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Liban - Débat

L’arrestation de Ramzi Kadi, entre liberté d’expression et atteinte à l’ordre public

Un homme a été arrêté lundi pour avoir posté des messages sur les réseaux sociaux dans lesquels il insultait les victimes de l'attentat d'Istanbul. Son cas relance la polémique sur les limites de la liberté d'expression.

À l'heure où les Libanais étaient profondément choqués et consternés par l'attaque meurtrière contre la célèbre discothèque d'Istanbul, Reina, qui a notamment coûté la vie à trois Libanais, un guide touristique, Ramzi Kadi, postait sur son compte Twitter une série de messages violents et insultants envers les victimes du drame et ceux qui leur rendent hommage.

« Qu'ils brûlent en enfer, ils sont morts saouls et en pleine débauche. Ils ont eu le sort qu'ils méritaient. Ceux qui meurent dans des conditions pareilles méritent d'aller en enfer... » Il n'en fallait pas plus pour que les propos de ce guide touristique suscitent la colère et l'indignation sur la Toile et dans les médias, certains appelant à son arrestation pour insultes et outrage à la morale publique, à l'ordre public, voire à l'humanité en elle-même.

L'homme a aussitôt été arrêté par les Forces de sécurité intérieure (FSI) pour diffamation et incitation à la violence. Mais, au-delà du fait en lui-même, le cas Rami Kadi relance l'éternel débat sur la liberté d'expression et ses limites. L'arrestation de cet usager des réseaux sociaux constitue-t-elle une atteinte à la liberté d'expression, ou n'est-elle qu'une sanction légitime pour diffamation et incitation à la violence ? Qui plus est après le cas, en décembre dernier – dans un contexte pourtant très différent – du journaliste Bassel el-Amine, qui avait été arrêté pour un message publié sur sa page Facebook, dans lequel il s'en était pris, en des termes tout aussi peu révérencieux, à l'État libanais et à ses responsables, dans un plaidoyer en faveur des réfugiés syriens et contre le racisme.

 

Le respect de l'ordre public
« La liberté publique revêt deux faces, d'une part celle du droit de l'individu et d'autre part celle de l'intérêt général », indique Hassane Rifaat, référence en matière de libertés publiques, matière qu'il a longtemps enseignée à la faculté de droit et de sciences politiques de l'Université Saint-Joseph. « Ramzi Kadi, à travers ses messages haineux, a porté atteinte à l'ordre public », précise le professeur Rifaat.
Et de poursuivre : « Il ne s'agit pas d'une diffamation, d'autant que Ramzi Kadi a porté atteinte à l'ordre public, à l'équilibre confessionnel et à la mémoire de jeunes disparus dans la fleur de l'âge. » « Les familles et les proches des victimes n'ont-ils pas de droits? » s'interroge-t-il, indigné.

Pour le professeur Rifaat, la question est simple, du moment où la responsabilité est envisagée comme composante intrinsèque de la liberté. « Chaque liberté comprend en elle-même le respect de l'ordre public. Tous ceux qui veulent s'exprimer ont la liberté et le droit de le faire, mais ils n'ont pas le droit de porter atteinte aux autres », explique-t-il. «C'est pour cela que Ramzi Kadi doit être condamné, et punir, dans ce cas-là, ne constitue pas une limitation à la liberté d'expression », souligne le professeur Rifaat. «La condamnation de M. Kadi ne devrait pas attendre la promulgation d'une nouvelle loi, parce que les textes de lois figurant dans le code pénal libanais sont en elles-mêmes suffisantes », affirme-t-il.
« Il suffit uniquement d'appliquer la loi et d'avoir l'imagination pour lire les textes et les interpréter », insiste M.

Rifaat, qui s'oppose, dans ce cadre, à toute (nouvelle) loi qui viendrait réglementer la déontologie professionnelle de la presse et des médias. « L'ordre public sans la liberté est une dictature et la liberté sans l'ordre public est le chaos », conclut-il.


(Pour mémoire : Deux mois de prison pour un tweet diffamatoire contre Sleiman)

 

Une affaire de savoir-vivre
L'avocat et activiste politique Élie Mahfoud, qui avait été l'un des premiers à agiter le spectre des poursuites contre Ramzi Kadi face à ses tweets irrespectueux, abonde dans le même sens. « Les propos de Ramzi Kadi face à une tragédie de si grande ampleur sont inacceptables. Il aurait pu peut-être s'exprimer de manière plus respectueuse, en ayant recours à d'autres termes », a affirmé M. Mahfoud.

