C'est un secret de polichinelle en matière de gouvernance et de transparence : la majorité des sociétés libanaises sont loin d'être conformes aux standards internationaux. Mais si cette carence peut aisément s'expliquer pour 90 % du tissu entrepreneurial libanais (composé de petites et moyennes entreprises), le fait que le phénomène s'étende également aux sociétés cotées à la Bourse de Beyrouth – dont sept sur dix sont des banques – est plus surprenant.
Ainsi, pour la première fois au Liban, un rapport publié cette semaine sur le site Shareholder-rights.com s'emploie à mesurer le degré de transparence de la gouvernance des dix sociétés cotées à la Bourse de Beyouth ainsi que de 102 sociétés cotées sur neuf places de la zone Mena. « L'objectif du rapport est de faire prendre conscience que le respect des principes de gouvernance d'entreprise est indispensable pour garder la confiance des actionnaires libanais et encourager les investisseurs étrangers à investir au Liban », explique à L'Orient-Le Jour Yasser Akkaoui, le président de Capital Concept, la société à l'origine de l'étude et reconnue par la Banque du Liban depuis 2011.
Strict minimum
« Depuis la crise financière de 2008, les actionnaires dans le monde entier ont pris conscience de la nécessité de pouvoir contrôler la manière dont sont gérés leurs investissements comme du respect de l'exercice de leur droit de vote lors des assemblées générales », poursuit-il. Yasser Akkaoui rappelle également que « le premier recueil rassemblant ces recommandations a été élaboré par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 1994 et qu'il a fallu attendre avril 2010 pour que chaque pays possède son propre code et l'impose aux sociétés cotées sur son territoire. Le Liban a son code depuis 2007, mais la crise de 2008 a aussi démontré que de très nombreuses sociétés cotées de par le monde ont appliqué ce type de code pour la forme ».
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Pour mesurer le niveau de gouvernance de ces entreprises, les auteurs du rapport ont vérifié l'existence et l'accessibilité d'une centaine de types de données spécifiques relatives à la santé financière de l'entreprise : comptes consolidés, listes des actions qui composent le portefeuille de la société et leur répartition, rapport de gestion, etc. « Ces données doivent être disponibles et actualisées sur l'ensemble des plates-formes en ligne qui sont mises à la disposition des actionnaires par les établissements concernés », explique Yasser Akkaoui. La proportion de données fiables et accessibles détermine alors la note de la société concernée, comprise entre « A » et « F ». « Un "A" signifie que la société publie plus de 90 % des informations indispensables pour les actionnaires. Ce ratio se situe en dessous de 20 % pour les entreprises à qui la note de "F" a été attribuée », expose encore Yasser Akkaoui.
Selon cette méthode, les dix sociétés libanaises cotées en Bourse obtiennent donc une moyenne de 27 %, soit l'équivalent d'un « D », ce qui signifie que la société en question « applique le strict minimum imposé par les autorités de régulation », précisent les auteurs du rapport. Ce ratio grimpe à 39 % pour les sept établissements bancaires cotés à la Bourse de Beyrouth.
Avec un ratio de 71 % d'informations accessibles et un « B+ », Blom Bank occupe la tête de ce classement. Bank Audi (63 %, B-) et Byblos Bank (50 %, C+) complètent le podium des bons élèves, devant Solidere (30 %, D+) et Banque Bemo (21 %, D-). Les cinq autres sociétés suivantes, BLC Bank (17 %), Bank of Beirut (13 %), Holcim Liban (4 %), Rymco (1 %) et Ciments Blancs (0 %) obtiennent toutes un « F ».
« La note obtenue par BLC Bank et Bank of Beirut ne signifie pas que ces établissements ne respectent par les règles dictées par la BDL, mais simplement que ces établissements ne relaient pas assez d'informations utiles pour les actionnaires sur leurs plates-formes en ligne », note Yasser Akkaoui. « En l'occurrence, leur situation peut être régularisée dans un délai très court dans la mesure où ces banques compilent déjà l'essentiel de ces données », ajoute-t-il. « La situation est différente pour Holcim Liban et Ciments Blancs, deux filiales du groupe Holcim, dont la maison mère, basée en Suisse, respecte pourtant scrupuleusement les principes de gouvernance dans ce pays. Dès lors, pourquoi ne le font-ils pas au Liban ? » s'indigne Yasser Akkaoui.
Dysfonctionnements
Certes les performances des sociétés libanaises ne sont dans leur ensemble pas forcément pires que celles cotées dans d'autres places arabes. Quoique... Si seules 0,5 % de ces dernières obtiennent un « B » ; un quart d'entre elles se voient affublées d'un « F », contre la moitié au Liban, pour un échantillon dix fois plus réduit. « Ces manquements sont notamment imputables aux dysfonctionnements de la Bourse de Beyrouth, dont la présidence est vacante depuis le départ de Fadi Khalaf en 2008 », commente encore M. Akkaoui.
Interrogé sur l'impact que pourrait avoir cette étude au Liban, il estime enfin « que ce rapport a autant de chance de faire mouche que de passer inaperçu », avant de conclure : « Il faut espérer que les sociétés incluses dans ce rapport comme les autorités de régulation considèrent que ces notes leur portent préjudice et peuvent affecter la confiance des investisseurs existants et potentiels... Cela les incitera à revoir leur fonctionnement. »
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15 h 01, le 14 janvier 2016