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Liban - Crise des déchets

Une chance pour Chinook, un désastre pour la santé

Soupçonnée d'avoir présenté de faux documents, Chinook, la compagnie chargée d'exporter les déchets vers la Russie, bénéficie d'un nouveau délai de grâce... au détriment de la santé des Libanais, un point au sujet duquel le ministre Pharaon a tiré la sonnette d'alarme.

Toujours pas d’issue en vue pour la crise des déchets. Patrick Baz/AFP

Dans l'affaire des déchets, entourée de plus en plus d'opacité, une question évidente se pose : si le processus agréé pour l'exportation de dizaines de milliers de tonnes de détritus répondait effectivement aux normes internationales prévues par la convention de Bâle, ce cafouillage se serait-il produit ?
Aujourd'hui, il n'y a pas que le Libanais qui ne comprend plus rien à l'affaire, hormis le fait qu'il n'est pas près de se débarrasser des ordures qui lui empoisonnent littéralement l'air, la nature et la vie. Un point sur lequel le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, a tiré la sonnette d'alarme, affirmant que la santé de centaines de milliers de Libanais est directement menacée.


Les autorités semblent tout aussi perplexes, face à un rebondissement qui les prend de court, celui du démenti, mardi, de la Russie, considérée pourtant jusqu'à il y a deux jours comme la destination confirmée pour l'exportation des déchets depuis plusieurs semaines.
L'agence russe Tass avait rapporté mardi que Moscou, par le biais d'un responsable de son ministère de l'Environnement, avait assuré n'avoir « jamais » donné son approbation pour l'importation des déchets du Liban, allant jusqu'à dire que les documents fournis par la société britannique Chinook aux autorités libanaises sont « falsifiés ».


Branle-bas officiel au lendemain de ces affirmations : le Premier ministre Tammam Salam a donné hier à Chinook un délai de 24 heures, porté ensuite à 48 heures, pour lui présenter via le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) des documents valides, signés par les ministères russes de l'Environnement et des Affaires étrangères, ainsi que par l'ambassade du Liban à Moscou, afin d'initier le processus d'exportation. M. Salam a tenu ces propos en marge de la 15e séance de dialogue qui s'est tenue hier à Aïn el-Tiné.


Au cas où ces documents ne seraient pas présentés dans les délais, le Liban se considérera comme étant libéré de son engagement vis-à-vis de cette société à qui il imposera une pénalité de 2,5 millions de dollars, une somme que Chinook avait versée au Liban à titre de caution. Beyrouth suspendra aussi ses négociations avec elle et c'est tout le principe de l'exportation qui sera abandonné.

 

« Toute l'affaire est bizarre »
Si le Sérail a décidé de patienter et d'accorder à la société britannique un délai de quarante-huit heures pour prouver que ses contacts sont réguliers, c'est parce que toute l'affaire lui semble bizarre, indique-t-on dans ses milieux. Le 12 février, au Congrès international de Munich pour la sécurité, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait confirmé au chef du gouvernement que son pays allait accueillir les déchets. L'ambassadeur de Russie, Alexander Zassipkyne, qui était en contact hier avec les autorités libanaises, promettant de tirer cette affaire au clair, avait lui aussi tenu à deux reprises des propos similaires.


Parallèlement, la commission parlementaire de l'Environnement, que préside le député Marwan Hamadé et qui a tenu une réunion extraordinaire consacrée à ce dossier, a donné, elle aussi, au gouvernement un délai de 24 heures pour trancher, en recommandant à l'exécutif d'abandonner le principe de l'exportation pour revenir au plan initial du ministre de l'Agriculture, Akram Chehayeb, en charge du dossier et qui a, au moins, l'avantage de présenter des solutions à court et long terme, suivant des mécanismes légaux et transparents ; deux qualités qui font cruellement défaut dans le processus engagé pour l'exportation des détritus. Le plan Chehayeb prévoit la décentralisation au niveau du ramassage et du traitement des ordures, qui seront confiés aux municipalités, ainsi que l'aménagement de décharges salubres dans le pays jusqu'à arriver au processus dit Waste to Energy ou la transformation des déchets en énergie.

 

Sous-traitance
Au cours de la réunion qui s'est déroulée en présence d'un représentant du CDR, Akram Chehayeb a donné un exposé détaillé de tout le processus relatif à l'exportation, montrant les documents obtenus et affirmant attendre les approbations officielles pour signer le contrat d'exportation.


Il a notamment montré deux papiers. Le premier, daté du 2 février, est signé par le ministère russe de l'Environnement, qui donne son accord pour l'exportation des ordures ménagères libanaises vers son pays. Le second, daté du 8 février, est signé par l'Organisation écologique russe, une administration publique en charge des questions de l'environnement. Dans ce document, cet organisme exprime cependant le souhait de parrainer lui-même l'exportation, tout en se disant satisfait de la collaboration d'une société russe avec Chinook. En d'autres termes, il sera l'interlocuteur de Chinook et sous-traitera cette mission à la compagnie russe. D'aucuns s'interrogent sur le point de savoir si un conflit d'intérêts en Russie, auquel l'Organisation écologique russe, une formation de militants écologiques russes hostiles à l'accueil de déchets étrangers sur leur territoire et les compagnies concernées, ne serait pas à l'origine du communiqué attribué par l'agence Tass au ministère russe de l'Environnement. « La mafia russe n'a rien à envier aux mafias libanaises », devait ainsi commenter Marwan Hamadé.