« La mort de ces victimes ou de n'importe qui d'autre devrait être respectée. La liberté d'expression, défendue par certains, est mal comprise et mal perçue. La liberté implique tout de même une part de responsabilité », ajoute-t-il. L'avocat tient à préciser que plusieurs textes du code pénal libanais incriminent le comportement de Ramzi Kadi, mais qu'il s'agit avant tout d'une question d'éthique, d'une responsabilité individuelle. En bref, d'une affaire de savoir-vivre.

 

Le parti de la liberté d'expression...
Toute autre est la perspective de Waël Kheir, directeur de la Fondation des droits de l'homme et du droit humanitaire. « La liberté d'expression ne devrait connaître aucune restriction, ni religieuse, ni politique, ni autre », affirme ce militant des droits de l'homme qui a formé des générations entières d'activistes et sensibilisé au respect des libertés publiques durant les trente dernières années. « Il est important de protéger les sentiments des personnes affectées par certains avis et propos, mais il est aussi crucial de préserver la liberté d'expression comme principe général », souligne-t-il.

M. Kheir relève la différence entre l'expression d'une opinion et l'incitation à la violence. « L'incitation à la violence implique un appel à commettre un acte violent envers une personne, ce que Ramzi Kadi n'a pas fait à travers ses propos », explique-t-il.
« Il s'agit donc de l'expression d'un avis, d'une simple opinion, aussi choquante qu'elle soit », dit-il, avant d'ajouter : « Une opinion ne devrait en aucun cas constituer un prétexte à l'emprisonnement et à de telles mesures, mais devrait être discutée dans le cadre d'un débat théorique. » « Il y aura toujours des propos qui dérangeront certaines personnes. Dans ce sens, l'arrestation de Ramzi Kadi risque de constituer un précédent, une coutume, au risque de voir, in fine, la liberté d'expression complètement annihilée », met en garde Waël Kheir.
« Dans une bataille entre la liberté d'expression et n'importe quel autre principe, nous prenons et prendrons toujours, à chaque fois, le parti de la liberté », assure avec détermination M. Kheir.

 

 

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commentaires (4)

Il y a incontestablement une frontière - et celle-ci devrait être hermétique - entre l'expression d'une opinion, quelle qu'elle soit, qui devrait être sanctuarisée et l'incitation à la violence, à la discrimination ou autre appel au meurtre qui devrait être lourdement sanctionnée. Si je dis un tel est un con, c'est une opinion, si je dis un tel doit être supprimé, c'est un appel au meurtre. Mettre ces deux concepts dans un même sac c'est ouvrir la voie aux pires exactions et abus de pouvoir.

Paul-René Safa

09 h 01, le 28 mars 2017

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Commentaires (4)

  • Il y a incontestablement une frontière - et celle-ci devrait être hermétique - entre l'expression d'une opinion, quelle qu'elle soit, qui devrait être sanctuarisée et l'incitation à la violence, à la discrimination ou autre appel au meurtre qui devrait être lourdement sanctionnée. Si je dis un tel est un con, c'est une opinion, si je dis un tel doit être supprimé, c'est un appel au meurtre. Mettre ces deux concepts dans un même sac c'est ouvrir la voie aux pires exactions et abus de pouvoir.

    Paul-René Safa

    09 h 01, le 28 mars 2017

  • "A l'ordre public" ? Pourquoi pas alors aux "mœurs!" politiques libanaiiises.... si "crédibles et si Saines!" ? Yâ hassértéééh !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    13 h 41, le 06 janvier 2017

  • Il est coupable d'apologie du terrorisme. Il glorifie et justifie l'acte criminel et incite au crime. Cela s'inscrit aussi dans l'absence de respect des familles des victimes, dans l'insulte de la mémoire des victimes et dans l'insulte des Libanais en général. la liberté d'expression s'arrête là.

    Citizen L

    11 h 05, le 05 janvier 2017

  • les propos et insultes de ramzi kadi devraient etre definitivement juges severement, ce n'est plus une liberte d'expression mais un crime. Cinq ans de prison ferme seraient un minimum.

    Tarek Kaddoura

    07 h 45, le 05 janvier 2017

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