En Syrie, la guerre s'écrit au pluriel. Alors que les forces loyalistes et les rebelles se préparent pour un nouveau round à Alep, une autre bataille est en train de prendre de l'envergure à plus de 350 km à l'est. Elle oppose, depuis mercredi, les forces prorégime à la police kurde (Assayech) dans la vile de Hassaké, faisant 39 morts – 23 civils, 16 combattants dont neuf miliciens kurdes – selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
Les accrochages sont récurrents entre les Kurdes du PYD (Parti de l'union démocratique) et les Forces de défense nationale (FDN), des milices prorégime, mais les affrontements ont pris une autre ampleur ces dernières 48 heures. Pour la première fois depuis le début du conflit en mars 2011, l'aviation syrienne a frappé jeudi et hier des positions kurdes à Hassaké. Huit raids ont visé hier des cibles dans le sud-ouest de la ville, dont les deux tiers sont contrôlés par les Kurdes et le reste par le régime du président Bachar el-Assad. De leur côté, les forces kurdes ont enlevé des dizaines de miliciens prorégime et selon l'OSDH, des milliers d'habitants ont quitté la ville, théâtre de combats et où le pain manque et l'électricité est coupée. « Les combattants kurdes ont sécurisé une route et offert des moyens de transport à des civils qui voulaient aller vers des régions plus sûres », a déclaré Sihanouk Dibo, un responsable du PYD.
Dans un communiqué diffusé hier soir, l'armée syrienne a dit avoir réagi « de manière appropriée » à une tentative de la part des Kurdes de prendre totalement le contrôle de la ville. « Les bombardements aériens ont uniquement ciblé les positions d'où partaient les tirs ennemis et des groupes armés », a-t-elle affirmé. Les forces kurdes, qui contrôlent déjà en grande partie la ville, ont investi des bâtiments du gouvernement, dont une université d'économie, a annoncé plus tôt dans la journée Nasser Hadj Mansour, responsable de la milice kurde YPG (Unité de peuplement).
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Timing
Les frappes du régime constituent un tournant important dans les relations que Damas entretient avec le PYD. Même si leurs objectifs divergent fondamentalement, les deux parties s'étaient rapprochées à plusieurs reprises pour combattre les forces rebelles. En février dernier, alors que les troupes loyalistes lançaient leur offensive sur Alep, les Kurdes en avaient profité pour gagner du terrain sur les rebelles dans cette province.
Appuyés par les frappes russes, à l'instar des troupes loyalistes, et bombardés par Ankara – qui considère le PYD comme un groupe terroriste –, les Kurdes formaient alors une alliance de circonstance avec le régime. À la même époque, les Russes faisaient pression sur la communauté internationale pour qu'une délégation kurde soit invitée à participer aux négociations sur la Syrie à Genève. Mais ce rapprochement a fait long feu.
Forts du soutien des États-Unis, via les frappes aériennes et leurs conseillers sur le terrain, les Kurdes sont en train d'étendre leur emprise dans le Nord syrien en reprenant les territoires aux mains de l'État islamique (EI). Ils ont autoproclamé en mars une « région fédérale » et rêvent de relier les trois cantons de Afrin, Kobané et Jézireh au nord de la Syrie. Baassiste convaincu, Bachar el-Assad a certainement vu d'un très mauvais œil cette volonté de limiter sa souveraineté sur le territoire syrien. Jeudi, une source gouvernementale locale a affirmé à l'AFP que les bombardements étaient « un message aux Kurdes pour qu'ils cessent de faire ce genre de revendications qui touchent à la souveraineté nationale ». Si les motivations sont assez claires, le timing, lui, l'est beaucoup moins.
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Deux raisons possibles
Pourquoi avoir décidé de déclarer la guerre aux Kurdes à un moment où les troupes loyalistes sont déjà embourbées dans une bataille décisive contre les rebelles à Alep? Deux raisons pourraient l'expliquer. La première est d'ordre national : les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition composée d'une minorité de combattants arabes et d'une majorité de Kurdes, ont chassé l'EI de la ville de Manbij après presque trois mois de combats. Elles devraient désormais lancer l'offensive contre Jarablous, une ville à la frontière turque, d'où les jihadistes de l'EI ont évacué hier leurs familles, selon l'OSDH, comme s'ils se préparaient à une attaque. En poursuivant leur avancée vers le Nord et vers l'Ouest, les Kurdes pourraient réussir à relier leurs trois cantons et unifier le Rojava, ce qui leur permettrait d'être en position de force au moment des futures négociations avec le régime. Cette perspective a sans doute pesé dans la décision de bombarder les positions du PYD à Hassaké.
La deuxième est d'ordre régional et international : la question du Rojava pourrait être au cœur de plusieurs tractations diplomatiques de ces derniers jours. « Le régime syrien est apparemment en train de négocier avec certaines puissances régionales, en particulier la Turquie, qui sont intervenues directement en Syrie et au Rojava », a déclaré l'administration kurde, selon le média kurde Ara news, ajoutant que les frappes étaient « une indication d'une coordination entre la Turquie, l'Iran et le régime ». Dans le même temps, le ministère iranien des Affaires étrangères a annoncé hier que le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a effectué jeudi une visite en Iran pour discuter de questions régionales.
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Terrain d'entente ?
En complet désaccord en ce qui concerne l'avenir de Bachar el-Assad, Ankara et Téhéran pourraient trouver un terrain d'entente sur la question du Rojava. Si ce rapprochement est avéré, Moscou, qui s'est réconcilié avec Ankara en juillet, huit mois après la destruction d'un avion de chasse russe par des F16 turcs, ne doit pas y être étranger. Aucune information n'a cependant filtré à ce sujet après la rencontre entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan le 9 août dernier.
Une possible entente entre Moscou, Ankara et Téhéran changerait la donne du conflit syrien, ouvrant de nouvelles perspectives diplomatiques. Mais cette entente devrait, dans tous les cas, se confronter à l'intervention d'un autre acteur international ayant son mot à dire sur la question du Rojava : les États-Unis.
En réponse aux frappes du régime, les États-Unis ont en effet dépêché jeudi des avions pour protéger leurs forces spéciales qui conseillent les combattants kurdes en Syrie, selon le Pentagone. Critiqués pour leur attentisme dans la bataille d'Alep, les Américains n'ont pas tardé à réagir pour venir soutenir leurs alliés kurdes, menaçant de ce fait le régime syrien. « Nous avons clairement montré que les appareils américains défendraient les troupes au sol si elles étaient menacées », a expliqué le capitaine Jeff Davis, porte-parole du Pentagone. « Nous allons nous assurer de leur sécurité et le régime syrien serait bien avisé de ne rien faire qui leur ferait courir des risques. Nous considérons ces situations qui mettent en danger la coalition comme très sérieuses et nous avons tout à fait le droit de nous défendre », a repris M. Davis.
Alors que tous les yeux sont actuellement rivés sur Alep, c'est bien la situation à Hassaké qui pourrait être la raison d'une escalade militaire et diplomatique. Les 1 001 guerres de Syrie ne sont pas près de se terminer...
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14 h 22, le 20 août 2016