Devant l'ampleur des mesures de sécurité prises autour du Parlement, on aurait pu croire qu'un événement important était en gestation. Le déploiement inouï des forces de l'ordre qui ont bloqué toutes les ruelles et même les chemins de terre menant à la place de l'Étoile, ne laissant qu'un seul accès possible par la rue Allenby, annonçait de grands développements... qui se sont résumés à un nouveau rendez-vous de dialogue mercredi prochain, annoncé dans un communiqué laconique lu par le directeur général de la Chambre. Les participants au dialogue n'ont même pas eu la possibilité de s'adresser aux journalistes, ceux-ci étaient parqués dans un immeuble voisin et n'ont pu en sortir que lorsque tout était fini.
La version 2015 de la conférence de dialogue national est donc encore plus opaque que les précédentes et le scénario du remake manquait d'idées nouvelles, voire d'effets spéciaux. Mais l'élément nouveau était autour du Parlement, dans la mobilisation populaire qui depuis les premières heures de la journée remplissait les alentours de l'immeuble de Lazarié où se trouve le ministère de l'Environnement, ainsi que la place des Martyrs. L'ancien ministre Charbel Nahas et le groupe « Nous réclamons des comptes » étaient les premiers arrivés, préparant la manifestation prévue pour l'après-midi et peu convaincus que la conférence de dialogue pouvait apporter des solutions aux multiples dossiers bloqués actuellement. Devant chaque ruelle pouvant mener au Parlement, les manifestants et les forces de l'ordre se faisaient face, les premiers avec des œufs prêts à être lancés sur les convois des responsables et les autres avec des matraques, et des mines redoutables sous leurs casques. La tempête de sable et la chaleur épuisante ne décourageaient ni les uns ni les autres.
« Optimiste, mais pas trop »
Le décor mis en place, il fallait encore atteindre la scène, c'est-à-dire le Parlement. Mais là, grande déception, les journalistes ne sont pas autorisés à entrer. Ils attendent donc dans la poussière l'arrivée des participants au dialogue. Nouveau coup du sort, la plupart d'entre eux entrent au Parlement par une porte dérobée ou par le sous-sol. Le premier arrivé est le président de la Chambre qui parraine ce dialogue. Selon certaines rumeurs, il aurait même passé la nuit sur place.
Toujours est-il que les uns après les autres, de façon visible ou non, les participants sont arrivés, chacun avec un adjoint. M. Berry avait avec lui le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, le Premier ministre, Tammam Salam, avec le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, le général Michel Aoun était accompagné du nouveau chef du CPL, le ministre Gebran Bassil, l'ancien Premier ministre Fouad Siniora était accompagné du député Atef Majdalani, l'ancien Premier ministre Nagib Mikati du député Ahmad Karamé, Michel Murr était tout seul, Walid Joumblatt avait choisi Ghazi Aridi, Boutros Harb avait avec lui Jawad Boulos, Talal Arslane était accompagné de Hassan Hamadé, Assaad Hardane de Ali Kanso, Hagop Pakradounian d'Arthur Nazarian, Farid Makari de Robert Fadel, Michel Pharaon d'Élias Abou Hala, Samy Gemayel d'Élie Marouni, Mohammad Raad de Ali Fayad et Sleimane Frangié de Youssef Saadé.
Seul le Premier ministre a fait une déclaration à la presse annonçant la tenue d'une séance du Conseil des ministres l'après midi-même à 17h. L'annonce était de taille surtout que M. Salam avait déclaré auparavant qu'il ne convoquerait pas une réunion du Conseil des ministres, pour laisser sa chance au dialogue initié par M. Berry, sauf s'il y a un accord sur le dossier des déchets. La tenue d'un Conseil des ministres montrait donc qu'il y avait anguille sous roche et que peut-être une grande décision était en préparation. Le vice-président de la Chambre, Farid Makari, a quelque peu douché ce vent positif en déclarant aux journalistes qu'il était « optimiste, mais pas trop »...
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« La patrie vous appelle »
Au siège du Parlement quasiment désert, faute de journalistes et de députés, le troisième étage où est installée la table ronde du dialogue est transformé en place forte. Toutes les issues sont bloquées, la climatisation est poussée à fond et les participants au dialogue sont pratiquement isolés du reste du monde. Il faudra attendre quelques fuites pour apprendre que la réunion a été déclarée ouverte à 12h10 avec l'hymne national pour bien marquer la solennité du moment.