 

La colère de Pharaon : 500 000 personnes en danger
Toutes ces interrogations et cette nébuleuse font donc que le Liban a préféré attendre quelques heures pour en avoir le cœur net, mais le pays peut-il se permettre encore le luxe d'attendre, étant donné l'impact sur la santé de ces montagnes de déchets jetés dans la nature ? Furieux à cause de la tournure prise par les événements, le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, n'a pas manqué de tirer la sonnette d'alarme en s'arrêtant en particulier sur la gravité des effets de l'entreposage et de l'incinération sauvage des déchets dans les parkings sursaturés de la Quarantaine, faisant état de rapports mettant en garde contre une aggravation des cas de cancer dans un périmètre de quelques kilomètres autour de ce secteur, ce qui pratiquement affecte plus de 500 000 personnes, selon ses propos. Interrogé sur la source de ses évaluations, M. Pharaon a répondu qu'il comptait demander au ministre de la Santé de lancer des études d'impact de la crise des déchets sur la santé des Libanais. Il a également réclamé la réouverture de la décharge de Naamé, dont la fermeture est à l'origine de la crise des déchets.
La mise en garde du ministre rejoint d'ailleurs le rapport publié il y a quelques semaines également par l'AUB, pour expliquer les dangers qui découlent d'une incinération des ordures ménagères.

 

(Pour mémoire : Augmentation du taux de carcinogènes dans l'air d'au moins 2 300 %)


M. Pharaon a insisté sur le fait que la Quarantaine ne peut plus accueillir l'ensemble des ordures de Beyrouth et appelé le Conseil des ministres à se réunir pour essayer de trouver un autre emplacement, en attendant qu'une solution se dégage.
Dans le même temps, le député Talal Arslane, voulant sans doute anticiper un éventuel retour au projet d'aménagement de décharges, a mis en garde contre une telle option dans le secteur du Costa Brava, sur la route Khaldé-Saïda. Une attitude d'autant plus étonnante que cette zone est devenue un dépotoir sauvage à ciel ouvert, accueillant les déchets de la banlieue sud et polluant toute la région, alors qu'une décharge aménagée suivant des normes internationales résoudrait le problème de pollution.

 

 

Pour mémoire
Parfum de triche, l’éditorial de Issa Goraieb
Un espion israélien en lien avec la compagnie chargée de l'exportation des déchets ?

Pollution et crise des déchets ? La faute à la corruption...

 

 Repères
Exportations des déchets par le Liban : une infographie pour faire le point sur ce que l'on sait

Conventions, chiffres, principaux acteurs : une infographie pour comprendre l'exportation des déchets dans le monde

 

Dans l'affaire des déchets, entourée de plus en plus d'opacité, une question évidente se pose : si le processus agréé pour l'exportation de dizaines de milliers de tonnes de détritus répondait effectivement aux normes internationales prévues par la convention de Bâle, ce cafouillage se serait-il produit ?Aujourd'hui, il n'y a pas que le Libanais qui ne comprend plus rien à...

commentaires (6)

Des Hamîîîrs face à des Chinetoïques !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

15 h 17, le 18 février 2016

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Commentaires (6)

  • Des Hamîîîrs face à des Chinetoïques !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    15 h 17, le 18 février 2016

  • Je vous défie de trouver un seul lecteur qui croit à ces sornettes. Je me marre de lire que nos députés soient indignés, alors que tout le monde sait que l'argent n'a pas d'odeur. Il serait intéressant que vous publiez les noms de ceux qui ont initié cette crise, qui l'entretiennent et sabotent toute solution. F. MALAK

    Rotary Beyrouth

    13 h 09, le 18 février 2016

  • LOOK ! LOOK ! C,EST PAS MOI LE RESPONSABLE... C,EST CHINOOK !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 05, le 18 février 2016

  • Inadmissible, honteux et pathétique! Et ce qui serait encore plus pathétique, serait de voter pour ces memes dirigeants le jour ou (si jamais ce jours viendrait) il y aurait des elections. Ceci serait un cautionnement de la société civile a l'incompetence et le corruption!

    Hanna Philipe

    11 h 31, le 18 février 2016

  • Il semble qu'une grosse magouille était en place ...la puanteur devient de plus en insoutenable ...et les lixiviat des ordures de plus en plus troubles....

    M.V.

    10 h 50, le 18 février 2016

  • "...c'est parce que toute l'affaire lui semble bizarre...au Sérail..." A en pleurer de rage et de honte d'être dépendants de tels INCAPABLES ! Pourquoi accorder un délai supplémentaire de 48 heures à cette société CHINOOK ? Que peut-elle faire dans un laps de temps aussi court, si rien de valable n'a été fait jusqu'à présent ? On sait combien de temps prennent les formalités officielles au Liban et manifestement aussi en Russie. 48 h...probablement pour couvrir et justifier les sommes déjà empochées par nos SUPER-RESPONSABLES ! En attendant, les ordures s'entassent partout...mais cela n'inquiète pas ces beaux Messieurs censés diriger ce pays...ils ont tout le temps n'est-ce pas ? Je propose à ces SUPER-DEPUTES qui refusent d'accueillir les "déchets des autres" sur leur territoire, de commencer par enfouir leurs propres ordures dans leurs magnifiques jardins personnels. Ce sera toujours ça de saleté en moins à l'air libre ! Au fait, tous ces SUPER-RESPONSABLES...que font-ils avec leurs ordures ménagères...savent-ils seulement ce que c'est ??? Iréne Saïd

    Irene Said

    10 h 45, le 18 février 2016

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