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Diaspora - Publication

Un Brésilien d’origine libanaise redonne vie à l’histoire de ses parents

De Tell Abbas el-Gharbi, au Liban, à la ville de Guaxupé, au Brésil, Romeu Abílio retrace l'épopée
de gens ordinaires, qui avaient pris la mer pour fuir la guerre.

La famille Abilio.

Un nouveau livre sur l'émigration libanaise, intitulé Lembranças Minurcas («Souvenirs des Minurcas»), de Romeu Abílio, vient de sortir au Brésil. Le mot minurcas est un néologisme que l'auteur a créé, une jonction de deux mots, min, qui veut dire mineiro, habitant de l'État de Minas Gerais, au sud-est du Brésil, et urcas, en d'autres termes «turcs», comme l'on nommait, au Brésil, les immigrés qui venaient d'Orient, fuyant l'Empire turc ou ottoman.
Ce livre retrace, entre autres, l'histoire de la famille de Romeu, depuis que sa grand-mère a quitté un Mont-Liban en flammes. En 1924, une veuve, Mariam Habib Nicolas Charmine, a quitté son village de Tell Abbas el-Gharbi, dans le Akkar au Liban-Nord, et elle est arrivée au Brésil en 1925 avec ses deux enfants, Aniz et Anice, et l'époux d'Anice, le jeune Abrão João (Ibrahim Hanna). L'époux de Mariam, Habib Nicolas Charmine, avait été appelé pour servir l'armée durant la Première Guerre mondiale, et il n'en est jamais revenu.
Pendant la guerre, le Liban était dévasté par la famine et les maladies. Dans le village, on entendait parler du Brésil et d'une ville nommée «Gachubé» (Guaxupé), vers laquelle avait émigré, en 1910, Hanna (João), le frère de Mariam. Celui-ci a demandé maintes fois à sa sœur de le rejoindre, ce qu'elle fit. Accompagnée de ses enfants et de son gendre, elle a pris le bateau du port de Tripoli jusqu'à Gênes, en Italie, où elle a embarqué sur un navire vers Rio de Janeiro. Le groupe a ensuite effectué le trajet vers São Paulo en voiture. Sur leur route, il y avait des ruines, qui résultaient de la révolte Paulista de 1924. Aniz, du haut de ses huit ans, a alors demandé à sa mère: «Nous avons quitté le Liban à cause de la guerre, et nous arrivons dans un autre pays en guerre?»
Le bout du périple était la ville de Guaxupé, dans l'État de Minas Gerais. Guaxupé était connue pour la culture du café. Il s'y trouvait, vers 1925, plus de 400 familles libanaises et syriennes, des émigrés chrétiens pour la plupart, dont le prêtre oriental José Élias. Celui-ci a fait construire, en 1909, l'église orthodoxe de Guaxupé, deuxième église de cette communauté construite au Brésil.

Une évolution en dents de scie
Aniz (au Brésil «Anísio Abílio») a vite commencé à travailler dans plusieurs domaines. Sa mère fabriquait du «chankliche» (fromage sec en forme de boule enrobé d'herbes aromatiques – thym, romarin, piment...), destiné à la vente. Devenu adulte, Anísio s'est marié avec Alzira Gabriel Ferreira (Haddad), née au Brésil, originaire de Baino, dans le Akkar. C'est la fille des émigrés Julio Haddad et Marum Abdelmassih. Anísio et Alzira ont eu neuf enfants – Leila, Julieta, Maria, Jorgina, Romeu, Neifa, Aparecida, Alberto et Ana Maria. Pour assurer l'éducation de leurs enfants, ils ont fini par quitter la petite ville pour regagner São Paulo.
Romeu Abílio, le cinquième fils du couple, né à Guaxupé en 1949, a débuté sa vie professionnelle dans une industrie de matelas, avant d'exercer divers métiers comme cordonnier, menuisier ou encore pompier. Dans la période allant de 1961 à 1967, il est devenu séminariste à Guaxupé, mais a dû renoncer au séminaire pour travailler et aider sa famille. À São Paulo, il a poursuivi ses études tout en travaillant: il a suivi une formation en histoire et en droit. Après avoir décroché sa maîtrise en droit, il est devenu avocat, puis juge à São Paulo, tout en étant professeur de droit à l'université Unifieo, à Osasco, São Paulo (depuis 1994 jusqu'à aujourd'hui). Romeu est aussi auteur de livres en droit constitutionnel et procès pénal. Actuellement juge à la retraite, il est marié avec Rosemary Costhek Abílio, descendante d'immigrés polonais et allemand, diplômée en lettres et traductrice de langue française. Ils ont eu deux filles, Vanessa, spécialisée en biomédecine et professeur, et Ludmilla, sociologue, écrivaine et professeur.

La famille, et tous les autres
Le livre de Romeu Abílio est la somme d'annotations et d'enregistrements d'histoires qu'il a gardés de ses conversations avec des descendants d'émigrés libanais à Guaxupé. Il s'agit d'une analyse sociologique axée sur les communautés libanaise et syrienne à Guaxupé, et la figure de son propre père, Anísio, qui raconte l'histoire de sa famille depuis son enfance (1916) à Tell Abbas el-Gharbi, au Liban, jusqu'à son voyage au Brésil en 1924, et sa vie à Guaxupé. Anísio est décédé en 2003 à Guaxupé. Le livre est un hommage rendu à un peuple venu de loin, qui s'est adapté au Brésil et à la ville de Guaxupé. Il a appris la langue portugaise, avec l'accent «mineiro», en adoptant la mode locale, mais en gardant certaines traditions orientales, relatives à la religion, la gastronomie, la vie familiale. Il a contribué au développement de sa ville d'adoption, Guaxupé.
En février dernier, Romeu Abílio a lancé son livre Souvenir des Minurcas à la Maison culturelle de Guaxupé, en rassemblant un grand nombre d'amis des communautés libanaise et syrienne, et en présence des notables de la ville. À cette occasion, il a donné une conférence sur le livre et organisé une exposition de photos sur les rues baptisées du nom des immigrés à Guaxupé.
Dans une interview à l'agence de Notícias Brasil-Árabe (Anba), Romeu a dit: «Ce que j'ai toujours souhaité faire à travers ce livre, c'est garder le souvenir de cette grande communauté libanaise à Guaxupé, tout en me basant sur l'histoire de ma propre famille. Les livres portant sur l'émigration arabe parlent des familles et des grands entrepreneurs qui ont brillamment réussi, mais ils oublient les travailleurs, les commerçants, les forgerons...»

Un nouveau livre sur l'émigration libanaise, intitulé Lembranças Minurcas («Souvenirs des Minurcas»), de Romeu Abílio, vient de sortir au Brésil. Le mot minurcas est un néologisme que l'auteur a créé, une jonction de deux mots, min, qui veut dire mineiro, habitant de l'État de Minas Gerais, au sud-est du Brésil, et urcas, en d'autres termes «turcs», comme l'on nommait, au Brésil,...