Mémorable Jacqueline Kennedy, la First Lady qui, lors du mandat présidentiel de son époux (1961-1963), avait déclaré qu’il fallait absolument que la Maison-Blanche ait son curateur, pour mettre de l’ordre et sauvegarder les plus de 60 000 objets d’art décoratif qui s'y trouvent. Un souhait exécuté par un décret du Congrès américain stipulant de «prévoir un conservateur de la Maison-Blanche et (d')établir un comité pour la préservation de la Maison-Blanche ». C’est ce que l’on découvre dans un ouvrage publié en ligne et intitulé Furnishing the White House: The Decorative Arts Collection (Meubler la Maison-Blanche : la collection des arts décoratifs). Ce très bel ouvrage, richement illustré, est publié par la White House Historical Association, également créée par Jacqueline Kennedy et qui n’a depuis cessé de promouvoir et de suivre de près les évolutions de la première résidence des États-Unis. Le livre donne un aperçu des coulisses de la décoration intérieure de la Maison-Blanche, du nombre de pièces acquises et de la manière dont elles racontent l’histoire à travers le temps et les goûts d’une jeune nation.
La recherche de raffinement s'opère en 1828, lors de l'arrivée du président Andrew Jackson à la Maison-Blanche. Populiste et réputé pour être fruste, il surprend tout le monde en optant pour un ameublement d’un style français tout en élégance dans le but de faire valoir la puissance et le prestige de la nation. Il va même jusqu’à faire ériger un arc de triomphe à l’entrée est. Son prédécesseur, James Monroe, avait donné le ton « French » en commandant des meubles français dorés pour le salon d’État. Le tout accompagné d’objets d’art décoratif et de rideaux somptueux.
Les chaises à bascule présidentielles de Sam Maloof
Au fil des ans, la Maison-Blanche fut rénovée dans cette même veine jusqu’à l’avènement du président Kennedy dont l’épouse Jacqueline insuffle classe et finesse extrêmes aux allées du pouvoir. Durant ce mandat, on a notamment fait appel à Sam Maloof (1916-2009), un célèbre artiste américain des meubles en bois, principalement réputé pour la pureté de ligne de ses pièces, exécutées sans un seul clou. Les différents éléments qui composent l'ensemble de chacun de ses meubles s'emboîtent les unes dans les autres. Une technique baptisée d'ailleurs Jointures Maloof. Il façonnait ses meubles à la manière d'un sculpteur, travaillant manuellement, sans avoir recours à aucune machine. Pour le président Kennedy qui souffrait de maux de dos, il avait conçu et réalisé une chaise à bascule devenue iconique, adoptée plus tard par les présidents Ronald Reagan, Jimmy Carter et Bill Clinton. Jimmy Carter avait surnommé Maloof « le Hemingway du bois » et lui avait rendu visite en Californie où il résidait. Il lui avait aussi dédicacé une photo « à mon héros du travail du bois »
Samuel Solomon Maloof naît en 1916 dans une grande famille, à Chin (en Californie), de parents émigrants libanais. Son père, Slimani Nassif Nadir Maloof, et sa mère, Anisse, avaient quitté leur village de Douma (Liban-Nord), en 1905 pour les États-Unis. Son père avait ouvert un commerce d'objets usuels alors que sa mère fabriquait de la dentelle qu'elle revendait. Le couple a eu neuf enfants dont Sam qui avait appris à parler espagnol auprès d'une femme de ménage d'origine mexicaine et l'arabe auprès de ses parents, avant même d'apprendre l'anglais.
Consacré pour la plénitude esthétique du quotidien
Sam Maloof travaille le bois dès son enfance, fabriquant pour sa mère une large spatule pour retourner le pain, sculptant des meubles de maison de poupée, des voitures et d'autres jouets. Après des études de menuiserie et d’art graphique, il devient, en 1950, l'un des membres les plus éminents du Mouvement du design moderne de Los Angeles. Il est immédiatement remarqué par le célèbre désigner Henry Dreyfus, qui lui demande de collaborer avec lui. Pour lui, il n'existait aucune frontière entre l'art et l'artisanat.
Vers la fin de sa vie, Sam Maloof, qui s'est toujours souvenu de ses origines libanaises, s’est rendu au Liban afin de recevoir le prix Fouad Makhzoumi pour l'innovation. Bien avant cela, en 1959, il était venu pour tenter de développer une nouvelle ligne de design avec un collègue libanais nommé Akram Abdel Rahim avec lequel il s'était lié d'amitié. Pour ce designer vsionnaire, un meuble réussi est un meuble qui parle aux yeux, aux mains et au cœur. « Je voudrais être capable, dit-il un jour, de faire d'un morceau de bois un objet qui soit enchanteur et fonctionnel. Je voudrais être capable de travailler des matériaux dont je conserverais leur beauté naturelle et leur chaleur. Travailler comme on a envie de le faire est une grâce de Dieu. » Une grâce qu'il a connue dès son enfance, lorsqu'il taille dans du bois ses premiers jouets : un pistolet à cylindre et un camion. Parmi ses bois favoris, le noyer clair, le cerisier, le chêne, le bois de rose et l’if. Pour des pièces plus grandes, il aimait parfois utiliser du bois de peuplier en lui donnant une harmonie qu'on ne lui connaît généralement pas.
Les États-Unis, qui lui ont décerné plusieurs hautes distinctions, dont le très convoité MacArthur Foundation Genius Grant, lui sont encore reconnaissants de ce qu'il leur a offert, et surtout de cette plénitude esthétique dans leur quotidien. À commencer par la Maison-Blanche où le nom de Sam Maloof est devenu partie intégrante de l’histoire de cette demeure célèbre dans le monde entier. Une sélection de ses meubles figure dans tous les grands musées américains, notamment, le Metropolitan Museum of Art, le Los Angeles County Museum of Art, le Philadelphia Museum of Art et le Smithsonian American Art Museum qui le décrit comme « l’artisan américain du meuble le plus innovant ».
commentaires (5)
Génial article!
Nanor Der Boghossian
15 h 43, le 21 avril 2024