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Le Liban en 2015 - Otages

La libération des militaires otages : Lorsque l'humain prime sur toute autre considération

Une ambiance de fête, avec parents, conjoints et enfants, dans un Grand Sérail transformé pour la libération des otages. Photo Ibrahim Tawil

« We don't negotiate with terrorists » : cette phrase célèbre de Barack Obama prononcée en 2008 à propos du Hamas, classé comme organisation terroriste par les États-Unis, a été reprise par nombre de nations. Mais, depuis, les choses ont changé, même pour l'administration américaine. Face à la barbarie montante de l'État islamique, c'est désormais l'humain qui prime et nul n'a plus envie de voir des otages décapités ou brûlés vifs dans des cages. On a finalement décidé qu'il valait mieux négocier mais on garde une certaine réserve. Hors de question de payer des rançons aux ravisseurs (ou du moins de l'afficher publiquement) afin de ne pas les encourager à recourir à cette méthode comme moyen de financement de leurs activités.

Durant la guerre civile libanaise, les milices avaient souvent recours à ce genre de procédés, notamment en prenant des journalistes et des diplomates en otages et en monnayant leur remise en liberté (sans compter les civils kidnappés dont le sort est encore inconnu et certains journalistes moins chanceux qui ont été exécutés en captivité). Plusieurs scandales ont éclaté à ce propos en France ou aux États-Unis, par exemple, accusés d'avoir payé des rançons aux ravisseurs de leurs ressortissants dans les années 80. Ce qui n'est pas sans nous rappeler l'un des films de Maroun Baghdadi, Hors la vie, dans lequel un photographe de guerre français est séquestré par une milice de Beyrouth-Ouest puis libéré par ses tortionnaires en faveur, sans doute, d'un échange de prisonniers ou du versement d'une rançon. Dans une des scènes du film, le prisonnier, incarné par Hippolyte Girardot, réussit à s'échapper de sa geôle pendant quelques minutes et se retrouve dans une des pièces de la maison où il est détenu. Face à lui, un de ces téléphones comme on en trouvait encore au Liban au début des années 90, noir et avec un petit papier sur le bas qui indique le numéro du poste. La dernière scène du film montre le photographe rentré à Paris qui s'arrête à une cabine téléphonique et compose le numéro. Mais la maison a été abandonnée entre-temps et le téléphone sonne sinistrement dans le vide. Il ne saura jamais où, ni par qui il a été détenu.


L'État libanais a lui aussi choisi de négocier afin de libérer les 16 militaires et policiers retenus, depuis août 2014, par le front al-Nosra dans le jurd de Ersal, mais à quel prix... Si l'État affirme ne pas avoir payé de rançon à al-Nosra, il a toutefois consenti à un échange de prisonniers islamistes – considérés comme étant « les moins dangereux » – et a également accordé au groupe le droit d'accéder aux hôpitaux de la localité de Ersal. Les négociations, elles, ont eu lieu grâce, entre autres, à l'intervention de médiateurs presque inconnus du grand public et qui ont été tout à coup propulsés sur le devant de la scène, tels le cheikh salafiste Moustapha Houjeiry, alias Abou Takiyé, ou le président de la municipalité de Ersal, Ali Houjeiry. Ces derniers ont prouvé qu'ils possédaient des contacts intéressants ou, du moins, des moyens efficaces d'entrer en contact avec les organisations armées qui terrorisent la région. Sans oublier que le cheikh Moustapha Houjeiry a déjà été condamné à deux reprises par contumace. Concernant les neuf soldats qui sont toujours aux mains de l'EI, l'État libanais a également affiché sa volonté de négocier. Mais contacter Daech s'avère très compliqué à cause du caractère hermétique de l'État islamique, tant sur le plan géographique qu'au niveau des pourparlers, même si l'EI s'est avéré maître en matière de communication digitale et de e-marketing. Le Liban réussira-t-il à contacter les dirigeants de l'EI? Et si oui, quelles seront leurs conditions ? À noter qu'aucune information n'a filtré sur les neuf otages depuis près d'un an et qu'on ignore tout de leur état de santé ainsi que de leur lieu de détention.


Pour les familles des soldats, l'inenvisageable est maintenant envisagé. Leurs enfants sont peut-être morts et ils se sont résignés à accepter cette idée, même s'ils désirent qu'ils soient en vie. Sans nouvelles, ils veulent rester réalistes et se préparer au pire. Mais, entre-temps, ils ne lésinent pas sur les moyens pour entrer en contact avec Daech. Comme l'EI est un professionnel d'Internet et des réseaux sociaux, les familles tentent de le contacter sur Facebook et autres sites, dans l'espoir d'obtenir des informations sur les soldats. En vain. Comme quoi, ne peut contacter l'EI qui veut. Mais si l'EI veut vous contacter, il vous trouvera.


Face à une telle situation, l'armée libanaise et les FSI font partie des dernières institutions à tenir encore debout au Liban. Sans vouloir tenter une énième analyse de la situation et de la complexité religieuse et politique du Liban, il suffit de constater les faits pour comprendre que les militaires et policiers tombés aux mains des terroristes en août 2014 ont été enlevés alors qu'ils exerçaient leurs fonctions et protégeaient la frontière libanaise. Mais quelle crédibilité pourrait avoir un État quand ses forces armées sont prises en otages ? Ou quand il relâche des personnes dangereuses pour récupérer les otages ? Mais on se demande aussi quelle aurait pu être l'alternative. L'humain l'emporte sur la raison d'État, et on ne peut que partager la joie des familles quand on voit leurs fils rentrer. On ne peut qu'être empathiques, mais on aimerait aussi que le Liban soit un État plus fort, un État capable de faire en sorte de ne pas arriver, tout court, à ce genre de situation.

 

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