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Liban - Rencontre

Nicolas Tuéni, le « kamikaze » de la lutte contre la corruption

Nicolas Tuéni. Photo Nasser Traboulsi

Décidé à donner un message fort aux Libanais, le président de la République voulait un homme « impossible à acheter et capable de résister à toutes les offres, même les plus alléchantes », pour un nouveau ministère chargé de la lutte contre la Corruption, grec-orthodoxe de préférence, pour préserver les équilibres confessionnels au gouvernement. C'est ainsi que Nicolas Tuéni a été choisi. Il a appris la nouvelle quelques minutes avant l'annonce officielle à la télévision, alors qu'il se trouvait avec un groupe d'amis dans un café. Et, depuis, tout son quotidien a été bouleversé.

L'homme qui est à la tête d'un groupe florissant (Omatra, spécialisé dans la mécanique de précision), tout en étant impliqué dans la vie sociale de sa communauté et de sa ville, Beyrouth, est soudain devenu une sorte de « terreur » pour l'establishment politique, économique et social. Au point que certains de ses amis lui ont dit qu'en acceptant ce ministère, il s'est lancé dans une opération suicidaire.
Mais, d'une part, Nicolas Tuéni aime les défis, et, d'autre part, rien n'est plus éloigné de sa personnalité que la volonté de juger ou de régler des comptes. Ayant été initié très tôt par son père Jean à la philosophie, Nicolas Tuéni est convaincu que la corruption est le résultat d'un relâchement dans les limites et les freins instaurés par la morale politique et religieuse, et par les organismes étatiques de surveillance. Ce relâchement est lui-même dû à une série de facteurs, dont l'origine pourrait remonter à la guerre civile et au fait qu'elle s'est terminée sans qu'il y ait eu des explications, des analyses et des remises en question. Ce phénomène a, selon lui, affaibli l'identité nationale collective et favorisé l'appartenance confessionnelle qui ouvre elle-même la voie au clientélisme. C'est pourquoi la lutte contre la corruption doit se faire à plusieurs niveaux. Le plus concret est certainement la relance des organismes de surveillance, mais le plus profond est celui de chercher à apaiser l'identité nationale.

Nicolas Tuéni est conscient qu'il s'agit d'une mission de longue haleine, et, par conséquent, ce gouvernement qui a une durée de vie limitée ne peut pas mettre sur les rails une solution radicale. « Mais, au moins, dit-il, nous pouvons jeter les bases d'une telle solution qui seront utiles à son successeur. »
Dans son optique, il ne faut pas se contenter de la surface, mais aller jusqu'aux racines du mal. Sa mission commence donc par un état des lieux de la société, une sorte d'analyse qui remonterait à la fin de la guerre civile. « Il ne s'agit nullement, précise-t-il, de plonger dans le passé pour arriver au présent, mais de partir du présent pour remonter dans le temps et chercher des explications à la fatigue actuelle des structures sociales.

Selon lui, les Libanais sont sortis de la guerre civile avec un seul objectif, la volonté d'oublier ce qui s'est passé, au lieu de chercher à comprendre et désigner les responsabilités. Il est ainsi convaincu que la lutte contre la corruption commence par l'apaisement de la conscience collective qui cimente la cohésion sociale.
L'affaiblissement des institutions étatiques a réduit l'appartenance nationale au profit des identités confessionnelles, favorisant ainsi la corruption. Il y a même eu une sorte d'entente entre les régimes dictatoriaux voisins, en Syrie, en Irak, en Égypte notamment, et le libéralisme désordonné au Liban pour créer un système basé sur le clientélisme lui-même producteur de corruption. Dans la foulée, le Liban a perdu son assise de production pour devenir une pure société de consommation basée sur l'arrivée de l'argent facile aux individus bien plus qu'à l'État.

Selon Nicolas Tuéni, la lutte contre la corruption se fait donc en attaquant le mal à la base. C'est un grand défi, surtout que, jusqu'à présent, le ministère dont il a la charge n'a aucune structure, ni même un budget. En dépit de ce manque de moyens concrets, la mission qui lui est confiée le fascine. Il est ainsi tout heureux que le Parlement ait voté hier une loi pour l'accès à l'information. Il précise d'ailleurs qu'à son initiative et avec l'aide du député Yassine Jaber et du président de la Chambre, ainsi qu'avec l'appui du député Georges Adwan, des amendements importants ont été apportés au projet de loi initial, dans le but d'assurer une plus grande transparence dans la transmission des informations, notamment concernant les institutions étatiques. C'est certainement un bon début, puisque la transparence est le premier pas dans la lutte contre la corruption. En même temps, le ministre compte communiquer avec les jeunes sur le sujet de la corruption, considérant que celle-ci n'est pas une fatalité et encore moins une composante de notre société.

Cela peut paraître utopique, mais Nicolas Tuéni croit qu'il peut réussir dans sa mission. Il estime qu'aujourd'hui, le Liban a connu un changement fondamental avec l'élection du général Michel Aoun, qui a permis un rééquilibrage confessionnel, lequel favorise des changements sociaux. Il précise à cet égard que sa première rencontre avec le président remonte à 2005. Selon lui, Michel Aoun a créé un élan populaire qui dépasse les limites confessionnelles, sans imposer une idéologie.

De même, il pense aussi que les Libanais aspirent à plus de justice sociale, mais, livrés à eux-mêmes, ils deviennent égoïstes. C'est justement cette volonté de dépasser les égoïsmes individuels qu'il considère être au cœur de son rôle. Cette notion lui avait été inculquée très tôt par son père dont la personnalité l'a beaucoup marqué. Il a d'ailleurs fondé une association de bienfaisance qui porte son nom. C'est aussi un peu à cause de lui qu'il a participé, à partir de l'âge de 14 ans, à plusieurs manifestations en faveur d'une meilleure distribution des richesses. Ce souci de justice sociale ne l'a pas empêché de poursuivre ses études universitaires. Il est diplômé en économie de l'AUB puis détenteur d'une maîtrise en sociologie de l'USJ. Le groupe Omatra qu'il a fondé a étendu ses activités à plusieurs pays arabes. Mais Nicolas Tuéni ne s'est jamais éloigné du Liban et de sa ville. Il est d'ailleurs le président-fondateur du Rassemblement des familles de Beyrouth. Un premier pas vers une candidature aux prochaines législatives ? Nicolas Tuéni n'a pris aucune décision à ce sujet pour l'instant, il a beaucoup trop à faire...

 

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commentaires (5)

Bonne chance beaucoup de courage et de perseverance...

Soeur Yvette

18 h 14, le 21 janvier 2017

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Commentaires (5)

  • Bonne chance beaucoup de courage et de perseverance...

    Soeur Yvette

    18 h 14, le 21 janvier 2017

  • EN LISANT QU'AVEC L'AIDE DU PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE POUR ASSURER UNE PLUS GRANDE TRANSPARENCE, J'AI COMPRIS ET J'AI ARRÊTÉ MA LECTURE.

    Gebran Eid

    17 h 27, le 21 janvier 2017

  • JE LUI SOUHAITE BONNE CHANCE ET LE NETTOYAGE DES ETABLES... NON ECURIES... D,AUGIAS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 48, le 21 janvier 2017

  • Vous rêvez? Je doute fortement des qualifications du personnage et de sa capacité à mener efficacement la lutte contre la corruption.

    Tabet Ibrahim

    08 h 41, le 21 janvier 2017

  • Bonne chance et tout notre soutien dans cette rude tâche!!!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 53, le 21 janvier 2017

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