Le président de la Chambre a commencé par prendre la parole en insistant sur le fait que la tenue même de cette conférence est déjà un signe de réussite puisqu'elle confirme « notre conviction que le dialogue reste la seule voie possible pour les solutions et elle montre aussi notre attachement à l'unité du Liban et à la formule de coexistence ». Nabih Berry a encore affirmé que le dialogue est donc nécessaire pour briser la paralysie actuelle et pour « éviter que l'on retrouve un jour le Liban dans la poubelle de l'histoire, à cause des politiques qui ne tiennent compte que des intérêts particuliers et partisans ». Il a souligné qu'il faut trouver des solutions aux problèmes sociaux de plus en plus aigus. « Cela exige l'unification des positions, non un dialogue de sourds », a-t-il dit. « La patrie vous appelle, a-t-il ajouté. J'espère qu'il n'est pas trop tard pour établir un carnet de route qui nous mènera jusqu'à l'échéance présidentielle. Construisons demain, construisons un avenir dans un Liban uni, au lieu d'attendre qu'on nous prenne par la main pour nous annoncer la solution prévue pour notre pays... »
Le ton était ainsi donné. Le Premier ministre a ensuite pris la parole, ainsi que les participants à tour de rôle. Selon l'ordre du jour établi par M. Berry, il fallait commencer par la présidence de la République. L'ancien Premier ministre Fouad Siniora a prononcé une petite allocution dans laquelle il a insisté sur l'importance de la présidentielle d'autant que le président est le symbole de l'unité du pays et la garantie de l'application de la Constitution. Preuve en est que depuis qu'il y a vacance à la présidence, les institutions sont paralysées. Le président est, selon lui, « la clé maîtresse » pour régler tous les problèmes en suspens. Il faut donc l'élection d'un président, la formation d'un gouvernement puis l'adoption d'une nouvelle loi électorale et l'organisation d'élections législatives, le tout s'accompagnant d'une confirmation de l'accord de Taëf.
Le chef du parti Kataëb Samy Gemayel a réclamé un président « technocrate » et un gouvernement de « technocrates » pour sortir des divisions politiques. Le représentant du Hezbollah, Mohammad Raad, a été très clair, rappelant que son parti appuie la candidature du général Aoun et que de toute façon il n'acceptera pas un président qui ne protège pas la résistance.
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Aoun vs Siniora
Le général Aoun, lui, a exposé son point de vue sur la nécessité d'élire un président « fort dans la mesure où il est représentatif de sa communauté ». Il a aussi proposé une élection au suffrage universel, d'autant que le Parlement a perdu sa légitimité en prorogeant son mandat, ainsi que sa légalité en bafouant les lois. M. Siniora s'est aussitôt insurgé, déclarant qu'il ne comprenait pas cette exigence, puisque, selon lui, le président de la République doit représenter l'unité du Liban. Le général Aoun a riposté en disant que cela était vrai avant l'accord de Taëf, lorsque le chef de l'État concentrait entre ses mains toutes les prérogatives. Mais depuis qu'on lui a enlevé une grande partie de ses pouvoirs, il doit représenter sa communauté, au même titre que le président de la Chambre et le Premier ministre. Le ministre des Télécoms Boutros Harb est alors intervenu, volant au secours de M. Siniora, en affirmant ne pas comprendre comment le général veut un président fort, élu au suffrage universel, tout en considérant le Parlement illégitime, alors que c'est ce Parlement qui doit amender la Constitution pour permettre l'élection du président par le peuple.
Il a aussi accusé le général Aoun d'avancer des propositions dans son propre intérêt étant lui-même candidat à la présidence. M. Aoun a alors accusé le député de Batroun de n'avoir « rien compris » et de chercher à personnaliser le débat alors que lui-même faisait un exposé « légal et politique ».
La discussion commençait à virer à l'aigre, sachant qu'entre MM. Aoun et Harb le contentieux est lourd, doublé de toutes les divergences sur le dossier de la téléphonie mobile. Le président de la Chambre est alors intervenu pour remettre de l'ordre dans le débat, et comme il était près de 16h, il a levé la séance pour que les ministres puissent se rendre à leur réunion au Sérail. Mercredi prochain, les discussions devraient reprendre et, comme l'a dit Gebran Bassil, « le dialogue n'a pas commencé pour s'arrêter ».
En même temps, des sources proches de Aïn el-Tiné ont affirmé que des contacts discrets sont en train d'être établis pour tenter de dégager une formule qui permette de dynamiser le gouvernement et le Parlement, en attendant l'élection d'un président. La séance du Conseil des ministres d'hier était donc un premier pas dans ce sens. Mais le chemin est encore long.
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commentaires (6)
Pour être élu il faut être candidat. Or, Michel Aoun n'a pas présenté sa candidature donc il n'est pas candidat.. Les seuls candidats déclarés sont Geagea et Hélou. Mohamad Raad et Ali Fayad plaident pour un non-candidat. C'est clair, non ?
Un Libanais
12 h 30, le 10 septembre 2015