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Économie - Interview - Bilan 2015

Bifani à L’OLJ : L’absence de transparence mine la crédibilité de l’État libanais

Dans une interview à L'Orient-Le Jour, le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, souligne que les avancées réalisées en termes d'image internationale du Liban sont sapées par la faillite de sa gouvernance publique.

Photo : D.R.

L'annonce, en décembre, de l'acceptation de la candidature du Liban à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) a conclu une année diplomatique riche pour le ministère des Finances. Quelles en sont les retombées concrètes pour le pays ?
L'adhésion du Liban à la Berd constitue un succès diplomatique et financier. Une fois que le Parlement aura autorisé la souscription au capital de l'institution, le Liban pourra devenir l'un de ses pays d'opération. Cela permettra d'injecter de l'argent frais pour financer des projets de développement importants ou la mobilisation de capitaux par des sociétés privées en phase de croissance. C'est aussi un succès diplomatique d'ampleur qui répare en quelque sorte l'injustice faite en 2011 à Deauville – lorsque les pays du G8 avaient écarté le Liban du « club » des pays arabes en transition bénéficiant de leur aide – et consacre la reconnaissance de sa crédibilité internationale.

La volonté d'assoir cette crédibilité a été aussi tangible en ce qui concerne l'impact de la crise syrienne sur le Liban, où une réponse adéquate de la communauté internationale s'est longtemps fait attendre. Début octobre, j'ai exposé lors de la conférence du FMI et de la Banque mondiale (BM) à Lima l'étendue et le coût de la réponse déployée par le Liban à l'ensemble des dirigeants des organisations partenaires. Ils ont ainsi pu prendre conscience de l'importance de soutenir préventivement le Liban et assurer des financements adéquats, à travers une initiative conjointe entre la BM, l'Onu et la Banque islamique de développement, dont les implications seront discutées dans les semaines qui viennent à Amman, puis à Londres.

Autre sujet majeur, les discussions avec nos partenaires sur l'avancée de la lutte contre le blanchiment d'argent. Le vote par le Parlement en novembre de lois sur l'échange d'informations fiscales, le blanchiment d'argent ou le transfert de fonds aux frontières a préservé le pays de chocs brutaux comme l'inscription sur les « listes noires » des organisations internationales dans ces domaines. Nous allons donc passer au deuxième tour des négociations – serrées – avec le Forum mondial de l'OCDE, où des sujets comme le secret bancaire seront naturellement sur la table, même si jusqu'à présent nous avons évité le sort de pays comme le Luxembourg ou la Suisse...

(Lire aussi : Les retombées de la crise syrienne affectent toujours l'économie)

 

Après avoir levé un record de 1,5 milliard de dollars d'eurobonds en février, puis de 1,6 milliard en novembre, le ministère des Finances a obtenu l'autorisation d'émettre 3 milliards en 2016. Quelles conséquences cela aura-t-il sur le ratio d'endettement du pays et sa crédibilité sur les marchés ?
L'autorisation parlementaire couvre les besoins d'endettement en devises, soit 2,6 milliards de dollars en principal en plus du paiement des intérêts en dollars ; tandis que le renouvellement des 13 600 milliards de livres (9,02 milliards de dollars) de dette – auxquels il faut ajouter environ 4 300 milliards de livres d'intérêts – n'a pas besoin de ce type d'autorisation.

Quant au ratio d'endettement, s'il a augmenté en 2015 à près de 180 % du PIB, c'est surtout parce que la croissance – estimée à environ 1 % – a été très inférieure à ce dont nous aurions besoin pour rester dans une spirale favorable. C'est notamment pour cela que le ministère consent, par exemple, à accorder des fonds bonifiés pour financer certaines initiatives de soutien à l'activité ou des secteurs d'avenir par la Banque du Liban.

S'agissant de la crédibilité financière du Liban, la première émission réalisée en 2015 a prouvé que nous étions capables de choisir le meilleur moment pour émettre, tandis que la seconde, où nous avons émis pour la première fois des titres d'une échéance de 20 ans, a permis de sauver des millions de dollars en maintenant des taux bien inférieurs à ceux des pays ayant une situation comparable. Ce, dans un contexte local de plus en plus difficile. C'est notamment le résultat du plan de gestion de la dette à moyen terme élaboré par une équipe mise en place en 2012, ce qui n'avait jamais été fait auparavant.

Votre ministère s'est vu aussi octroyer environ 7 189 milliards de livres de crédits supplémentaires pour couvrir les dépenses publiques en 2016, dont 841 milliards pour les seuls traitements des fonctionnaires. Cela suffira-t-il à éviter les menaces sur leur paiement, comme celles des deux exercices précédents? L'État peut-il fonctionner indéfiniment en dehors de toute légalité budgétaire?
Les traitements des fonctionnaires et militaires seront couverts, sur la base des effectifs 2015, tandis que les réserves budgétaires permettront de couvrir les augmentations de salaires légales. Tout dépend donc des embauches qui seront réalisées, mais nous ne devrions pas avoir de problèmes semblables à ceux des années précédentes (lorsque le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, avait exigé en été le vote de crédits supplémentaires avant de débloquer les fonds, NDLR).

Mais il est certain que nous ne devons plus continuer à fonctionner sans budget. Il n'y a aucune raison valable pour que l'État libanais s'abstienne de transparence financière ou d'une sanction populaire. Aucune raison pour que des nécessités absolues, comme le soutien à l'emploi, au développement des entreprises ou des infrastructures, ou encore l'octroi des filets sociaux indispensables au bien-être des citoyens, soient remises aux calendes grecques. Cette absence de transparence et de bonne gouvernance mine la crédibilité internationale du Liban. Surtout, elle a pour conséquence l'incapacité de l'économie libanaise à conserver ses jeunes dans un monde globalisé. Alors, certes, nous sommes capables de survivre et de gérer les crises ; mais très peu de privilégiés profitent de cette situation de survie, tandis que la quasi-totalité du peuple en souffre de manière honteuse...

 

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