Un soldat turc à la frontière syro-turque au sud de Gaziantep. AFP/Bulent Kilic
Recep Tayyip Erdogan a de quoi se réjouir. Il a frappé hier un grand coup militaire et diplomatique sur le théâtre où il est apparu le plus affaibli ces dernières années : la Syrie. En menant une opération d'envergure, appuyée par la coalition internationale, la Turquie a permis aux rebelles syriens de reprendre, en moins de 24h, la ville de Jarablous aux jihadistes de l'État islamique (EI). Faisant, de la sorte, d'une pierre quatre coups.
Contrer les Kurdes
Un : la Turquie a coupé l'herbe sous le pied des Kurdes du PYD (Parti de l'Union démocratique) – considéré comme un groupe terroriste par Ankara – qui aurait pu annoncer aussi une offensive contre la ville de Jarablous. Présents à l'est, dans le canton d'Afrin, à l'ouest, dans le canton de Kobané, au sud, depuis la reprise de Manbij des mains de l'EI, les Kurdes doivent prendre Jarablous s'ils veulent mettre la main sur la zone frontalière turco-syrienne, et réaliser l'unité territoriale du Rojava. Cet objectif apparaît désormais largement compromis par la présence des rebelles syriens, et surtout de leur soutien turc, dans cette région.
D'autant plus que le principal allié du PYD, les États-Unis, semble s'être aligné sur la position d'Ankara à ce sujet. « Nous avons dit très clairement » que les FDS (Forces démocratiques syriennes) – une coalition composé d'une majorité de combattants du PYD et d'une minorité d'arabes – « doivent retraverser la rivière (l'Euphrate) » et « n'auront, en aucune circonstance, le soutien des États-Unis si elles ne respectent pas leurs engagements, un point c'est tout », a déclaré hier le vice-président américain Joe Biden, lors d'une conférence de presse à Ankara avec le Premier ministre turc Binali Yildirim. Sans remettre en question son partenariat avec le PYD dans la lutte contre l'EI, Washington a respecté la ligne rouge définie par la Turquie (le passage de l'Euphrate). Au plus grand dam des Kurdes syriens...
(Lire aussi : Plusieurs groupes rebelles seraient sur le point de fusionner en Syrie)
Séduire les Occidentaux
Deux : critiquée pendant longtemps pour sa politique ambiguë vis-à vis des groupes jihadistes, la Turquie a prouvé, grâce à cette opération, sa détermination à combattre l'EI. Cela pourrait contribuer à l'amélioration de ses relations avec ses alliés traditionnels, très critiques à son égard depuis la politique de purges lancée au lendemain du coup d'État manqué. Les Américains et les Européens ont déclaré hier soutenir cette opération, et le fait qu'elle était lancée le jour de la visite de Joe Biden – première visite d'un dirigeant d'une puissance occidentale depuis le putsch manqué – n'est probablement pas un hasard.
En menant une telle opération contre l'EI, la Turquie peut rompre son relatif isolement dans le dossier syrien tout en sécurisant sa frontière. Si la Russie s'est dit « profondément préoccupée » par cette opération, elle ne peut pas ouvertement la critiquer puisqu'elle vise à combattre le terrorisme, objectif avancé par Moscou pour justifier son intervention en Syrie.
Renforcer les rebelles syriens
Trois : la Turquie a mené cette opération sans remettre en question son positionnement vis-à-vis de Bachar el-Assad. Si Ankara a déclaré il y a quelques jours qu'il était possible de parler à M. Assad pour évoquer la transition, l'offensive sur Jarablous ne fait pas vraiment le jeu du président syrien. Non seulement elle met en avant sa faiblesse, montrant son incapacité à réagir à une violation de son territoire, mais, en plus, elle favorise l'ascension de son principal ennemi : les rebelles syriens.
Considérés, jusqu'alors, comme des alliés peu efficaces dans la lutte contre l'EI, les rebelles syriens enregistrent, grâce à la Turquie, une victoire importante et prestigieuse à Jarablous. Ankara va tout faire pour que les Américains envisagent de collaborer de façon plus étroite avec ces rebelles, et pour marginaliser de la sorte les Kurdes du PYD. Si les rebelles syriens deviennent un partenaire-clé dans la lutte contre l'EI, leur image pourrait nettement s'améliorer. Au plus grand dam de Damas, dont le récit officiel, qu'il matraque depuis 5 ans, ne différencie pas les rebelles des « jihadistes ».
(Lire aussi : La bataille de Hassaké : causes et conséquences)
Asseoir son autorité
Quatre : l'opération va permettre de renforcer encore l'autorité du président Erdogan en interne. Parce qu'il s'attaque directement à l'EI alors que la Turquie a été ciblée par de nombreux attentats attribués à l'organisation jihadiste depuis un an, il va rassurer la population, assez critique vis-à-vis de sa politique en Syrie. Parce qu'il démontre l'unité et l'efficacité de l'armée turque, un peu plus d'un mois après le putsch manqué et après la vague de purges dont elle a fait l'objet, M. Erdogan se pose, plus que jamais, en chef de guerre, ce qui ne peut qu'asseoir son autorité.
La Turquie a démontré hier qu'elle était encore capable d'être un acteur-clé dans le grand jeu syrien en réalisant sa plus belle opération depuis le début du conflit. Il faut toutefois rester prudent sur les conséquences possibles de celle-ci. La situation est si volatile que des alliances, fragiles et parfois contradictoires, se font et se défont au gré des événements. Une seule règle semble d'or en Syrie : « Les ennemis de mes ennemis sont toujours mes... ennemis. »
Lire aussi
À Hassaké, un nouveau tournant de la guerre en Syrie ?
Ankara veut s’engager plus activement dans une solution de crise en Syrie
Le PKK reprend sa violente campagne après le putsch
Mandats d’arrêt contre 146 universitaires soupçonnés de liens avec Gülen
Contrer les KurdesUn : la Turquie a coupé l'herbe sous le pied des Kurdes du PYD (Parti de l'Union démocratique) – considéré comme un groupe terroriste par Ankara – qui aurait pu annoncer aussi une offensive contre la ville de Jarablous. Présents à l'est, dans le canton d'Afrin, à l'ouest, dans le canton de Kobané, au sud, depuis la reprise de Manbij des mains de l'EI, les...
Comme quoi, il s'agissait uniquement d'une question de volonté ...
15 h 23, le 25 août 2016