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Économie - Liban - Conférence

Quel modèle économique pour sauver les médias ?

Alors que les médias libanais traversent une grave crise financière, l'économiste française Julia Cagé a présenté, samedi, à Beyrouth, un modèle de financement alternatif.

L’économiste Julia Cagé propose notamment aux médias d’adopter un modèle capitalistique « hybride entre une fondation et une société par action ». Photo S.Ro.

« Il faut sauver les médias ... » Depuis l'annonce, fin mars, de la fermeture du quotidien libanais arabophone as-Safir – prévue pour le 1er avril dernier avant d'être repoussée sine die – l'appel est régulièrement relayé par les journalistes, hommes politiques et syndicats qui s'inquiètent pour l'avenir d'un secteur indispensable à la démocratie. D'autant que des rumeurs – démenties en mars par sa direction – ont également circulé au sujet d'une fermeture du quotidien an-Nahar.

« La crise actuelle est une bonne occasion de repenser le financement des médias et pour le gouvernement d'imposer des réformes sur ce plan », estime Julia Cagé. Cette économiste française a publié en 2015 un livre – Sauver les médias au Seuil – dont elle a présenté les grandes lignes lors d'une conférence organisée samedi à Beyrouth par l'Association francophone de journalisme et l'Institut français.

Si les médias sont en crise, c'est tout d'abord à cause du tarissement d'une de ses sources de financement les plus importantes : la publicité. Depuis l'arrivée d'Internet, qui lui offre un espace infini, deux phénomènes ont lieu en parallèle : les prix de la publicité en ligne sont tirés vers le bas, alors que l'intégralité des revenus sont captés par une poignée d'acteurs dominants, dont Facebook et Google. « Ce phénomène n'est pas appelé à s'inverser. L'introduction de "murs payants" est la seule solution viable sur le long terme pour les médias d'information politique et générale », argumente Julia Cagé. Une formule déjà adoptée par plusieurs médias au Liban, dont L'Orient-Le Jour. En outre, la presse libanaise est fragilisée par sa dépendance historique vis-à-vis d'États étrangers. « La chute des prix du pétrole qui touche les pays du Golfe se reflète dans un certain nombre de médias », glisse l'économiste. Cette baisse de revenu engendre une diminution du nombre de journalistes, ainsi que de l'originalité et de la qualité du contenu produit par les médias.

(Pour mémoire : Charbel Nahas appelle l'État à réorganiser le secteur des médias pour le sauver)

 

Conflits d'intérêts
Autre conséquence de la baisse des revenus : le rachat de journaux par des hommes d'affaire millionnaires, tel celui du Washington Post en 2013 par le fondateur du géant américain du commerce en ligne Amazon, Jeff Bezos. « Ils achètent des médias suffisamment importants pour s'ouvrir les portes des ministères et pour s'assurer que les activités qui leur rapportent une grande partie de leur chiffre d'affaires ne seront pas régulées », constate Julia Cagé, en soulignant les risques de conflit d'intérêts pour les rédactions.

Cette très forte concentration actionnariale met également le journal à la merci de la santé financière de son propriétaire. « Au Liban, (l'ex-Premier ministre) Saad Hariri est l'exemple typique d'un dirigeant de groupe dont les médias ont cessé de payer leurs journalistes depuis plusieurs mois... », glisse-t-elle. Saad Hariri est propriétaire de la chaîne télévisée Future TV, du journal al-Moustakbal et de Radio Orient. De nombreux médias étrangers, dont le site web al-Araby al-Jadeed, celui du Huffington Post et le quotidien français Le Monde ont rapporté des difficultés de paiement au sein des médias détenus par l'ancien Premier ministre. Un cas cependant non isolé puisque de nombreux autres médias libanais semblent également éprouver des difficultés à payer leurs salariés à temps.

Pour l'économiste, le modèle actionnarial traditionnel n'est au demeurant pas le plus adapté au fonctionnement des médias, « car la recherche de rentabilité à court terme enfermerait le journal dans un cercle vicieux de baisse de la qualité et du lectorat ». Autre piste : le modèle des fondations – à but non lucratif – qui permettent au capital investi d'être pérennisé, le donateur ne pouvant pas retirer son apport à tout moment. Mais ce modèle concentre trop de pouvoir dans les mains du conseil d'administration, souvent dominé par une même famille, critique l'économiste. Tel est le cas de la fondation allemande Bertelsmann, propriétaire du groupe Bertelsmann (RTL Group, Prisma Media...). Quant au financement participatif pur, il ne permettrait pas de réunir suffisamment de fonds pour lancer un média, même de petite taille.

(Pour mémoire : Jreige prêt à s'allier avec le monde de la presse afin de « développer le secteur »)

 

Solution hybride
La solution de Julia Cagé est donc un « hybride entre une fondation et une société par action » : la société de média à but non lucratif. Dans ce modèle, des petits donateurs – comme des journalistes ou des lecteurs – peuvent devenir actionnaires, avec un droit de vote plus important que leur apport en capital. « Les droits de vote augmentent moins que proportionnellement au-dessus de 10 % et plus que proportionnellement en dessous. Il y a une formule mathématique qui permet de faire que l'ensemble des droits de vote soit égal à 100 % », précise-t-elle par e-mail à L'Orient-Le Jour. Une solution qu'elle expérimente avec plusieurs médias en cours de lancement en France.

En attendant, pour les médias déjà installés depuis des décennies au Liban, reste aussi la solution d'un apport de fonds publics pour aider le secteur à surmonter ses difficultés.
Pour autant, l'économiste ne plaide pas pour une transposition du système de subventions similaire à celui en vigueur en France. « Il existe bien des aides indirectes, comme la TVA à taux réduit, mais aussi des aides directes qui ne sont malheureusement pas neutres car elles dépendent du choix du gouvernement », indique-t-elle.

Autre solution, un financement mixte. À la mi-mars, le ministre du Travail Sejaan Azzi avait par exemple proposé la création d'un fonds commun entre les secteurs public et privé pour soutenir les médias en difficulté. Une bonne idée, selon Julia Cagé, mais qui devrait se faire avec des contreparties « en termes de transparence et de garantie de l'indépendance des journalistes ». Elle pointe d'ailleurs du doigt le manque d'information concernant les sources de revenus des médias libanais, leurs propriétaires et leurs droits de vote : « C'est un véritable problème pour la démocratie. »

 

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commentaires (3)

Très bonne réflexion et bravo. Sauf que nous ne sommes pas dans un état de droit ou l'on peut réguler et surveiller

ROY BADARO

15 h 17, le 07 juin 2016

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Commentaires (3)

  • Très bonne réflexion et bravo. Sauf que nous ne sommes pas dans un état de droit ou l'on peut réguler et surveiller

    ROY BADARO

    15 h 17, le 07 juin 2016

  • Au fond, la BBC appartient à l’État elle aussi ! And, where is the problem ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 06, le 07 juin 2016

  • Encore une marxisante française ...qui prêche pour de l' économie dirigée ....faut dire, qu' en France la presse reçois un financement annuel (discret) de l'état ...! quand au reste, la presse ,les médias et l'information en général sont financer et diriger par l'état...! donc ,la liberté d'expression ....est quelque part muselée ...(en novlangue socialiste cela s'appel "un droit à une liberté assumée " ) ,évidement la ficelle est aussi grosse ,qu'un cordage du Titanic ,mais "la presse et médias " de gauche font - semblant - d'être un contre pouvoir libre ...! surtout ,vis à vis de la justice d'état , du pouvoir ,du CSA ...et de l'AFP.........

    M.V.

    06 h 23, le 07 juin 2016

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