L’interprétation des rêves

Une femme raconte son rêve. Elle est poursuivie dans la rue par un bel athlète. Il n'arrive pas à la rattraper mais elle n'arrive pas à le semer non plus. L'angoisse l'étreint, mais paradoxalement lui donne des ailes. Arrivée devant son immeuble, l'homme étant toujours là, elle se jette dans l'ascenseur et presse le bouton du 4ème étage. L'homme est toujours là, il monte les escaliers quatre à quatre. Arrivée devant la porte de son appartement, elle glisse la clé dans la serrure et ouvre la porte avant que l'homme ne la rattrape. A l'intérieur de son appartement, elle croit qu'elle est sauvée, mais l'homme casse la porte d'un violent coup de pied. Elle court d'une pièce à l'autre, toujours poursuivie. Elle arrive dans sa chambre à coucher, chambre sans issues. Elle se retourne, décidée alors à affronter l'homme. L'homme la prend par les épaules, la jette sur le lit. Puis il se tient immobile, les bras croisés. « Mais qu'est-ce que vous faites » demande la femme ? « Je ne sais pas Madame, c'est votre rêve ».

Ce rêve que rapportait Joyce Mc Dougall a un intérêt immense. Il arrive à n'importe qui de faire un rêve pareil, non pas nécessairement par le même contenu, mais par le fait que le contenu du rêve s'impose comme la réalité. En écoutant raconter ce rêve, on croit au tourment de cette femme poursuivie par cet homme. On imagine bien que l'homme pourrait en vouloir à son sac, qu'il veut la violer ou l'assassiner. Et lorsqu'il la jette sur le lit, l'idée du viol s'impose comme une évidence. Et là, coup de théâtre, à la question de la femme « qu'est-ce que vous faites ? », il répond « Je ne sais pas Madame, c'est votre rêve ». L'effet humour est garanti. Et précisément du fait du renversement actif/passif.
Dans le rêve, la femme est passive, poursuivie, l'homme est actif. Jusqu'au moment où il s'arrête et croise les bras. « Je ne sais pas Madame, c'est votre rêve » indique que c'est la femme qui est active, qu'elle est le metteur en scène du rêve et que même si dans le contenu elle joue un rôle passif de victime, elle agit activement dans la distribution des rôles. Elle peut faire de l'homme ce qu'elle veut. Elle peut l'amener à se jeter sur elle pour la violer comme le contenu de tout le rêve le suggère. Elle peut l'amener à se jeter sur elle pour la tuer. Ou toute autre situation.

L'avantage de ce rêve réside également dans la démonstration que le sujet qui rêve peut se donner n'importe quel rôle dans son rêve. Et aussi n'importe quel rôle aux différents personnages, ici l'homme qui pourchasse la femme. Mais également mettre en scène n'importe quel mouvement pulsionnel, actif ou passif. Ce rêve rend compte à la perfection du passage de la théorie de la séduction à la théorie du fantasme, comme nous l'avons vu la dernière fois. En effet le contenu de ce rêve peut être celui d'un fantasme ou d'un souvenir, ou le récit ressemblerait aux récits des abus sexuels subis par les premières patientes hystériques de Freud, récits d'abus qui ont amené Freud à la fameuse théorie de la séduction. Cette femme, en racontant son rêve, donne l'impression à l'auditeur qu'elle est vraiment poursuivie, et en apparence pour des raisons sexuelles.

Mais lorsqu'à la fin du rêve, l'homme s'arrête immobile et répond à la femme « C'est votre rêve Madame », il apparaît clairement que la femme est le véritable metteur en scène du rêve. Autrement dit, elle est l'auteure de ce rêve et de tout ce que s'y passe.
La remarque faite par l'homme désigne la responsabilité de la femme dans son désir, et l'empêche désormais de continuer de se retrancher derrière le statut de la victime. En ce sens, ce rêve est l'exemple même du rapport de l'homme à son désir. Il préfère déléguer son désir à l'Autre et se situer dans une position de soumission ou de rébellion vis-à-vis de cet Autre. Ce rêve met en évidence le mouvement de la cure analytique. Le sujet pénètre dans l'analyse comme l'objet du désir de l'Autre, dont par exemple il peut être la victime. Progressivement, il se dégage de cette référence pour, à la fin de la cure, devenir actif et assumer la responsabilité de son propre désir.
C'est la principale leçon de ce rêve.
Nous verrons la prochaine fois comment Freud a fait ce pas immense de libérer l'homme de ses croyances occultes, en donnant au rêve un statut scientifique.

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