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Liban - Reportage

Place des Martyrs, une foule pacifique qui appelle au changement

Ils étaient plusieurs milliers, hier soir, à prendre part à la manifestation à laquelle avaient appelé les activistes de la société civile.

La manifestation a rassemblé plusieurs milliers de personnesز Photo Sako Berberian

Il y avait ceux qui appellent à l'abolition du système confessionnel, qui font la grève de la faim devant le ministère de l'Environnement, réclamant la démission du ministre, et qui scandent des slogans avec l'accent syrien, égyptien ou en arabe littéraire. Jeunes, certains d'entre eux appartenant à la gauche radicale et à des milieux défavorisés, ils n'ont vu que les révolutions du printemps arabe pour rêver et les imiter... presque à la lettre.
Il y avait d'autres qui sont des familiers de la société civile, activistes, avocats, consultants, experts, blogueurs... qui ont pour métier ou vocation de sensibiliser la population à ses droits et d'œuvrer pour le changement.
Il y avait d'autres, beaucoup d'autres, qui ont déjà espéré un État de droit, qui ont peut-être soutenu un homme politique, qui ont espéré des changements, attendant de longues années après la fin de la guerre, en vain. Ils n'ont vu que la situation empirer, sur les plans politique, économique et social.
Et c'est la crise des déchets, qui a commencé en juillet dernier, noyant Beyrouth et le Mont-Liban dans les ordures et la puanteur, qui a été le catalyseur du mouvement civil, même si ce mouvement – constitué de parties et de personnes aux revendications hétéroclites – n'a jusqu'à présent pas un plan d'action clair.

Malgré la chaleur, l'humidité, la poussière et la tempête de sable sans précédent que connaît le Liban, environ quatre mille personnes se sont rassemblées hier, à 18 heures, place des Martyrs, pour manifester leur mécontentement, choisissant d'être présentes dans le centre-ville de Beyrouth, le jour du lancement au Parlement de la conférence de dialogue. Certaines d'entre elles, notamment des jeunes activistes des médias sociaux, étaient arrivées dès 10 heures et ont lancé des œufs en direction des convois des leaders politiques participant au dialogue, non loin de là, place de l'Étoile. La même opération s'est répétée à la sortie des convois.
C'est vers 17 heures que la petite foule a commencé à grossir place des Martyrs. La Croix-Rouge avait stationné à Saïfi plusieurs ambulances et installé un hôpital de camp, traitant plusieurs cas d'insuffisance respiratoire due aux conditions météorologiques.

 


Comme à chaque manifestation, la statue des Martyrs a droit aux slogans et aux drapeaux. Photo Marwan Assaf

 

« Le droit de vivre dignement »
Il y avait des militants d'extrême gauche, des activistes de la société civile et de simples citoyens venus manifester leur ras-le-bol contre les ordures qui jonchent les rues, les coupures du courant électrique, les embouteillages, le chômage, la cherté de vie, le népotisme, la corruption...
Farah Fakih cumule deux métiers. Elle est architecte et serveuse. « C'est ainsi que je réussis à joindre les deux bouts dans un pays où tout est cher », explique-t-elle. « Je manifeste aujourd'hui parce que je suis un être humain qui mérite que ses droits élémentaires soient respectés. Je veux un pays propre et je veux avoir de l'électricité. Il faut du temps pour que notre mouvement porte vraiment ses fruits. Il faut changer notre conception des choses et dire que nous méritons de vivre dignement », dit-elle.
Cette question de dignité et de l'égalité de tous devant la loi est reprise par la plupart des personnes interrogées.
Samah Zantout, femme au foyer, porte sa fille de trois ans dans les bras. La petite arbore un masque qui la protège de la poussière et s'amuse à jouer avec un drapeau libanais. « C'est la première fois que je manifeste. Je me rendais chez ma sœur et puis j'ai vu que la manifestation a commencé. Je me suis enthousiasmée parce que toutes ces revendications sont les miennes. Mon mari est au chômage depuis sept mois et nous ne pouvons plus assumer nos dépenses. Il faut que les choses changent », indique-t-elle.
Sawsan Mehdi, cadre, a décidé de descendre dans la rue malgré ses allergies déclenchées notamment par la poussière. « Je veux un État moderne. Un gouvernement qui a des plans. Le Liban dispose de toutes les composantes pour devenir un petit paradis... Mais personne n'y œuvre vraiment. Je rêve de vivre comme mes amis qui sont à l'étranger avec des plans d'avenir. Depuis que je suis née, je ne sais pas de quoi demain sera fait », note-t-elle.
Rimiel Nehmé, journaliste, est là parce qu'elle « veut que les droits des femmes soient respectés, la Sécurité sociale et l'assurance-vieillesse pour tous, l'égalité de tous devant la loi, le choix de la laïcité en matière de droits civils ».

