Rechercher
Rechercher

La revanche de la tente


Maktoub, c’est écrit : s’il fallait s’en remettre au légendaire fatalisme des Arabes, on ne devrait voir dans la tente qu’un élément tristement familier du paysage géopolitique proche-oriental, qu’un de ces symboles qui hantent, troublent ou affolent notre imaginaire collectif.

Car on est bien loin de l’aura romantique entourant la tente de poil de chameau des Bédouins du désert, laquelle dictait son tumultueux destin à Lawrence d’Arabie. Dans les pays limitrophes d’Israël, la Nakba de 1948 a ainsi entraîné la prolifération de ces pitoyables villages de toile abritant des centaines de milliers de Palestiniens chassés de leurs foyers ; au fil des décennies, ces habitations d’infortune ne pouvaient qu’être remplacées par des bicoques en dur, comme pour mieux souligner le caractère définitif, irréversible, de cet exil monstrueusement forcé. Plus tard, c’est une marée de déplacés de Syrie encore plus énorme, plus chargée de menaces pour sa particulière texture démographique, qui venait acccabler un Liban ployant déjà sous une avalanche de crises ; c’est dire qu’il ne faut surtout pas parler de tentes aux Libanais, cela leur donnerait des cauchemars. La complainte des tentes n’est pas achevée pour autant, puisque c’est un immense camp qui vient d’être aménage sur les sables de Gaza, en prélude à l’assaut israélien annoncé sur la ville de Rafah.

Depuis peu pourtant, sont soudain apparues en grand nombre, dans le vaste monde, certaines tentes, évocatrices non plus cette fois de misère humaine, mais d’espérance, de courage, de persévérance et de dignité. Plutôt que sur les terrains ingrats, elles fleurissent, en Amérique comme en Europe, dans ces hauts lieux de la connaissance où l’on forge les élites de demain que sont les universités. Les étudiants ne s’y bornent plus à défiler pour manifester leur colère contre le soutien massif de leurs gouvernements à Israël et leur exigence de justice pour le peuple palestinien. En Californie comme à New York ou Washington, au Texas comme en Géorgie ou dans le Massachusetts, ils dressent des tentes de nylon pour signifier un insolent et irréductible j’y suis j’y reste ; en toute logique, ils font littéralement du campus un lieu… où l’on campe, pardi ! Brutalement délogés par la police qui les arrête par centaines, ils récidivent de plus belle, mobilisés, interactifs et synchrones qu’ils sont, grâce à cette autre espèce de toile à leur portée : le web.

Comme à l’accoutumée, on ne trouve d’autre parade à cette vaste rébellion que la classique, l’infamante accusation d’antisémitisme qui a contraint à la démission les présidentes de deux établissements de grand renom. Pour venir à bout des sit-in, les républicains exigent maintenant que soit donnée la Garde nationale qui, en 1970, tirait sur la jeunesse manifestant contre la guerre du Vietnam. Délaissant un moment ses déboires judiciaires, Donald Trump lui-même ne craint pas de jeter de l’huile sur le feu, tandis que la Maison-Blanche donne l’impression de ménager la chèvre et le chou. Quoi qu’il en soit, le fait demeure, irréfutable, qu’au pays de l’Oncle Sam, la boucherie de Gaza et ses prolongements palestiniens constituent désormais un des thèmes majeurs de l’élection présidentielle US programmée pour novembre prochain.

Plus près de nous est l’agitation universitaire en faveur de la Palestine qui a gagné Sciences Po Paris, où la police est intervenue pour évacuer un des campus occupés par les étudiants. Plutôt que de coucher à la belle étoile, ces derniers avaient, eux aussi, eu recours aux tentes, ces frustes héroïnes du moment. Voilà qui portait les hôtes de certains plateaux de télé à discourir sur la contagion américaine qui serait en voie de gagner l’Hexagone.

Mais à bien y penser, n’est-ce pas l’exact inverse que l’on pouvait attendre d’une France qui se pose, à juste titre, en patrie historique des droits humains ?

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Maktoub, c’est écrit : s’il fallait s’en remettre au légendaire fatalisme des Arabes, on ne devrait voir dans la tente qu’un élément tristement familier du paysage géopolitique proche-oriental, qu’un de ces symboles qui hantent, troublent ou affolent notre imaginaire collectif. Car on est bien loin de l’aura romantique entourant la tente de poil de chameau des...