Rechercher
Rechercher

Courage, mode d’emploi

Les dernières péripéties de l'actualité locale me portent irrésistiblement à rebondir sur le magnifique article d'Antoine Courban, De la modération mal comprise, publié dans notre édition d'hier. Comme pour donner raison à l'auteur, trois développements sont venus montrer, chacun à sa manière, en politique comme en finances ou en culture, à quel point en effet la modération peut être signe de courage mais non de témérité, de fermeté tempérée toutefois par la souplesse de la réflexion.

Le courage, on a pu parfois reprocher à Saad Hariri d'en manquer quand, craignant pour sa vie, ce fils d'ancien Premier ministre assassiné a passé de longs mois à gérer ses troupes à partir de ses tours d'ivoire de Riyad ou de Paris. Or c'est le même Saad Hariri qui faisait preuve, jeudi soir, de cette forme rarissime de courage qu'est l'autocritique : l'humble reconnaissance d'erreurs ou de manquements passés, dans un environnement politique libanais où l'on ne trouve au contraire qu'entêtement dans l'erreur, que culte effréné de l'outrance.
Ce J'assume annonciateur d'autres regrets à venir fait suite, comme on sait, à la déculottée électorale subie par le courant du Futur à Tripoli, où la population, largement sunnite, s'est ralliée aux thèses dures du général Achraf Rifi. D'autant plus remarquable est un tel aveu de responsabilité que son auteur, plutôt que de relever le gant de la surenchère face au Hezbollah, s'en tient à son credo de modération et de dialogue. Est-ce vraiment un tel discours qu'attend de lui une rue sunnite visiblement excédée et que seul l'activisme de Rifi retient de gagner le camp des islamistes? Là est le test qui attend un courant du Futur écartelé entre la fidélité à ses idéaux et ses soudains, ses pressants impératifs de réévaluation, de reconstruction, de restructuration, de renouveau.

C'est en termes bien plus immédiats que se pose la brutale campagne du Hezbollah visant le gouverneur de la Banque du Liban qui, dans un entretien à la chaîne américaine CNBC, a fait état de la fermeture ou du gel d'une centaine de comptes bancaires relevant d'individus ou de personnes morales liés à cette milice. Vigilant gardien d'un secteur bancaire proprement vital pour le pays, Riad Salamé a déjà expliqué à maintes reprises que tout refus de se conformer aux directives du Trésor américain serait un véritable suicide. Et s'il a pris soin de souligner cette fois que les citoyens chiites n'étaient en aucun cas visés par ces mesures, on ne lui pardonne pas les sanctions qui ont frappé plus d'une de ces institutions à caractère ostensiblement humanitaire, mais dont les transactions financières ne se limitent guère au domaine social. En assumant haut et clair ses responsabilités, Salamé, qui passe pour un des candidats les plus en vue à la présidence de la République, savait certainement à quels flots d'hostilité, et même à quelles menaces voilées, il s'exposait ; il n'en est que davantage estimé.

L'académicien Amin Maalouf pouvait-il se douter, lui, de la stupide cabale dont il allait être la cible en parlant de son dernier ouvrage à la chaîne franco-israélienne i24 ? Ce citoyen français de célébrité mondiale, qui fait la fierté de son Liban d'origine, pouvait-il décliner pareille invitation sans se faire taxer d'antisémitisme, dans un Hexagone actuellement en proie aux suspicions racistes ? S'est-il livré au moindre message politique, sinon pour faire de la culture un vecteur de justice entre les peuples ? Dans un monde arabe où plus d'une chaîne de télévision accueille sans problème des officiels israéliens ou entretiennent des correspondants attitrés en Palestine occupée, c'est au Liban – le Liban où maints partis découvrent périodiquement dans leurs rangs des taupes israéliennes – que d'aucuns crient au scandale et font un mauvais, un vil procès, à Maalouf.

Ces âmes chagrines ne connaissent évidemment aucune modération. On ne leur reconnaîtra, en retour, aucune sorte de courage.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Les dernières péripéties de l'actualité locale me portent irrésistiblement à rebondir sur le magnifique article d'Antoine Courban, De la modération mal comprise, publié dans notre édition d'hier. Comme pour donner raison à l'auteur, trois développements sont venus montrer, chacun à sa manière, en politique comme en finances ou en culture, à quel point en effet la...