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Liban - Séminaire de la Fondation May Chidiac au Phoenicia

Des mères de jihadistes témoignent de l’endoctrinement de leurs fils victimes de la « mafia du sang »

Dans le cadre de la Journée internationale de la femme, célébrée le 8 mars, la Fondation May Chidiac a organisé mardi à l'hôtel Phoenicia son traditionnel séminaire annuel ayant pour thème « Women in the Front Lines » (« Les femmes sur la ligne de front »). Une journée de débats et d'échanges autour du rôle des femmes, aussi bien en politique que dans les affaires, ou en tant que mères, dans le but de leur permettre d'agir, de réussir au sein de la société et d'être les moteurs de l'établissement de processus de paix.

C'est donc des portraits de femmes – à l'image de May Chidiac, fondatrice et présidente de la Fondation May Chidiac – en tant que chefs de file, entrepreneuses et militantes, que cette journée a dressés.
Le séminaire s'est tenu sous le patronage de Mme Lama Tammam Salam, en présence de nombreuses personnalités publiques et politiques, dont notamment le ministre d'État pour la Réforme administrative Nabil de Freige, le député Nadim Gemayel, l'ex-ministre française en charge de la Francophonie Yamina Benguigui, ou encore la réalisatrice libanaise Nadine Labaki et l'écrivain libanais Charif Majdalani.

Cette quatrième édition du séminaire a mis l'accent sur la crise syrienne et les difficultés du Liban à gérer l'afflux de réfugiés sur son territoire. Certaines interventions ont surtout fait la lumière sur le parcours d'enfants devenus jihadistes. Ce thème a plongé l'assistance au cœur de l'actualité, celle du jihadisme international à travers le regard des femmes, mais pas de n'importe quelles femmes, celles de mères d'enfants partis au combat sous la bannière de l'État islamique. Tour à tour, elles ont pu s'exprimer et partager leurs récits de vie, mais surtout leurs recommandations concernant les signaux qui, aujourd'hui, leur apparaissent évidents et qui pourraient sauver d'autres enfants et familles. Car, au cœur de cette guerre d'idéologies menée par Daech, il n'y a que des victimes, dont la principale reste la famille.

Avec émotion et amour, les mères de Lucas (18 ans), de Quentin (22 ans), de Mohammad (26 ans) et de Yassine (20 ans) ont exposé les parcours de leurs fils, des enfants « ordinaires » dont la vie et l'avenir ont basculé suite à une malencontreuse rencontre. Ces quatre mères, aimantes, engagées, protectrices, d'origines et de classes sociales différentes, étaient rassemblées par le même sentiment d'impuissance, celui de n'avoir rien pu faire pour sauver leurs enfants.
Ces garçons musulmans ou récemment convertis, comme ce fut le cas pour Lucas et Quentin, sont, selon leurs mères, « des jeunes qui se sont reconnus dans le conflit syrien et qui n'avaient pas d'autre intention que celle d'apporter une aide humanitaire au peuple syrien » opprimé.
Toutes s'accordent à dénoncer l'endoctrinement et la manipulation dont leurs enfants ont été les victimes par ce qu'elles nomment désormais « la mafia du sang ».

(Lire aussi : Pour les mères de jihadistes belges, « le monde s'est arrêté »)

 

« Réjouissez-vous, votre fils est martyr »
Mais victimes à quel point ? Certaines, comme Karolina, la mère de Lucas, ou encore Véronique et Naziha, les mamans respectives de Quentin et de Mohammad, ont reçu un appel ou un simple message leur certifiant le décès de leur fils par ces quelques mots : « Réjouissez-vous, votre fils est tombé en martyr. » Ces enfants sont alors non pas morts, mais supposés morts. Premièrement, ils sont supposés morts par leurs mères, car il y a une opacité totale sur les circonstances de leur mort. Ces femmes n'ont ni corps ni preuve que leur fils n'est plus vivant, à part quelques mots reçus par SMS d'un inconnu. Et, deuxièmement, comme pour le cas de Quentin, qui est d'origine française, le fils de Véronique est supposé mort, car, en l'absence de preuves évidentes du décès, il n'est pas reconnu comme tel par l'État français, la reconnaissance prenant 10 ans à s'établir d'après la loi.

À la suite de l'annonce du décès de Lucas, Karolina, sa mère, a visionné pendant des heures des vidéos de décapitation, de tortures, mises en ligne par l'État islamique, ne serait-ce que pour avoir une trace de son fils. Ces mères sont à la recherche de la moindre trace et entretiendront éternellement un infime espoir de voir leurs fils rentrer à la maison ou de les savoir en vie.

Naziha, la mère de Mohammad, d'origine tunisienne, a appris seulement vingt jours après le départ de son fils pour la Syrie, en octobre 2013, qu'il était mort. Cependant, mue par son intuition maternelle et refusant de croire que son fils était tombé au front au nom de l'État islamique, elle a voulu mener sa propre enquête avec l'aide d'une journaliste tunisienne. Elles pensent avoir retrouvé la trace du jeune homme qui serait non pas mort, mais emprisonné en Syrie près de la ville de Deir ez-Zor. Quant à la mère de Yassine, Malika, elle a pu, il y a quelques jours, avoir des nouvelles de son fils. Depuis le départ de ce dernier, le 13 août, elle était restée sans nouvelles, ignorant totalement si son fils était vivant ou mort.

La prévention, une priorité
Ces quatre femmes, ces quatre mères, que leurs fils soient déclarés morts par l'État islamique ou vivants, vivront dans l'attente, car aucune aide des États, toutes nationalités confondues, n'est apportée à ces mères afin de sauver leurs fils des mains de l'État islamique ou afin de les éclairer et de leur confirmer leur mort.
Aujourd'hui, ces mères, en partageant leurs récits de vie, viennent combler l'absence de prévention de la part des États. Elles souhaitent alarmer les familles contre la radicalisation, poussant les enfants au départ. La prévention est devenue pour ces mères une priorité, car tout départ pour la Syrie est le signe d'un non-retour. En effet, les politiques et les sanctions appliquées aux enfants de retour de Syrie sont très lourdes et très strictes (récemment en Belgique un recruteur d'enfants a été condamné à 10 ans d'emprisonnement, contre une condamnation de 15 ans pour les enfants de retour de Syrie), ce qui n'encourage pas ces jeunes à rentrer, les forçant ainsi à rester au front. Ces enfants voulaient, selon la mère de Yassine, Malika, « créer un monde meilleur », et chaque jour elle continuera à défendre son fils.

Cette conférence résonne comme un cri du cœur de ces mères en souffrance, débordant d'amour pour leurs enfants. Elles n'étaient pas seulement présentes en tant que mères de Lucas, de Quentin, de Mohammad et de Yassine, mais elles étaient avant tout une représentation des mères du Liban et du monde, qui vivent à l'heure actuelle la même situation, victimes, elles aussi, de l'endoctrinement forcé de l'État islamique. Que ces enfants soient retrouvés vivants ou morts, ils rétabliront ainsi leur vérité : celle d'être mort soit en martyr ou en victime, et peu importe l'issue, cette guerre d'idéologies a déjà profondément marqué les familles.

 

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