La Bourse de Beyrouth serait-elle à l'abri des secousses financières mondiales ? Alors que la majorité des places de la planète ont été secouées ces derniers mois par les contre-performances de l'économie chinoise, la Bourse de Beyrouth a pour sa part connu un été assez tranquille, avec des variations hebdomadaires ne dépassant jamais la barre des 2 %, dans un sens ou dans l'autre. Mais loin d'être un signe de résilience, cette performance confirme surtout la déconnexion de la place libanaise, elle-même révélatrice de dysfonctionnements des sociétés qui y sont cotées. « Si la Bourse de Beyrouth est si peu sensible aux fluctuations des marchés mondiaux, c'est notamment parce que les entreprises qui y sont inscrites n'appliquent pas les principes de la gouvernance d'entreprise de façon uniforme, quand elles le font. Or, le respect de ces principes est un prérequis indispensable pour gagner la confiance des investisseurs étrangers », commente Yasser Akkaoui, fondateur du cabinet de conseil Capital Concept, la première société de conseil et de notation en matière de gouvernance d'entreprise reconnue par la Banque du Liban (BDL).
« Approuvés en 1999 par l'OCDE, les principes de gouvernement des entreprises se définissent par une répartition effective des prérogatives au sein d'une société donnée, visant à lui assurer une gestion transparente et saine des affaires dans l'intérêt des parties prenantes comme des actionnaires », résume Badri el-Meouchi, fondateur et membre de l'Association libanaise pour la transparence, l'antenne libanaise de Transparency International. Or au Liban, « la concentration de la majorité des pouvoirs de décision d'une entreprise dans les mains d'une personne ou d'un groupe de personnes et le rapprochement des entreprises entre elles fausse le jeu de l'offre et de la demande sur le marché des actions, au grand dam des petits actionnaires qui n'ont que peu ou pas d'influence sur les décisions », explique M. Akkaoui.
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Tableau assez sombre
Son cabinet s'apprête d'ailleurs à publier dans quelques semaines une évaluation sur la qualité de la gouvernance dans près d'une centaine d'entreprises cotées dans les 17 Bourses arabes, dont les dix entreprises inscrites à la Bourse de Beyrouth. Si les résultats de l'enquête réalisée par Capital Concept ne sont pas encore publics, les informations distillées par M. Akkaoui dressent un tableau assez sombre : « Sur les dix sociétés cotées à Beyrouth, seules trois s'emploient à appliquer les principes de l'OCDE sur la gouvernance d'entreprise ... »
Un constat d'autant plus problématique qu'il porte sur les pratiques des sociétés qui, par leur chiffre d'affaires, leur secteur d'activité – la plupart sont des banques – et surtout le fait qu'elles soient cotées en Bourse, sont censées être les plus rigoureuses en la matière dans un pays où le tissu entrepreneurial est composé à 90 % de petites et moyennes entreprises. De fait, la plupart des observateurs s'accordent à constater que les pratiques des entreprises libanaises, en général, sont souvent en totale contravention avec les standards internationaux de bonne gouvernance.
Concentration des pouvoirs
Ce, pour plusieurs raisons. La première est directement liée à la structure familiale des entreprises qui tend à perpétuer un modèle dans lequel l'essentiel des pouvoirs de décisions se retrouvent très concentrés. « Il n'est pas rare que les fonctions de CEO, de président du conseil d'administration et de directeur général soient exercées par une seule et même personne », illustre M. el-Meouchi. Une tendance qui englobe une grande partie des sociétés libanaises, comme l'a rappelé l'ancien ministre libanais de l'Économie et du Commerce Nasser Saïdi dans un rapport sur la gouvernance d'entreprise de la zone Mena publié en 2004 par la Société financière internationale. Ce rapport fait notamment état d'un sondage auprès de 298 PDG de sociétés – dans les secteurs bancaire, industriel, de la construction et des services non financiers -, et dans lequel moins d'une société sur deux affirmait avoir inscrit dans ses statuts l'interdiction pour un membre du conseil d'administration ou de la direction de disposer d'un pouvoir de décision dans les assemblées générales réservées aux actionnaires.
Autre entorse commune, l'absence de transparence vis-à-vis des actionnaires. Outre le manque de régularité des assemblées générales, l'insuffisance des informations communiquées aux actionnaires au sujet de la situation financière de l'entreprise – rapport annuel, agenda des réunions, ou réponses à des demandes d'informations – est souvent pointée du doigt. « Et ce sont les actionnaires minoritaires qui en font systématiquement les frais », relève M. Akkaoui.
Enfin le troisième dysfonctionnement est, lui, directement lié à « un manque de moyen ou de volonté des pouvoirs publics pour appliquer rigoureusement les lois qui posent la réglementation en matière de gouvernance des entreprises », selon M. el-Meouchi. « Les organes de contrôle – l'autorité de régulation des capitaux, entre autres – existent, mais n'exercent pas pleinement leurs prérogatives », soutient-il. « Le fonctionnement de ces institutions est rendu inopérant par la corruption ambiante », affirme de son côté M. Akkaoui.
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