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Culture - Photographie

Oui, on peut montrer le monde arabe au-delà de ses clichés...

La nouvelle Biennale des photographes du monde arabe contemporain, organisée conjointement par l'Institut du monde arabe (IMA) et la Maison européenne de la photographie, a ouvert ses portes à Paris il y a une semaine. Pendant deux mois, cinquante artistes nés ou vivant dans des pays arabes exposent leurs œuvres dans huit lieux différents. Une belle manière de contrer l'exponentielle prolifération d'images médiatiques productrices de stéréotypes.

À Beyrouth, le béton est aveugle mais les horizons restent ouverts. Par Joe Kesrouani.

«Le monde arabe est victime aujourd'hui de préjugés et de visions superficielles; dans ses profondeurs, il n'est pas ce que l'on montre de lui», affirme Jack Lang, directeur de l'IMA, mobilisé pour une valorisation objective de l'art contemporain arabe et du monde arabe. En ces lendemains de drame, ces mots résonnent avec justesse, lorsque l'horreur et la colère entraînent l'aveuglement et l'amalgame. À l'origine de l'initiative de cette première Biennale des photographes du monde arabe contemporain, Jack Lang a réunit deux grandes institutions culturelles parisiennes, l'IMA et la Maison européenne de la photographie. Basée sur une sélection rigoureuse, la manifestation met en avant la scène photographique arabe, en pariant sur des «propositions neuves, ne se reposant pas sur des artistes déjà établis», explique Gabriel Bauret, commissaire général de la biennale.

La réunion de cinquante regards d'artistes, principalement arabes, choisis pour leur qualité de réflexion sur des questions touchant de près ou non à l'actualité, vise aussi à contrer l'exponentielle prolifération d'images médiatiques productrices de stéréotypes. Entre la vision fantasmée d'un Orient idyllique et romantique «fabriqué» par l'Occident du XIXe siècle, et dont Edward Saïd déploie la thèse dans son ouvrage L'Orientalisme et la vision récente et en pleine expansion d'un monde arabe pétri par la guerre, la violence, la mort, il est aujourd'hui essentiel de soulever ces épaisses couches de clichés largement appliqués à coup de truelles, pour creuser en dessous de ce vernis des réalités bien plus subtiles et complexes. Les photographes présentés s'expriment «de manière métaphorique, ils "dépassionalisent", vont plus loin que ce que nous montrent les médias» affirme Jean-Luc Monterosso, directeur de la Maison européenne de la photographie.

Un projet de grande ampleur, dont l'Office du tourisme du Liban n'est pas étranger, puisqu'il ne représente pas moins qu'un des principaux mécènes de la biennale. Et cette collaboration n'est qu'un début, comme le confirme Serge Akl, directeur de l'institution: «Nous voulons renforcer les liens culturels avec la France. Dès l'année prochaine, deux grandes expositions mettront à l'honneur la dynamique créatrice du Liban à l'Institut du monde arabe.» Mais déjà cette année, on compte quatre artistes libanais, Joe Kesrouani, George Awde, Maher Attar et Caroline Tabet, témoignant de différentes facettes de la photographie libanaise.

Identités, chaos et folklore
Le visiteur est invité à se rendre dans les huit lieux qui jalonnent le parcours de cette biennale autour de la Seine, de l'IMA en passant par des galeries, la Cité internationale des arts, la mairie du 4e arrondissement, jusqu'à la Maison européenne de la photographie.
À la MEP, justement, six expositions monographiques s'articulent dans le musée, confrontant les regards de photographes issus du pourtour méditerranéen et la vision extérieure de photographes occidentaux.
La série «Les Marocains» de la célèbre Leila Alaoui documente, sous forme de portraits aux couleurs éclatantes, la diversité des identités, ses modèles arborant avec fierté les costumes de leurs ethnies. Connu également pour ses films, les photographies en noir et blanc de Daoud Aoulad-Syad sont très cinématographiques, amorces graphiques et vivantes de scènes en mouvement.
Le travail documentaire de l'Italien Massimo Berruti, prix AFD/Polka 2014 du meilleur reportage photo, dépeint dans le chaos du décor de Gaza les conséquences sur le long terme des violences subies, notamment la privation en eau, ressource vitale.
Le couple franco-italien Andrea et Magda fait état d'une réalité actuelle de la mondialisation sur les territoires arabes, notamment dans la région du Sinaï, où le tourisme de masse a laissé place à un vaste non-lieu évidé, au folklore artificiel.

À la galerie Binôme, associée à la Art Factum Gallery de Beyrouth et à la galerie Cultures Interface de Casablanca, trois photographes rendent hommage au savant Alhazen, inventeur de la caméra Obscura, par la rencontre de leurs «discours de la lumière». La lumière est la condition fondamentale de la photographie, ce que le travail de Mustapha Azeroual explore en jouant à capturer, par le biais d'un daguerréotype, l'empreinte même de cette lumière, celle du flash, qu'il retourne vers l'objectif ; et en absorbant les couleurs du lever et du coucher de soleil, imprimées en lenticulaire, le mouvement du spectateur réactivant le mouvement de la lumière. Caroline Tabet exprime son rapport avec la ville de Beyrouth, ville dont l'image s'efface à mesure qu'elle se transforme, en saisissant sa lumière, ses couleurs, ses formes en de longs temps de pause à main levée. Enfin, les compositions photographiques de Zineb Andress Arraki ménagent une grande place à l'ombre, milieu épais et sensuel où une chorégraphie de lignes lumineuses traverse l'espace.

Jungle urbaine et ruines archéologiques
À l'IMA, l'exposition est construite à travers différents thèmes de prédilection. «Le paysage», genre intemporel de la photographie, sous-tend des réalités urbaines, comme dans la série de Joe Kesrouani qui interroge la frénésie de la construction urbaine de Beyrouth, la ville suffocant derrière ses murs, là où la respiration des interstices laissait autrefois entrevoir la mer. En Palestine, Yazan Khalili photographie le territoire plongé dans l'obscurité, loin duquel on discerne des lueurs, symbolique visuelle très forte pour illustrer une réalité de toutes les nuits.
«Les mondes intérieurs», deuxième partie de l'exposition, raconte parallèlement un certain rapport au monde. Steve Sabella sensibilise des pierres, ruines d'anciennes habitations palestiniennes, sur lesquelles il empreinte ses photographies, reliques d'un passé désormais archéologique.

C'est ensuite sous le titre de « Culture et identités » que se poursuit le parcours, avec la grandiose série de Malik Nejmi, qui met en scène ses enfants, à partir des accessoires classiques du monde marocain, revisitant les nus orientalistes et la statuaire antique. Sous l'intitulé du «Printemps», la dernière salle de l'exposition explore ce thème contemporain, à travers des propositions poétiques et métaphoriques. Tanya Habjouqa raconte la vie quotidienne de femmes veuves de martyrs syriens, à travers une série d'images qui décrivent avec finesse une narration intime qui rejoint l'universel.

Profondément ancrée dans le réel et le présent, cette première édition de la biennale réussit un pari ambitieux de valorisation de la création photographique de la région arabe, à la fois exigeante et plurielle, puisque, selon Gabriel Bauret, «le monde arabe n'est pas un bloc mais au contraire, une pluralité de cultures. Il s'agit de confronter des regards différents, des préoccupations différentes».

 

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