explique que le Liban soit en cette veille de présidentielle française une étape de choix dans le Grand Tour des candidats à l'Élysée. Ils nous viennent avec des déclarations clichés et nous promettent le soutien de la France dont ils ne sont même pas assurés eux-mêmes.
On en a déjà trop dit sur la visite de Marine Le Pen. Elle est réputée « clivante », Marine Le Pen, pour emprunter le néologisme à la mode. Il lui suffit d'ouvrir la bouche pour aligner face à face deux France prêtes à s'étriper. Chez nous, le clivage est si atavique que nous ne savons presque plus pour quelles raisons nous sommes clivés. Pourquoi, n'est-ce pas ? Pourquoi sommes-nous si chatouilleux de l'appartenance communautaire ? Maronites contre druzes, et aussitôt réconciliés, sunnites contre chrétiens, chiites contre sunnites, quand ce ne sont pas des batailles rangées au sein d'une même communauté. Et avec ça, fiers de notre convivialité. On a la convivialité qu'on peut, nos musulmans aiment leurs chrétiens, et nos chrétiens aiment leurs musulmans, mais comme dit un adage de chez nous, l'amour est assassin.
La promesse de protection adressée aux maronites au XIIIe siècle par Louis IX n'a pas empêché l'invasion du Liban par les Mamelouks, ni sa pesante annexion à l'Empire ottoman. Il a fallu la chute du vieil homme malade, sept siècles plus tard, pour que la France mère des maronites tienne enfin sa promesse, et encore, de curieuse manière, ne laissant à nos aïeux que le choix de la combattre pour enfin obtenir leur indépendance, car son idée de la protection passait par le protectorat.
Bref, tout cela laisse des traces. Certains maronites du XXIe siècle ont encore la larme à l'œil quand ils évoquent le bon Saint Louis. Ce qui a fait dire à certains, publiquement et sans ciller, lors de l'improbable visite de la candidate du Front national : « Nous sommes ici un peu chez vous. » Oups. Quand on dit pareilles énormités, il faut anticiper la réponse du berger à la bergère et ne pas s'offusquer si un chiite accueille avec la même abnégation un candidat iranien, ou un sunnite un Saoudien : ta mère n'est pas plus belle que la mienne.
Pendant toute la durée de cette visite, on aura marché sur des œufs. Avant de mettre les voiles, Marine Le Pen aurait-elle dû accepter de porter le voile devant le mufti de la République ? Il faut imaginer ce portrait faisant le tour du monde pour comprendre que non. Autant se tirer une balle dans le pied. La France est laïque et le voile ne l'est pas, et le Liban tout entier encore moins, ce qui par ailleurs le rend plus conciliant sur les traditions de chacun. Au final, mis à part ses vaines tentatives de nous convaincre que le maintien d'Assad est un moindre mal, et la triste pantomime qu'elle aura inspirée aux néocroisés, il ne restera de la visite embarrassante de Marine Le Pen que ce souvenir dérisoire, lié à un bout de chiffon. Maigre bilan.
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commentaires (6)
"Ils nous promettent le soutien de la France dont ils ne sont même pas assurés eux-mêmes". Ce que vous écrivez Fifi est génial. Je ne me permets jamais de publier des commentaires sur la politique dans ce pays, mais sur ses conséquences sur le plan humanitaire, social et de la justice... ici ou ailleurs, il me semble que lesdites valeurs ont été rayées par ces malades qui gouvernent le Monde!...
Zaarour Beatriz
19 h 09, le 23 février 2017