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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Le concept de Bisexualité, objet du plagiat qui précipita la rupture entre Freud et Fliess

Le concept de « Bisexualité » et le sort que lui fit Freud sont au cœur de la théorie psychanalytique. D'abord pour le contenu du concept lui-même, ensuite pour la place que ce concept prit dans sa relation avec Fliess. Jusqu'à la fin de son œuvre, Freud donna à la bisexualité une fonction capitale : « C'est ce qui est du sexe opposé qui succombe au refoulement. » Ce qui veut dire que l'homme refoule le féminin qui est en lui, et la femme refoule le masculin qui est en elle. Cette affirmation de Freud se trouve dans les derniers paragraphes d'« Analyse finie, analyse infinie », ce qui indique qu'en 1937, deux années avant sa mort il tient toujours à cette conception.
Dans les lignes qui suivent, il affirme avoir reconnu par le passé que c'était Wilhelm Fliess qui avait attiré son attention sur ce point. Or, tel n'a jamais été le cas. Freud a eu l'occasion, au moins neuf fois, entre 1901 et 1937 dans des textes théoriques différents de reconnaître la priorité de Fliess sur ce point et il ne l'a jamais fait. Pourquoi ?

En 1900, à Achensee en Autriche, pendant l'été, lors de leur dernière rencontre, de leur dernier « congrès », alors que leurs relations n'étaient plus ce qu'elles étaient, Freud parle à Fliess de la « Bisexualité » comme de quelque chose de nouveau qu'il venait de découvrir. Fliess proteste et rappelle à Freud qu'en 1897, à Noël, à Breslau en Pologne, il lui en avait parlé le premier et Freud avait alors rejeté l'idée. Or Freud avait complètement oublié cela, ce que Jones a qualifié de « Cas d'amnésie grave ».
La semaine suivante, Freud se rappelle finalement leur conversation à ce sujet. En janvier 1898, après leur entrevue à Breslau, il écrit à Fliess avoir « adopté sa conception de la bisexualité qu'il considère comme la plus importante » depuis la notion de défense qu'il avait forgée lui-même. Freud se souvient même lui avoir répondu à Breslau « qu'il n'en était pas là et qu'il ne voulait pas discuter de la question ». Rappelons-nous que Freud avait réagi de la même manière aux confidences de Charcot, Breuer et Chrobak. Il a même été jusqu'à blâmer leur cynisme. Ce que Jones appelle « Cas d'amnésie grave » était en fait un refoulement en bonne et due forme, par Freud de ses propres pulsions sexuelles, dont la manifestation consciente était une forte aversion. La différence entre les deux oublis, les deux refoulements des aveux de Charcot, Breuer et Chrobak sur la sexualité et de celui de Fliess sur la bisexualité tient au chemin analytique de Freud, à la levée plus rapide du refoulement. Avec Fliess, cela a pris une semaine alors qu'il lui a fallu des années auparavant. Mais pourquoi cette affaire a pris l'allure d'un plagiat ?

Dans une lettre à Jung du 19 mai 1908, Freud reconnaît qu'il avait reculé devant l'analyse d'Otto Gross (1877-1920). Ce dernier, bohème et anarchiste, rencontre Freud en 1904 et adhère au mouvement analytique. Jung est chargé par Freud de l'analyser. Jung le considère comme son jumeau, la schizophrénie en moins (David Cronenberg relate sa rencontre avec Jung dans son film de 2011, Dangerous Method).
L'aveu que va faire Freud à Jung sur les raisons de son recul devant l'analyse d'Otto Gross est au cœur du mouvement transférentiel dans l'analyse : « Pour parler sérieusement, la difficulté aurait bien plutôt résidé dans l'abolition inévitable des limites de propriété dans la réserve d'idées productives ; nous ne serions plus parvenus à nous libérer l'un de l'autre la conscience pure. Depuis que j'ai traité le philosophe Swoboda, je frémis devant de telles situations difficiles. » Freud craint l'abolition des limites entre son inconscient et celui du patient, qui s'avère être souvent un psychotique. Et Swoboda était lié à Otto Weininger, lui-même auteur d'un livre, Sexe et caractère (1903) où il parle de la bisexualité comme d'une découverte nouvelle.
Apprenant que Weininger était lié à Swoboda, lui-même élève de Freud, Fliess demanda des comptes à Freud. Croyant apaiser Fliess, Freud lui avoue son désir de lui dérober son originalité. Selon Jones, ce fut le point final de leur relation. Fliess n'écrivit plus à Freud puis fit publier par l'un de ses amis, Pfenning, un opuscule où Swoboda, Weininger et Freud furent accusés de plagiat. Et pour appuyer l'opuscule de Pfenning, Fliess publia sa correspondance avec Freud à ce sujet.
Pour se défendre, Freud contre-attaque Fliess publiquement en écrivant à Karl Krauss et Magnus Hirschfeld, deux intellectuels de référence à Vienne. Il traita Fliess de fou.

Que cette grande histoire d'amour transférentiel qui donna la psychanalyse se termine ainsi, sur une affaire publique de plagiat, nous indique à quel point le rapport de Freud à sa propre théorie reste fragile. Il en sera de même pour tous les analystes à venir. Accepter que leur formation se fasse incontournablement par la mise à l'épreuve des limites de leur inconscient avec celui de l'autre. Retrouver la fameuse formule d'Arthur Rimbaud : « Je est un autre », soit ce qui, à l'origine, nous a constitué comme sujet.

 

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