Richard Abou Hamad a rejoint les manifestants « pour finir une fois pour toutes avec nos anciens dirigeants ». « De grâce, qu'ils arrêtent de dire que les activistes sont financés par tel ou tel pays. Si c'était le cas, avec cette chaleur, ils nous auraient distribué de l'eau au moins... Je suis là surtout pour la tenue d'élections législatives. Nous avions voté pour ce Parlement uniquement pour quatre ans. Pas pour l'éternité », martèle-t-il.
Richard était membre des commandos de l'armée jusqu'en 1990, année du départ du général Michel Aoun de Baabda. Il confie qu'il était aussi membre du CPL jusqu'en juin dernier. « J'ai passé 25 ans de ma vie à soutenir Michel Aoun. Je pensais qu'il était au-dessus de la corruption. Il disait lutter contre le népotisme...et voila que son gendre (le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil) devient chef du CPL, sans élections au sein du parti. J'ai décidé donc de quitter le CPL. Je ne suis pas le seul. Je ne sais pas si j'ai suivi durant tout ce temps un fou ou un menteur. En tout cas aujourd'hui j'ai lancé plein d'œufs en direction de son convoi. »

Un peu plus loin, une altercation éclate. Un homme qui venait de terminer son travail et qui rentrait chez lui en marchant entre les manifestants se met à les insulter. Il les a entendus critiquer le chef du Parlement, Nabih Berry. Et Nabih Berry, c'est son idole... Il faudra une dizaine de minutes pour le calmer.

 


La Croix-Rouge a traité plusieurs cas d'insuffisance respiratoire due aux conditions météorologiques. Photo Nasser Traboulsi

 

« Un mouvement qui commence à prendre forme »
Parmi la foule, aussi, Hassan Younès, activiste du Tribunal du peuple, un mouvement qui a porté plainte contre le ministre de l'Environnement; Hassan Zein, ancien journaliste au quotidien as-Safir qui a mis l'accent « sur la diversité des manifestants, notamment en matière de background social et politique ». Il a aussi dénoncé « tous les actes de vandalisme qui ont eu lieu au cours des trois dernières semaines ; nous sommes des pacifistes par excellence mais il y a aussi parmi les personnes qui se sont jointes à nous des jeunes en colère, au chômage. Mais depuis le début du mouvement leur attitude a changé et s'est un peu radoucie », dit-il.

Ziad Abdelsamad, directeur du Réseau des ONG arabes pour le développement, note de son côté que « le mouvement civil commence petit à petit à s'organiser et à prendre véritablement forme ». « Ce mouvement a enregistré quelques succès, notamment l'annulation des appels d'offres relatifs à la collecte et au traitement des déchets et le fait de donner un rôle plus important aux municipalités en ce qui concerne le traitement des ordures et de distribuer les fonds dus aux caisses municipales », souligne-t-il.

Hier, on croisait dans la rue les membres de plusieurs associations et campagnes civiles, notamment l'association civile pour la protection du port des pêcheurs de Dalié à Raouché, la fédération des handicapés du Liban, le centre civil pour l'initiative nationale, l'association des anciens locataires et Paul Achkar, catalyseur de la campagne Baladi Baldati Baladiyati, qui vient de créer la campagne des Plombiers. Armés de bennes à ordures, de baguettes en bois et de sifflets, ils ont fait un bruit d'enfer digne du groupe de percussions Les Tambours du Bronx.

Il y avait aussi deux hommes qui sont présents à de nombreuses manifestations depuis une quinzaine d'années : Amine Amine et Antoine Aoueis.
Originaire de Mina, à Tripoli, Amine Amine vend de l'eau et des galettes au fromage tripolitaines aux manifestants. Quand le pays est calme, il exerce le même métier dans la capitale du Liban-Nord.
Antoine Aoueis, qui a pignon sur rue à Dekouané, vend des drapeaux du Liban, des foulards et d'autres matériaux frappés de slogans répétés par les manifestants ou des noms des diverses campagnes civiles. Depuis vingt ans, il s'adapte aux besoins de chaque manifestation.
Les deux hommes ont vendu de l'eau et du matériel aux manifestants du 14 Mars, du 8 Mars et d'autres courants politiques, selon les occasions.
Quelle a été leur manifestation préférée ? Étrangement, ils donnent la même réponse : « Le 14 mars 2005 », disent-il. « Parce que les Syriens sont partis », explique Amine. « C'était une autre époque, un rêve qui se concrétise. Hélas, une période bel et bien révolue », soupire Antoine de son côté...

 

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