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Diplomatie en sauce


Qu’en termes élégants – ou carrément abrupts, le cas échéant – ces choses-là peuvent être dites quand on est diplomate de profession, et encore plus diplomate en chef ! Deux exemples viennent tout juste d’en être donnés, dans des styles différents, par le ministre français des AE et le secrétaire d’État américain, en tournée dans la région.

Fort de la sollicitude particulière que nourrit la France pour le Liban, Stéphane Séjourné s’est louablement essayé à alarmer, à amener à la raison des dirigeants qui n’ont tout simplement aucune prise sur les évènements. La guerre totale – et on ne peut plus inégale – qui menace d’éclater à tout moment, l’urgente nécessité de souscrire à une application des résolutions onusiennes : tout cela, ils le savaient déjà fort bien, allez, pour se l’être entendu répéter par des dizaines de représentants de pays amis. Mais par quel incroyable prodige un État qui, depuis des années, n’est plus maître de la décision de guerre arraisonnée par le Hezbollah le serait-il tout à coup de l’option de paix ?

Cette lancinante interrogation, le chef du Quai d’Orsay a paru l’aborder par la bande, à l’aide d’une de ces petites phrases émaillant parfois le jargon diplomatique et qui peuvent revêtir un accent d’ultimatum, quand bien même se voudrait-il amical. Sans président et sans gouvernement en exercice, a ainsi averti le ministre au terme de sa brève visite, le Liban ne sera pas présent à la table des négociations. Clair est le message, et il faut bien en prendre acte. Mais est-ce à dire pour autant qu’en installant, à la faveur de quelque miraculeux consensus, un nouveau locataire au palais présidentiel de Baabda et un gouvernement opérationnel au Sérail, c’en serait vraiment fini de la monstrueuse aberration d’un État dans l’État libanais ? À l’inverse et pour avoir raté ce double parachutage, le Liban façonné par la puissance mandataire française mériterait-il franchement d’être sacrifié sur l’autel du nouveau Proche-Orient en laborieuse et douloureuse gestation ?

Mais passons à la cuisine sauce ketchup. C’est un Antony Blinken fort satisfait de son escale saoudite qui sillonne une fois de plus la région. Car, à en croire le patron du département d’État, les États-Unis et l’Arabie saoudite en sont à mettre les dernières touches à leur projet de pacte de sécurité. Il s’agit là d’un remake, en beaucoup plus explicite et musclé, de l’accord conclu en 1945 à bord du croiseur américain Quincy entre le président Franklin Roosevelt et le fondeur du royaume, ibn Saoud ; les États-Unis s’engageaient alors à protéger l’Arabie en échange d’un accès privilégié au pétrole. Les temps ont changé cependant, et, avec eux, les termes du contrat. Pour bénéficier de l’ombrelle militaire US, c’est donc à une normalisation de leurs rapports avec Israël que devront désormais se prêter les Saoudiens, à charge pour ce dernier d’acquiescer à l’idée d’un État palestinien. Mieux encore, c’est un réseau de défense intégré, regroupant les monarchies du Golfe, la Jordanie et l’État hébreu, qu’ambitionne de mettre en place Washington : ce serait là une consécration officielle de la timide, frileuse, mais très réelle coopération apparue lors des tirs de drones et de missiles iraniens sur Israël.

En somme, ce qu’est chargé d’écouler le commis voyageur Blinken, avec force boniment, est un produit frauduleux à plus d’un titre. Tirer parti de la sainte horreur qu’inspire l’Iran aux monarchies pétrolières, marchander de la sorte son soutien face à Téhéran, cela a pour nom chantage aggravé d’extorsion. Promettre en contrepartie la lune palestinienne, c’est en outre se moquer du monde, aussi longtemps que Netanyahu et ses acolytes du Grand Israël continuent de mener le jeu. Et que s’y prête objectivement, avec autant de zèle, un Iran acharné en effet à pousser des Arabes toujours plus loin dans les bras de ses deux Satan.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Qu’en termes élégants – ou carrément abrupts, le cas échéant – ces choses-là peuvent être dites quand on est diplomate de profession, et encore plus diplomate en chef ! Deux exemples viennent tout juste d’en être donnés, dans des styles différents, par le ministre français des AE et le secrétaire d’État américain, en tournée dans la région.Fort de la sollicitude...